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Médias au Sénégal : des mutations nécessaires pour une meilleure qualité dans les programmes

Médias au Sénégal : des mutations nécessaires pour une meilleure qualité dans les programmes

La télévision n’est pas que divertissement… 

Ces dernières années, le Sénégal a connu une floraison de télévisions et de radios dans le paysage audiovisuel. Cette nouvelle donne a eu pour conséquence l’appauvrissement de l’offre médiatique. Les programmes proposés dans les chaînes de télévision sont quasi identiques. Le divertissement occupe la place la plus importante dans la grille des programmes. Le téléspectateur sénégalais est « abreuvé » de musique, de séries sud-américaines ou locales, de lutte et de danse à longueur de journée. Faudrait-il croire que seul le divertissement peut le retenir devant son petit écran ?

Certains médias se sont engouffrés dans l’événementiel avec des animateurs qui peuvent créer une effervescence autour de n’importe quelle manifestation. Ainsi les populations vivent au rythme des matinales ou talk show, des combats de lutte vendus comme des événements planétaires et les spectacles récurrents du Grand théâtre. Certes les médias ont pour fonction de divertir mais ils ne peuvent être uniquement confinés à ce rôle. C’est visiblement la vision portée par la majorité des chaînes de télévision dans le pays.

Les populations vivent au rythme des matinales ou talk show, des combats de lutte vendus comme des événements planétaires et les spectacles récurrents du Grand théâtre.

Les missions essentielles d’informer et d’éduquer ne constituent pas visiblement une priorité dans l’élaboration des programmes destinés au public sénégalais. Mais cela n’est pas étonnant si l’on regarde avec attention le profil des personnes en charge des programmes dans nos télévisions. Les médias doivent plus promouvoir notre culture. Ils doivent  mieux nous faire connaitre notre patrimoine et nos figures historiques surtout auprès des jeunes. Il est nécessaire de procéder à une réappropriation de notre histoire commune.

Les médias sont en réalité de puissants outils d’éducation et de transmission de connaissances surtout auprès du jeune public qui a aujourd’hui un choix très large en terme de contenus (télévisions étrangères et Internet).  Mais visiblement ce rôle d’éduquer les populations en proposant dans leur grille de programmes plus d’émissions à caractère culturel ne figure pas en bonne place dans la liste des priorités.

La faiblesse des débats économiques dans nos médias, une tare à corriger

Les médias doivent aider à une meilleure compréhension des politiques publiques. A t-on fait un travail sérieux de vulgarisation des enjeux du Plan Sénégal émergeant (PSE)? Les médias ont-ils permis des débats de fond sur la vision déclinée dans le PSE et l’opportunité d’un tel plan? Que savent les Sénégalais de ce plan défendu bec et ongle par les tenants du pouvoir et critiquer fortement par l’opposition. Les citoyens à travers les médias ont-ils été bien informés des implications du plan présenté comme stratégique pour le développement du Sénégal.

L’économie est  fondamentalement « le parent pauvre » des nombreuses émissions politiques sur le petit écran. Les questions économiques sont très peu traitées dans les nombreux débats qui sont proposés aux citoyens. Cela s’explique sans doute par le manque de maîtrise de cette matière aussi bien du coté des journalistes que de la majorité des acteurs politiques. Vous pouvez suivre toute une émission avec des responsables politique et constater un rapide survol des questions économiques.

Souvent, les débats sont rythmés par les petites phrases et déclarations insipides de la semaine du landerneau politique. Quels sont les médias qui s’intéressent aux examens budgétaires? Que nous disent-ils sur les budgets des ministères lors du vote à l’Assemblée nationale? Quels sont les ministères qui ont connu une hausse ou une baisse budgétaire durant le septennat ? ils préfèrent nous indiquer les chiffres de la croissance communiquées par le pouvoir sans nous expliquer à quoi cela renvoie exactement. D’ailleurs ce chiffre de 7% de la croissance économique, il signifie quoi concrètement pour les Sénégalais dans leur vie de tous les jours.

Nombre de dirigeants politiques, dans nos médias, peuvent énoncer des énormités ou des contre-vérités sans être repris par le journaliste.

Les questions de fond qui préoccupent les populations et qui doivent faire l’objet d’éclairages sont éludées au profit de la politique politicienne. Le personnel des médias fait montre de carence dans bons nombres de sujets d’intérêts nationaux. Le niveau d’analyse des faits de l’actualité révèle souvent les limites de certains médias. La formation en journalisme n’est plus ce qu’elle était, il suffit de voir comment les revues de presse sont théâtralisées sur les ondes. L’attention excessive accordée à l’anecdote, au superficiel et à l’insignifiant dans la conduite des interviews avec les responsables politiques est consternante.

Les médias participent à l’affaiblissent du niveau ambiant. Nombre de dirigeants politiques, dans nos médias, peuvent énoncer des énormités ou des contre-vérités sans être repris par le journaliste. La rigueur sur les sujets économiques et le travail en amont (préparation et recherche) pour être un bon intervieweur font cruellement défaut. A l’heure d’Internet et de la possibilité de consulter les rapports, d’interroger les concepts, il est regrettable de voir certains médias verser dans la facilité et la routine.

Les médias publics au service exclusif du pouvoir, une pratique dépassée 

Les présidents se succèdent au Sénégal et les médias publics restent toujours cloisonnés dans le même rôle. La chaîne publique, la Radio télévision sénégalaise (RTS) n’a pas fait sa mue et continue de nous proposer le même « spectacle », celle d’un organe au service exclusif d’un président et de son camp. La RTS est orfèvre en matière de « silence médiatique » sur la situation réelle du pays et les événements marquants de notre histoire. L’angle de traitement de la journée du 23 juin 2011 sous la présidence de Wade reste une parfaite illustration. La RTS est à des années lumières de ce que devait être une chaîne publique.

Le traitement de l’information durant la période du référendum (mars 2016) est encore dans tous les mémoires. Elle a délibérément orchestré une campagne en faveur de « oui » en déroulant une stratégie d’influence active sur tous canaux de diffusion du service public. Les hommes changent mais le système demeure. Cerise sur le gâteau, l’actuel directeur général de la chaine publique est un membre déclaré du parti au pouvoir. Il cumule son poste de directeur général avec celui de maire d’une commune dans la banlieue dakaroise pour le compte du parti présidentiel. Une situation bien évidemment inédite dans l’histoire de la RTS.

L’actuel directeur général de la chaîne publique est un membre déclaré du parti au pouvoir. Il cumule son poste de directeur général  avec celui de maire d’une commune dans la banlieue dakaroise pour le compte du parti présidentiel. Une situation bien évidemment inédite dans l’histoire de la RTS.

Les présidents Wade et Sall alors dans l’opposition avaient fustigé la partialité de la chaîne publique avant de perpétuer les mêmes pratiques une fois au pouvoir. Une chaîne publique à vocation à être au service des populations en les informant sur les réalités du pays. Elle ne doit en aucun cas ériger le parti pris en faveur du gouvernement comme règle de conduite dans le traitement de l’information. Le journal de 20h de la RTS est un chapelet de rencontres du Chef de l’Etat et des différents séminaires auxquels prennent part les membres du gouvernement. Les journalistes rivalisent de phrases dithyrambiques lorsqu’il s’agit de la couverture médiatique des voyages et actions présidentielles. On peut légitimement se demander s’ils s’écoutent parler.

Les ministres et directeurs d’agences nationales sont conviés dans des émissions taillées sur mesure et qui ont comme point d’orgue l’absence de débats contradictoires. L’actuel directeur général de la RTS donnait une définition très particulière de la mission de la chaine publique. Il la voit comme un outil d’information mis au service du pouvoir. Les moindres projets de l’Etat sont montrés et encensés. Les médias publics jouent un rôle par la sélection même de l’information, l’importance qu’ils décident d’accorder ou de refuser à un événement. Il leur est possible en quelque sorte de refuser « l’existence médiatique » à un homme, un parti ou à une institution.

L’actualité concernant les partis de l’opposition ou les voix s’élevant contre la politique menée par le gouvernement sont volontairement ignorées. Le Parti démocratique sénégalais (PDS) et son leader qui ont occupé l’espace public pendant 12 ans sont aujourd’hui « bannis » de ce médium comme l’a été le Parti socialiste durant les années Wade. A l’heure d’internet et des différents canaux de diffusion de l’information, le citoyen sénégalais ne peut plus être enfermé dans les vieux schémas rétrogrades.

Les médias publics doivent être en phase avec leur temps. Ils perdent en audience du fait d’une concurrence accrue.  Les médias publics entre les mains d’hommes du pouvoir posent un problème d’objectivité et de liberté dans l’orientation des contenus. Cette pratique est la chose la mieux partagée dans les pays de la région.  Il suffit de naviguer d’un journal télévisé à l’autre à 20h sur les chaînes publiques. Les reportages sur le président de la République se succèdent pendant de longues minutes. Même les lettres de créance de nouveaux ambassadeurs affectés dans le pays font l’objet de reportages dans le 20h. Ce type de médias n’a plus sa place en 2018.

Une multitude de chaînes privées et la qualité de l’offre qui nécessite une amélioration 

Les médias privés ont contribué à l’alternance politique de 2000 avec l’arrivée du président Wade au pouvoir. Elles ont permis un traitement l’information différent de celui proposé par les « médias d’Etat ». Aujourd’hui le Sénégal dispose d’une dizaine de chaînes privées. Cette libéralisation de l’espace médiatique a permis à des personnalités aux profils différents de mettre en place des groupes de presse. Le volet commercial occupe une place importante dans leur stratégie et cela prend souvent le pas sur la qualité de l’offre.

Il est vrai que le fonctionnement continu d’un groupe de média (télévision, radio, presse écrite) demande de gros investissements. Les revenus publicitaires que se partagent tous les médias avec la part belle pour la RTS ne permettent pas de faire face à toutes les charges. A cela, il faut ajouter les disparités des salaires (des animateurs bénéficiant des plus grosses rémunérations) et la précarité des conditions de travail. Malgré tout, ils permettent une pluralité d’opinions et un choix plus large en terme de contenu pour le téléspectateur. La réduction de la stratégie purement commerciale et l’augmentation de contenus à visée éducative pourront permettre aux médias privés de mieux se positionner sur le registre des programmes et contenus de qualité. L’environnement des médias est très concurrentiel et l’exigence de qualité permettra de s’inscrire dans la durée dans l’espace audiovisuel. Sans cela, certains medias disparaitront du petit écran dans les années à venir.

La nécessité de développer un  journalisme d’investigation

Le « parent pauvre » du journalisme au Sénégal est sans doute celui de l’investigation. Les journalistes sont souvent confrontés à des blocages pour accéder aux informations des administrations publiques. Il est vrai que ce genre journalistique requiert beaucoup de rigueur professionnelle et de la détermination dans un contexte difficile. La question de la gestion du temps et des moyens financiers se posent également un problème pour arriver à des résultats probants. Dans des systèmes de gouvernance opaque dans de nombreux pays en Afrique, le journalisme d’investigation constitue une réponse efficace pour mettre à nu des faits de corruption et des pratiques de mauvaises gestions.

Dans des systèmes de gouvernance opaque dans de nombreux pays en Afrique, le journalisme d’investigation constitue une réponse efficace pour mettre à nu des faits de corruption et des pratiques de mauvaises gestions.

Au Ghana, le journaliste d’investigation Anas Aremeyaw Anas a acquis une notoriété pour avoir enquêté pendant une dizaine d’années sur des faits de corruption dans le sport, la justice et la politique. Ses investigations ont poussé les pouvoirs publics à agir. C’est le cas d’une vingtaine de juges dont les actes de corruption ont été dévoilés en 2015. Plusieurs magistrats ont dû être suspendus de leurs postes.

En Afrique, le journaliste d’investigation est confronté à des contraintes majeures comme l’accès aux sources d’informations fiables, à un arsenal de lois répressives et à des moyens financiers limités pour mener les investigations à grande échelle. Mais la principale contrainte demeure sans doute les pratiques de corruption.

Le journalisme d’investigation a été porté par des pionniers en Afrique dont le célèbre journaliste burkinabé Norbert Zongo, patron de « L’Indépendant d’Ouagadougou ». Ce dernier a été assassiné en 1998 alors qu’il enquêtait sur une affaire mettant en cause le frère de l’ancien président Blaise Compaoré. En Afrique, le journaliste d’investigation est confronté à des contraintes majeures comme l’accès aux sources d’informations fiables, à un arsenal de lois répressives et à des moyens financiers limités pour mener les investigations à grande échelle. Mais la principale contrainte demeure sans doute les pratiques de corruption. Si le journaliste ne voue pas un respect à sa profession et ne jouit pas d’une probité morale, il peut succomber à la tentation de l’argent.

La protection des sources ou des lanceurs d’alerte est également fondamentale pour assurer que les affaires de corruption peuvent être mises en lumière par les médias.Des consortiums de journalistes africains d’investigation doivent voir le jour à l’image de celui sur les « Panama papers » pour permettre une coopération régionale ou continentale pour attirer l’attention du public et des autorités sur les crimes financiers et économiques transfrontaliers.

Babacar Ndiaye 

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