Santé

Enquête : découvrez pourquoi la santé coûte cher au Sénégal

Hopital-au-Sénégal
Hôpital PrincipaL de Dakar

«Dis-moi quelle revenus tu as, je te dirai quelle soin tu auras». Cette terrible conception semble être la parfaite illustration de l’état de la santé au Sénégal. Même si elle n’a pas de prix, le coût de la santé est très cher pour les pauvres Goorgorlou qui tirent le diable par la queue.

Et la principale difficulté est à rechercher dans les maladies dites chroniques, celles-là qui nécessitent des traitements longs, parfois toute la vie durant. Des diabétiques insulinodépendant aux insuffisants rénaux et, dans une moindre mesure, l’accouchement par césarienne. Pour démontrer que la santé coûte les yeux de la tête…

Aujourd’hui, même les revenus dits stables arrivent, à peine, à se payer un suivi médical adéquat. Par exemple, selon Mme Dieng, diabétique et insulino-dépendante, la facture mensuelle peut aller jusqu’à 50 000 Fcfa, s’il n’y a pas d’analyses à faire. Parce qu’en réalité, les malades chroniques sont très souvent soumis à des analyses pour voir l’évolution de la maladie.

Nous sommes à Nabil Choucair, au guichet, le vendeur demande des précisions pour la vente de tickets. «Ticket pour voir l’infirmier ou le docteur», nous lance-t-il. La précision est importante. En effet, pour se faire consulter par le docteur, le ticket est de 2 000 francs, alors que pour l’infirmier, il faut juste débourser la moitié et se ranger derrière une longue queue. Le même constat a été fait à l’Hôpital Principal. Là aussi, le patient qui veut voir le docteur, au plus vite, doit accepter de mettre la main à la poche.

«Pour voir le médecin ophtalmologue, le même jour, il faut payer un ticket de 10 000 francs, pour le rendez-vous. Si c’est pour un rendez-vous prévu parfois dans deux mois, on paye 1 700 francs», révèle ce patient qui en a vécu l’expérience.

Aujourd’hui, du fait de l’encombrement dans les hôpitaux, les cliniques privées apparaissent comme une alternative crédible. Là aussi, le coût n’est pas des plus accessibles. Et à en croire, Docteur Amadou Diallo de la Clinique de l’Amitié, président de l’Association des cliniques privées du Sénégal, ce n’est pas demain la veille de la baisse des coûts… Selon lui, quand une personne est hospitalisée dans une clinique, on met une infirmière, à sa disposition 24h/24.

Il y a également le petit-déjeuner, un repas à midi, on lui donne une collation l’après-midi et un dîner le soir. Et le cout varie entre 25 000 ou 30 000, voire 50 000 Fcfa par jour. Et le Docteur Diallo trouve ces prix en-dessous du prix de revient, eu égard aux nombreuses hausses, enregistrées dans le coût de certains intrants et qui n’ont pas été répercutés sur le tarif.

«Les derniers tarifs de consultation datent de l’an 2000. Depuis lors, les coûts d’hospitalisation n’ont pas changé parce qu’il y a d’abord une désorganisation du milieu médical privé. Ce qui fait qu’on ne porte pas nos revendications à qui de droit. Vous savez qu’une consultation en médecine générale coûte 4800 Fcfa. Un médecin qui s’installe, trouve des locaux, paie un gardien, une femme de ménage, une assistante…

Combien de malades doit-il consulter par jour pour pouvoir payer tout ça et sa facture ? Quand on dit que les tarifs sont élevés, alors que les coûts d’hospitalisation n’ont pas bougés depuis 14ans, alors que depuis tout ce temps, les charges n’ont fait qu’augmenter. A commencer par l’électricité, le loyer, les salaires des employés…», plaide-t-il.

Et le Dr Diallo de poursuivre sa complainte d’employeur, tenaillé par la crise. Selon lui, pour baisser le coût de la santé, l’Etat doit faire la même chose que dans le secteur de l’éducation. Parce que, soutient-il. «Les promoteurs de l’enseignement privé reçoivent des subventions de l’Etat. Nous sommes dans le secteur médical privé, nous participons à faire un service public même si on est dans le privé, un service public à la  disposition des populations. L’Etat devrait quand même participer, ne serait-ce qu’en mettant un tiers payant, en donnant des subventions.

Demain, l’Etat peut jouer sur la fiscalité en baissant la fiscalité au niveau sanitaire bien que, depuis l’année dernière, avec la réforme du Code des impôts, on a fait supprimer la TVA sur l’hôtellerie en milieu hospitalier», ajoute ce syndicaliste du Patronat médical.Malgré la gratuité de la dialyse, l’insuffisance rénale fabrique des pauvres…

S’il y a aujourd’hui une affection qui ruine bon nombre de malades, c’est bien l’insuffisance rénale. Au Sénégal, on dénombre près de 80 000 insuffisants rénaux, selon les chiffres du ministère de la Santé. Ils se sont réjouis de la baisse du coût de la dialyse, qui est passé de 60 000 à 10 000 francs CFA, la séance, sous l’ancien régime de Wade. Avec le président Macky Wade, ça a été rendu tout simplement gratuit. Soit un grand ouf de soulagement certes, mais considéré comme «insuffisant» si l’on sait ce qui les attend en termes d’ordonnances à payer.

Selon M. Momar Dieng, Président de l’Association de hémodialysés et insuffisants rénaux du Sénégal, le fait qu’elle soit gratuite est une bonne chose, mais nous dit-il, beaucoup de choses reste à faire. «Le problème, c’est que les dialysés sont très nombreux. Dans les structures, c’est de longues queues, il y’en a même qui rentrent sans être dialysé. Ils sont donc obligés de se rabattre sur les cliniques privées, mais là-bas, c’est très cher.

Il faut un certain soutien de la part de l’Etat dans ce sens. Je pense que c’est en train d’être négocié, même si ça prend du temps», dit-il. Expert maritime de profession, M. Dieng dit ne plus pouvoir servir correctement, eu égard à la lourdeur de la maladie. «Après une séance de dialyse, on est KO pour le reste de la journée. Et puis, financièrement, c’est très dur, même pour les riches, aucun revenu ne peut supporter ça», soutient-il, l’air dépité.

En effet, les insuffisants rénaux ont la particularité d’avoir des tensions très instables, ce qui nécessite un suivi régulier. Toujours selon M. Dieng, il y a des ampoules à prendre pour éviter l’anémie. Ces ampoules coûtent près de 85 000 francs dans les hôpitaux et presque 200 000 francs dans les pharmacies et c’est juste pour un mois. «La facture tourne autour de 90 000, voire 100 000 francs/ mois. Et les analyses n’en font pas partie, parce que le dialysé doit en faire, au moins une par mois et ça coûte au moins 40 000 francs. Si la dialyse n’était pas gratuite, ça allait être intenable.

Avant que la dialyse ne soit gratuite, j’en ai vu qui ont vendu leur maison pour pouvoir subvenir se soigner. Nous demandons aux autorités de faire en sorte que les efforts consentis dans le traitement de la dialyse, le soient aussi dans la subvention des médicaments parce qu’ils sont nombreux à en souffrir au Sénégal», révèle-t-il.

Au-delà des coûts élevés de la dialyse, les hémodialysés font face à une autre préoccupation. En effet, au Sénégal, alors qu’on compte un peu moins de 20 000 dialysés, seuls 5 centres sont opérationnels. Suffisant pour que le Président de l’Association des Consommateurs du Sénégal (Ascosen) ne lance un appel à l’Etat afin de multiplier les centres de dialyse.

Plaidoyer pour l’autorisation de la transplantation rénale…

Aujourd’hui, le drame d’un insuffisant rénal, c’est qu’il est condamné à faire de la dialyse pendant toute le reste de sa vie. Pourtant, une solution existe, mais elle n’est pas encore autorisée par la législation sénégalaise. C’est la transplantation rénale. Selon M. Dieng, chaque être humain dispose de deux reins, mais peut fonctionner avec un seul.

Et les hémodialysés sont malades parce qu’aucun de leurs reins ne fonctionne. «L’Association en a discuté avec les autorités de la Santé, le projet est en cours d’être rédigé, et elles nous ont promis qu’il sera bientôt soumis à l’Assemblée nationale pour voter la loi, parce que ça doit être accompagné d’un arsenal juridique. Mais ça traine toujours…

C’est la seule solution durable aujourd’hui. Aucun revenu ne peut supporter les dépenses d’un insuffisant rénal. C’est le souhait de tous les malades, il faut qu’on accélère la procédure», lance le président de l’Association des hémodialysés.

Un avis que semble d’ailleurs partager le Professeur Maguèye Guèye. Selon le président de la Commission médicale de l’hôpital de Grand Yoff, le Sénégal peut aller plus loin dans le traitement de ces malades. «Une dialyse sans transplantation rénale n’a pas d’avenir. Il faut s’orienter vers la transplantation rénale», dit-il. Mais le docteur Diallo l’analyse autrement.

Pour lui, tant qu’on n’a pas autorisé la transplantation rénale, on va créer des centres d’hémodialyse partout. Et ça pose problème parce que les produits utilisés pour faire la dialyse coûtent extrêmement cher. «Est-ce que l’Etat est en mesure de le supporter ? Pour certains types de maladies comme le diabète, l’hypertension est la source de tous les problèmes. Il faut travailler davantage sur la prévention. La meilleure chose à faire, c’est surtout l’éducation, ça n’a pas de prix, ça ne coûte rien du tout. C’est vous dire ‘‘diminuez la consommation du sucre et de sel et faites du sport’’», suggère-t-il.

Aujourd’hui, la cherté de la santé au Sénégal a des conséquences négatives sur le traitement de la santé, elle-même. En effet, acculés par les ordonnances, bon nombre de patients se ruent vers les médicaments de la rue, avec tout ce que cela comporte comme risque. «L’achat des médicaments de la rue est en quelque sorte, sous-tendu des problèmes de la pauvreté»,estime le consumériste Momar Ndao.

Même s’ils sont interdits à la vente, les médicaments de la rue continuent de faire des heureux à la petite bourse. Même si leurs conséquences peuvent être désastreuses pour la santé des patients, en raison des conditions douteuses de conservation, ils n’en constituent pas moins une alternative très prisée pour les parents qui semblent crouler sous le poids des ordonnances.

«C’est vrai que les conditions de conservation ne sont pas les mêmes que dans les pharmacies, mais  ils sont moins chers. En les achetant, je me contente de regarder la date de péremption et le reste je laisse entre les mains du Bon Dieu», indique ce père de famille, sous le couvert de l’anonymat. Selon ce dernier, il lui est impossible de continuer à payer, toute sa vie durant, des ordonnances, en plus de la ration alimentaire et des dépenses secondaires. «Tant que je n’ai pas les moyens, si je peux payer les médicaments à moitié, je n’hésiterai pas», avertit-il.

La CMU, bien dans la forme, mais dans le fond…

Dans le souci de rendre les soins accessibles à tous, le gouvernement du Sénégal a mis en place son fameux programme de Couverture Maladie Universelle. Un programme hautement salué. Mais même si l’idée est bonne, d’aucuns estiment que le fond est à revoir. Selon le Dr Diallo de la Clinique de l’Amitié, les soins ne peuvent pas être gratuits. «On parle de Couverture médicale universelle.

C’est bien, mais il y a des solutions qu’on pourrait mettre en place et qui pourraient aider à régler ces problèmes. Aujourd’hui, tout le monde a un téléphone portable, même dans le monde rural. Donc, on n’a qu’à mettre des taxes sur le téléphone, comme on l’a fait avec l’énergie. Il suffit d’augmenter de  1% du coût de la communication et ça veut dire que tous les Sénégalais vont participer au financement de la santé. Et ces sommes pourront être reversées pour le financement de la santé pour tous et pour que les populations puissent accéder aux soins, à moindre coût», préconise-t-il.

Même s’il salue l’idée, M. Ndao estime qu’il faut mettre les moyens et mesures d’accompagnement. Selon lui, s’il n’y a rien derrière pour le financement, ce ne sera qu’un échec à l’image du Plan Sésame. «En un moment donné, il y avait des dettes qui allaient jusqu’à plus d’un milliard de francs Cfa, parce que les fonds n’étaient pas mis en place pour permettre de prendre en charge tous les cas. Il arrivait que des personnes, répondant aux critères de prise en charge, ne soient pas admises dans un hôpital, parce que le financement n’était pas disponible», avertit-il.

Aujourd’hui, l’assurance-maladie pourrait permettre de faire un grand pas dans la réduction du coût de la santé au Sénégal. Mais Docteur Diallo est convaincu  qu’une meilleure organisation est indispensable. «L’assurance-maladie, dès lors qu’elle est bien contrôlé, peut faire l’affaire. C’est-à-dire quand on lutte contre la fraude, elle devient rentable. Maintenant, il faut une meilleure organisation, une meilleure gestion et que tout le monde joue le jeu.

Plus il y a d’assurés, plus le système va fonctionner. Il faut ouvrir l’assurance maladie au plus grand nombre, même aux agriculteurs, paysans, les acteurs de l’informel…On pourrait les organiser et ils auront accès à des soins par l’intermédiaire des compagnies d’assurance», préconise-t-il.

Terribles aveux d’un père de famille, ruiné par la santé de ses enfants

Quand M. Mboup s’apprêtait à aller à la retraite, il n’imaginait pas un seul instant, que le montant qu’il percevrait ne servirait pas à investir dans des projets, post-retraite, comme il l’avait planifié. Ancien employé de la Poste, ce vieillard, très actif, a vu sa vie basculer quand on lui a annoncé à l’hôpital que sa fille avait une insuffisance rénale et qu’elle devait faire des séances de dialyse pour survivre.

«C’est quand elle avait 3 ans qu’elle a eu une petite blessure, qu’on a soignée, mais en 2007, la plaie s’est réveillée. Quand la jambe a commencé à enfler, on a pensé à du tout, j’ai tenté la médecine traditionnelle sans succès, c’est après que j’ai vu des médecins très réceptifs qui m’ont dit qu’elle avait des problèmes de reins», dit-il, le regard dépité. Croyant et très attaché à sa famille, M. Mboup a du courir de centre en centre, avant que la dialyse ne soit gratuite.

S’il ne souffrait pas trop au début, grâce au soutien de l’IPRES qui prenait une bonne partie des frais, M. Mboup est aujourd’hui obligé de voler de ses propres ailes parce que sa fille, Deurgueune, a plus de 21 ans et n’est donc plus prise en charge par l’IPRES. A la retraite, avec une grande famille à nourrir, M. Mboup doit payer des ordonnances qui peuvent aller jusqu’à  100 000 francs le mois, sans compter les analyses et les déplacements.

«Si ce n’était pas les proches, je ne m’en sortirai jamais », dit-il. Comme si le sort s’acharnait sur lui, ce père de famille, déjà à bout de souffle, doit faire face à un nouveau fardeau. Yaye Dièye, la cadette est malade. Sa jambe n’arrive plus à se plier.

«Elle doit subir une opération qui coûte près d’un million pour sauver sa jambe», explique-t-il avec des mots qui sortent à peine de sa bouche. Comme sa sœur ainée, Yaye Dièye ne va plus à l’école, à cause de la maladie. Aujourd’hui, la situation est telle que M. Mboup ne pense plus à sa personne. Même s’il a eu une hyperglycémie, il n’y accorde pas beaucoup d’attention. «Je me préoccupe de mes filles et je laisse ma santé à Dieu…».

 

Oumar Fedior, Réussir business

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