Arrestation d’opposants, saccage de permanences de partis politiques : une précampagne présidentielle sous tension au Sénégal
Seuls quatre candidats sont autorisés à affronter le chef de l’Etat sortant, Macky Sall, au scrutin de février.
L’écrémage électoral annoncé aura donc bien eu lieu. A un mois du premier tour de l’élection présidentielle, la liste définitive des candidats a été affichée, dimanche soir 20 janvier, devant un Conseil constitutionnel assailli de journalistes. Sur les 139 dossiers de candidatures ouverts, seuls 27 ont pu être déposés et 5 définitivement validés par les « sept sages » du Conseil. La présidentielle du 24 février verra donc s’affronter Macky Sall, Idrissa Seck, Ousmane Sonko, Madické Niang et El-Hadji Issa Sall. Ce qui en fait l’élection avec le moins de candidats en lice depuis 1988.
Il faut dire que le processus de sélection a été particulièrement rigoureux avec l’ajout d’une étape aussi redoutée que controversée, celle du parrainage citoyen. Appliquée pour la première fois au Sénégal, cette mesure de tri démocratique a essuyé de nombreuses critiques de l’opposition et de la société civile.
« Candidatures fantaisistes »
Adoptée sans débat par la majorité de l’Assemblée nationale en avril 2018, cette nouvelle loi exige de chaque candidat l’obtention d’environ 53 000 signatures d’électeurs, soit 0,8 % du corps électoral sénégalais. Portée par le gouvernement qui y voit un outil de « progrès démocratique » limitant les « candidatures fantaisistes », elle a écarté de la course à la présidentielle la majorité des partis politiques en lice parmi les 300 recensés au Sénégal. Un nombre important pour un pays de 15 millions d’habitants, dont environ 6 millions sont inscrits au fichier électoral.
Si jusqu’en 1980, il n’existait que trois formations politiques, l’inflation des partis s’est accélérée sous Abdoulaye Wade (2000-2012). Son gouvernement en légalisa 143. Son successeur, le président actuel Macky Sall, avait poursuivi en validant 111 nouvelles formations, pour la plupart proches de la mouvance présidentielle, afin de renforcer sa coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY). Une tendance sur laquelle il est finalement revenu avec cette loi.
L’opposition n’a pas tardé à blâmer ce qu’elle définit comme une « mesure anticonstitutionnelle » menaçant la diversité du paysage politique sénégalais. Certains lui prêtent un dessein plus pernicieux : écarter les adversaires d’un président prêt à tout pour un second mandat. Sur les 27 candidats ayant complété leur dossier, tous n’étaient pas « fantaisistes ». Malick Gackou, président du Grand Parti, la députée Aissata Tall Sall ou Abdoul Mbaye, ancien premier ministre de Macky Sall, entre autres, présentaient un programme acté ou une base électorale solide. Ils n’ont pourtant pas réussi à obtenir les parrainages requis.
Achat de voix
Ce processus de filtrage a aussi essuyé de nombreuses accusations d’irrégularités. Notamment l’opacité du logiciel informatique chargé d’analyser les dizaines de milliers de signatures dont ni la provenance ni le fonctionnement n’ont été communiqués aux candidats. Faisant le tri dans les parrainages, il en a éliminé 175 000 pour « invalidité », dont des milliers de doublons. Un nombre conséquent qui révèle en filigrane une pratique d’achats de voix favorisant les candidats les plus riches. Au plus fort de la course aux parrainages, il se vendait sous le manteau des listes de dix électeurs à négocier entre 5 000 et 10 000 francs CFA (entre 7,6 et 15,30 euros). D’habiles receleurs vendant à plusieurs candidats les mêmes listes de signatures souvent remplies auprès de familles de banlieue et de campagne déshéritées méconnaissant le processus électoral.
Le 10 décembre, date de restitution de ces listes, bousculades et échauffourées ont éclaté devant le Conseil constitutionnel. Certains politiciens en sont ressortis avec bleus et coquards. La raison ? Le premier à remettre ses parrainages évitait de facto tout risque de doublons. Finalement, c’est la liste du président Macky Sall qui a réussi à passer en premier, avantage considérable dans la course à la présidentielle.
Campagne dans la campagne, la course aux parrainages a été l’occasion d’une guerre d’attrition entre le pouvoir et l’opposition qui ont multiplié les invectives et les signes de défiance. « Nous avons l’opposition la plus nulle de l’histoire du Sénégal », tançait en juin Benoît Sambou, ministre d’Etat et président de la Commission nationale du dialogue des territoires, reprochant aux adversaires du pouvoir leur manque de vision. Dans les rangs de l’opposition, le président est régulièrement qualifié de « dictateur ». Une attaque volontairement excessive dans un pays qui reste un modèle de démocratie dans la région.
Longue descente aux enfers
Mais le coup porté à l’opposition le plus important est l’élimination définitive des deux plus grands adversaires de Macky Sall : Karim Wade et Khalifa Sall. Le premier, fils d’ancien président, condamné pour enrichissement illicite en 2015 à six ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d’amende (210 millions d’euros), a été gracié une année plus tard par Macky Sall. Exilé depuis au Qatar, d’où il dirige le Parti démocratique sénégalais (PDS) de son père, il n’a cessé de promettre un retour qui n’arrivera sans doute jamais. Car, à moins de rembourser sa dette à l’Etat, un pied sur le sol sénégalais le conduirait immédiatement en prison.
Quant à Khalifa Sall, l’ancien maire de la capitale de 63 ans incarcéré depuis mars 2017, il a connu une longue descente aux enfers. Définitivement condamné en cassation le 3 janvier pour « escroquerie aux deniers publics » après un procès aux multiples rebondissements, il a successivement perdu son immunité parlementaire, son poste de maire, puis, vendredi, celui de député. L’ONG Amnesty International et la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont eu beau dénoncer que plusieurs des droits de l’opposant ont été bafoués, il restera en prison pour achever de purger sa peine de cinq ans. Aujourd’hui, plus isolés que jamais, ses électeurs se tournent vers d’autres candidats.
Communication électorale du compte Twitter de l’Alliance pour la République, parti du président-candidat Macky Sall qui briguera un second mandat lors du scrutin du 24 février 2019.
Communication électorale du compte Twitter de l’Alliance pour la République, parti du président-candidat Macky Sall qui briguera un second mandat lors du scrutin du 24 février 2019. Twitter
Ils ne sont pas les seuls. L’intégralité de l’opposition est en recomposition depuis la confirmation des candidatures. En décembre déjà, 25 chefs de parti se regroupaient sous l’égide d’un collectif de candidats à l’élection présidentielle, le C25, afin de coordonner un front « contre le coup d’Etat électoral du président ». Dans un communiqué virulent publié lundi 21 janvier, ils appellent à « la mobilisation de tous les segments de la population, de tous les électeurs civils, militaires et paramilitaires, des élèves et étudiants, des syndicats de travailleurs, de la presse, pour empêcher le déroulement du plan de réélection frauduleuse de Macky Sall ».
Le même jour, le président-candidat traversait la capitale escorté de véhicules tout-terrain sous les nombreuses affiches à son effigie avant de rejoindre le centre du pays où il était attendu pour une série d’inaugurations : un pont, des routes bituminées et des navires. Elles viennent s’ajouter à une impressionnante liste d’infrastructures parachevées ces derniers mois parmi lesquels un aéroport, un TER, deux stades, une cité administrative, une nouvelle compagnie aérienne et plusieurs mosquées. Un bilan de bâtisseur qui, malgré une précampagne déjà envenimée, semble assurer au rouleau compresseur politique Macky Sall de faire la course en tête.
Matteo Maillard, LeMonde