Afrique

Révélations fracassantes sur le régime de Jammeh: pillage en règle de l’économie gambienne et de la foret casamançaise

The Great Gambia Heist Jammeh
THE GREAT GAMBIA HEIST

Yahya Jammeh a régné d’une main de fer et pendant plus de deux décennies sur la Gambie. Celui qui s’est auto-proclamé ‘’Babili Mansa’’ est rapidement devenu un dictateur, après avoir pris le pouvoir lors d’un coup d’État en 1994. Ce qui fait que la Gambie était restée un mystère pour tout le monde. Après sa chute, des journalistes et des enquêteurs ont investi le pays, pour tenter de comprendre ce qui s’est passé pendant tout le temps que Yahya Jammeh était au pouvoir : Les résultats font plus que froid dans le dos. On y trouve desdangereux liens entre Yahya Jammeh et le Hezbollah libanais, mais aussi et surtout la manière dont celui qui se faisait appeler His Excellency Sheikh Professor Alhaji Doctor Yahya Abdul-Azziz Jemus Junkung Jammeh Nasirul Deen Babili Mansa et le Mfdc se sont partagé, à coup de dizaine de millions de dollars, les forêts de la région naturelle de la Casamance.

On s’en doutait et certains en étaient même plus que sûrs : Yahya Jammeh a joué avec les deniers publics de la Gambie, qu’il a dirigée d’une main de fer pendant une vingtaine d’années. Après son départ forcé du pouvoir, le 21 janvier 2017, des enquêteurs et des journalistes ont tenté de savoir comment «le dictateur» a régné pendant tout ce temps. C’est ainsi que desjournalistes d’investigation regroupés dans le cadre Occrp (The Organised Crime and Corruption Reporting Project) (Projet de signalement du crime organisé et de la corruption, en français) ont décidé de mener une enquête pour démontrer un système de spoliation de la Gambie par son ancien chef d’Etat, Yahya Jammeh. Selon les révélations de l’enquête, parcourue par «Les Échos», l’ancien Président gambien a volé près de 1 milliard de dollars (environ 500 milliards de francs Cfa) lors de son exil, il y a deux ans.

Pour ce qui est de leur méthode de travail, les enquêteurs de l’Occrp ont analysé des milliers de documents couvrant plus de deux décennies, de 1995 à 2016. Des documents qui ont révélé comment le réseau de favoritisme de Jammeh avait détourné des fonds publics provenant de ou via la Banque centrale de Gambie, la Société de sécurité sociale et de financement du logement, le Gambia National Petroleum Corp et d’autres entités appartenant à l’État.

Ils citent par exemple un rapport interne du gouvernement lui-même qui indique que si les sociétés de Mohamed Bazzi, responsable libanais des sociétés pétrolières et énergétiques Global Trading Group et Euro African Group, de loin le plus influent parmi l’entourage de Jammeh, avaient été contrôlées, les revenus de Gamtel auraient quadruplé et auraient évité «un milliard de dalasis de dettes» (environ 20 millions de dollars).

JAMMEH OUVRE UN COMPTE SECRET AU NOM DE L’ÉTAT

En effet, pour gérer les millions qui affluent à la Banque centrale à son avantage, Jammeh y a ouvert un autre compte au nom de l’État à la mi-2014. Un compte au nom de son plan de développement «Special Vision» pour la Gambie. Les fonds du compte Gateway, ainsi que de nouveaux flux provenant de MGI (une société de Télécommunication suisse qui a la gestion des appels internationaux de l’opérateur historique du pays Gamtel),totalisant 43 millions de dollars, ont été transférés dans ce nouveau compte. Presque immédiatement après l’ouverture du compte, une partie de l’argent a été retirée. En juillet 2014, cinq retraits en espèces totalisant 2,6 millions de dollars ont été effectués.
Le dernier retrait du compte a été effectué le 23 janvier 2017, soit deux jours après le départ de Jammeh du pays. Au total, les sociétés privées ont siphonné 82% du revenu de Gamtel (363,9 millions de dollars) entre 2006 et 2016. Contactée par les journalistes enquêteurs, la société n’a pas répondu aux demandes de commentaires.

DROITS DU BOIS ET SYSTEME DES BOIS RARES

Les entreprises de Bazzi ne sont pas la seule «affaire» du Président à rapporter de l’argent. L’argent public n’était pas non plus la seule source de richesse de Jammeh. Au cours de son règne, la Gambie a exporté du bois de rose d’une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars, un bois en voie de disparition que l’on ne retrouve pas dans ses propres forêts. Le partenariat de Jammeh avec deux Roumains a créé un monopole sur l’exportation de bois qui leur a permis de contrôler le commerce illégal du bois de rose.

À partir de 2011, le pays est devenu un canal de bois précieux en Chine, où une tonne de bois de rose peut être vendue jusqu’à 25.000 dollars et où une forte demande peut faire passer le prix d’un cadre de lit sculpté à un million de dollars.

99% DE TOUTES LES GRUMES DE BOIS DE ROSE EXPORTEES VERS LA CHINE PROVIENNENT DE FORETS SENEGALAISES ET NON DE GAMBIE

Selon Babacar Salif Guèye, ancien responsable de la gestion des forêts au Sénégal, la quasi-totalité des exportations de bois de rose de la Gambie vers la Chine provenait des forêts sénégalaises. «99% de toutes les grumes de bois de rose exportées vers la Chine proviennent de forêts sénégalaises et non de Gambie», assure-t-il. Une déclaration de l’officiel sénégalais que semblent corroborer les chiffres officiels. La Gambie produit peu de bois précieux, selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Selon l’organisme onusien, seulement 3% du pays est densément boisé et une grande partie du bois est «tordue ou endommagée d’une autre manière».

Conscient de cette situation, Yahya Jammeh n’a eu qu’à regarder en Casamance pour trouver de vastes réserves de bois précieux. «La région abrite l’ethnie Joola, dont fait partie Jammeh, et le Président entretient des liens étroits avec la région», commentent les journalistes.
À partir de là, le bois de rose a quitté la Casamance pour se rendre en Gambie. De là, il a été exporté en Chine, bien que la législation sénégalaise interdise l’abattage du bois de rose et que le commerce soit étroitement surveillé par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction.

LE MFDC AURAIT TIRE 19,5 MILLIONS DE DOLLARS DU COMMERCE ILLEGAL DE BOIS ENTRE 2010 ET 2014

Mais, selon les enquêteurs, Yahya Jammeh n’est pas le seul qui a profité de cette contrebande. Selon l’enquête, le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) a également tiré parti du commerce du bois de rose. Le groupe de rebelles aurait obtenu 19,5 millions de dollars du commerce illégal de bois entre 2010 et 2014, selon un rapport de Forest Trends, une organisation caritative environnementale américaine. Au total, 325,5 millions de dollars de bois illégal ont transité par les ports de la Gambie entre 2010 et 2016. La grande majorité de ce bois représentant du bois précieux s’est dirigée vers la Chine. Selon l’ancien ministre de l’Écologie du Sénégal, Haidar El Ali, il s’agissait en majorité de bois de rose illégalement introduit en Gambie.

LES DANGEREUX LIENS ENTRE YAHYA JAMMEH ET LE HEZBOLLAH LIBANAIS DEVOILES

L’un des premiers actes diplomatiques de Yahya Jammeh, après l’arrivée au pouvoir en Gambie, est de trouver des liens avec le Hezbollah, un groupe militant basé au Liban, que les États-Unis ont qualifié d’organisation terroriste depuis 1997. C’est ce que rapporte une enquête menée par un consortium de journalistes. Selon l’enquête, Yahya Jammeh a amassé de grosses sommes d’argent en faisant affaire avec des financiers du Hezbollah. Au Hezbollah, Jammeh a trouvé des investisseurs fortunés qui devaient blanchir son argent pour contourner les sanctions internationales «et leur avaient donné accès à l’économie de son pays en échange d’une réduction de leurs activités».

Toujours, selon l’enquête, la stratégie de Jammeh consistait à paralyser l’économie de la Gambie en évitant la concurrence au profit de l’attribution de monopoles à son réseau de clients. «Ces monopoles ont aidé des institutions clés, y compris la Banque centrale de Gambie, à servir de plaques tournantes du blanchiment d’argent pour les fonds déposés dans les systèmes financiers du pays ou utilisés pour les investissements», révèle les enquêteurs qui renseignent que «la volonté du président de travailler avec le Hezbollah a permis à la petite économie gambienne d’être manipulée pour obtenir un financement lié au militant sous le bouclier de sa souveraineté».

C’est en marge de ces liens qu’Ali Charara, l’un des principaux financiers du Hezbollah, a versé 35 millions de dollars pour 50% de la société de télécommunication publique Gambia Telecommunications Co. Ltd., connue sous le nom de Gamtel, et 50% de sa filiale, connue sous le nom de Gamcel. «L’accord a sous-évalué de moitié chaque entreprise, selon Lamin Camara, alors secrétaire permanent du ministère de la Communication», renseigne le document.

Un autre bailleur de fonds connu du Hezbollah, Kassim Tajideen, actif en Gambie par l’intermédiaire de Tajco, son conglomérat commercial, a aidé le pays à devenir la laverie financière du groupe militant. Kassim et son frère Husayn ont été identifiés par les États-Unis comme des acteurs essentiels des activités de financement du Hezbollah en Afrique, y compris en République démocratique du Congo, où ils ont blanchi des dizaines de millions de dollars par le biais de sociétés telles que Congo Futur, qui exerce ses activités dans les secteurs de l’alimentation et de la restauration, mais également de commerce de diamants sous sanction américaine. « Jammeh a officiellement déporté Husayn en 2013, mais l’a discrètement autorisé à retourner en Gambie quelques mois plus tard», lit-on sur l’enquête.

Mais le personnage le plus visible du Hezbollah en Gambie est Mohamed Bazzi, un homme d’affaires libanais désigné par le gouvernement américain comme un financier clé du groupe militant. Bazzi était également l’un des plus proches associés non gouvernementaux du président. Avec l’assentiment de Jammeh, l’homme d’affaires et son réseau ont conquis différents monopoles dont le plus lucratif est le marché du pétrole et des carburants. Mais, il y avait également des contrats dans la construction, les véhicules et les données biométriques. Bazzi a présenté Jammeh à Charara, qui, selon le gouvernement américain, aurait soutenu le groupe militant par des investissements de plusieurs millions de dollars dans des projets commerciaux.

Durant toutes les années au pouvoir, Jammeh a maintenu une position contradictoire à l’égard du Hezbollah. Il a publiquement expulsé Tajideen et Charara sous des accusations de profit. Mais il a permis à Charara de revenir en Gambie peu de temps après et de reprendre ses activités.

De même, selon le Trésor américain, l’argent pris dans les coffres publics, y compris les fonds de pension et l’aide des donateurs, a profité au Hezbollah. Plus de 100 millions de dollars de l’industrie des télécommunications de la Gambie ont été versés au groupe, selon l’enquête.

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