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Les Africains veulent-ils des médias libres : l’Enquête d’Afrobaromètre qui prouve que les Sénégalais n’ont pas confiance en leur presse

Couverture du Rapport d’Afrobaromètre
Couverture du Rapport d’Afrobaromètre

Sur trois rounds d’enquête depuis 2011, Afrobaromètre a demandé aux répondants de choisir un camp par rapport à la question de la liberté des médias en choisissant laquelle de deux affirmations est la plus proche de leur opinion. Au Sénégal, les personnes sondées ont très majoritairement tourné le dos à leur presse, comme le rapporte le document parcouru par KLINFOS.COM.

Les deux « questions » sont :

Affirmation 1 : Les médias devraient être libres de publier toute opinion ou idée sans le contrôle du gouvernement.

Affirmation 2 : Le gouvernement devrait pouvoir interdire aux médias de publier tout ce qui pourrait nuire à la société.

Au cours du tout dernier round, et pour la première fois, les supporteurs de la liberté́ des médias sont minoritaires : En moyenne à travers 34 pays, 47% sont « d’accord » ou « tout à fait d’accord » avec l’affirmation qui soutient la liberté́ des médias, tandis que 49% soutiennent le droit du gouvernement à contrôler certaines communications médiatiques (Figure 1). Juste 4% ont choisi de ne s’accorder avec aucune des affirmations, de refuser de répondre, ou de dire qu’ils ne savent pas.

De grandes majorités dans 15 pays sont en faveur de l’affirmation qui soutient la liberté des médias, dont plus de six sur 10 à Madagascar (70%), au Malawi (67%), à Maurice (62%), au Gabon (62%), et au Botswana (62%). Mais de grandes majorités dans 18 pays sont en faveur des limitations gouvernementales, dont deux-tiers ou plus des citoyens au Sénégal (79%), au Mali (75%), au Liberia (66%), et en Gambie (66%).

Le soutien à la liberté des médias est le plus bas en Afrique de l’Ouest, la seule région où une grande majorité est en faveur du droit des gouvernements à empêcher quelques publications.

Les Africains veulent-ils des médias libres : l'Enquête d’Afrobaromètre qui prouve que les Sénégalais n'ont pas confiance en leur presse

Introduction du rapport d’Afrobaromètre

En Afrique, comme partout ailleurs, les médias de masse font face à des opportunités et des menaces toujours plus nombreuses. Les nouvelles technologies permettent aux producteurs de partager plus facilement du contenu aussi bien globalement qu’à moindre coût, ce qui crée une prolifération et une diversification des sources d’informations (Varzandeh, 2018). Et des populations plus importantes peuvent accéder à du contenu plus facilement et à moindre coût qu’auparavant – et participer eux-mêmes à ces discussions – à travers des tribunes téléphoniques sur les chaines de radio en langue vernaculaire, des sites d’actualités sur l’Internet, et des réseaux sociaux tels que WhatsApp et Twitter.

En revanche, la nouvelle concurrence et l’accès à un contenu gratuit menacent les revenus des médias. Le scepticisme du consommateur par rapport aux acteurs des médias a grimpé en flèche puisque plus de personnes perçoivent les médias comme propagateurs de mensonges, de préjugés, et de propagande haineuse, surtout lorsque les messages critiquent les politiciens ou les politiques qu’ils soutiennent. Les politiciens – dans les régimes aussi bien démocratiques qu’autoritaires – sont plus que ravis d’alimenter cette colère, ce qui ouvre la voie aux gouvernements qui initient des attaques légales et extra-légales toujours plus téméraires contre les médias. Les observateurs des médias, tels que Freedom House, le Comité pour la Protection des Journalistes, et Reporters Sans Frontières, font état de l’accroissement de la règlementation, la censure, et même la violence du gouvernement contre les acteurs de médias en Afrique et dans le monde (Reporters Sans Frontières, 2018a; Shahbaz, 2018; Simon, 2017).

Quelle est la position de l’Africain ordinaire dans ce débat évolutif portant sur la liberté et les contraintes?
Le dernier round d’enquêtes d’Afrobaromètre, conduit dans 34 pays dans toutes les régions du continent, attire l’attention des défenseurs de la liberté de la presse: Le soutien populaire à la liberté des médias – majoritaire il y a trois ans seulement – est maintenant minoritaire, surpassé par ceux qui accorderaient le droit de censure aux gouvernements.

Cette sonnette d’alarme marque également un paradoxe. D’une part, beaucoup d’Africains pensent que les médias dans leurs pays ont plus de libertés aujourd’hui qu’ils n’en avaient il y a plusieurs années. Rien ne dit cependant que ces développements sont positivement appréciés. En effet, parmi les citoyens qui perçoivent un accroissement des libertés des médias dans leur pays, ceux qui appellent le gouvernement à restreindre davantage les libertés des médias dépassent de loin le nombre de ceux qui soutiennent un élargissement des libertés de la presse.

Fait plus encourageant, peut-être, ceux qui perçoivent le déclin des libertés des médias dans leur pays sont plus susceptibles de soutenir les libertés que les restrictions. Quoi qu’il en soit, il s’avère qu’un nombre important d’Africains sont mécontents de l’état actuel des médias dans leur pays, du moins en ce qui concerne la demande et l’offre de libertés.

Néanmoins, quasiment tous les Africains ont recours aux médias de masse pour s’informer de l’actualité. La radio est encore la source d’informations la plus largement consultée, suivie de la télévision, alors que le lectorat des journaux demeure relativement rare sur le continent. L’accès à l’Internet et aux réseaux sociaux s’accroit, des majorités rapportant un usage régulier dans certains pays. Il existe cependant une grande fracture numérique: L’accès aux sources numériques est beaucoup plus élevé dans certains pays que d’autres, et est déséquilibré en faveur des citoyens les plus nantis, mieux instruits, et plus jeunes, ainsi que des citadins et des hommes.

Enquête d’Afrobaromètre

Afrobaromètre est un réseau de recherche panafricain et non-partisan qui mène des enquêtes d’opinion publique sur la démocratie, la gouvernance, les conditions économiques, et d’autres questions connexes à travers plus de 30 pays d’Afrique. Six rounds d’enquêtes ont été conduits entre 1999 et 2015. Les résultats des enquêtes au titre du Round

7 (2016/2018), conduites avec plus de 45.000 répondants dans 34 pays entre septembre 2016 et septembre 2018, sont actuellement en cours de publication. Les lecteurs intéressés peuvent suivre nos publications, y compris les Pan-Africa Profiles, notre série d’analyses transnationales au titre du Round 7, à #VoicesAfrica et s’inscrire dans notre liste de distribution à www.afrobarometer.org.

Afrobaromètre mène des entretiens face-à-face dans la langue du répondant avec des échantillons représentatifs à l’échelle nationale qui produisent des résultats nationaux avec des marges d’erreur de +/-2 à +/-3 points de pourcentage à un niveau de confiance de 95%.

Cette synthèse de politique s’appuie principalement sur les données du Round 7, avec des comparaisons au fil du temps pour les pays déjà enquêtés durant des rounds précédents (voir l’Annexe pour la liste des pays et des dates d’enquêtes). Les données sont pondérées de sorte à obtenir des échantillons nationalement représentatifs. Chaque pays est équitablement pondéré; les données à l’échelle continentale ci-dessous sont donc des moyennes de données nationales, sans ajustement à la taille des populations nationales.
Résultats clés

▪ Le soutien populaire à la liberté des médias continue de baisser, chutant à moins de la moitié (47%) des répondants à travers 34 pays. Aujourd’hui, plus d’Africains (49%) affirment que les gouvernements devraient avoir le droit d’interdire les publications qu’ils considèrent nuisibles.
▪ Vingt-cinq des 31 pays enquêtés depuis 2011 ont connu une baisse des niveaux de soutien à la liberté des médias sur cette période, y compris des baisses drastiques en Tanzanie (-33 points de pourcentage), au Cabo Verde (-27), en Ouganda (-21), et en Tunisie (-21).
▪ Pourtant plus d’Africains perçoivent l’accroissement (43%) plutôt que la baisse (32%) de la liberté qu’ont les médias d’enquêter sur le gouvernement et le critiquer. Les évaluations varient considérablement d’un pays à l’autre, de 80% des Gambiens qui perçoivent plus de liberté des médias à 66% des Gabonais qui en perçoivent moins.
▪ Les Africains sont généralement mécontents de l’état des médias. Au nombre de ceux qui affirment que la liberté prend de l’ampleur dans leur pays, la majorité (54%) soutiennent un contrôle gouvernemental plus accru. Cependant, parmi ceux qui pensent que la liberté est en baisse, la majorité (54%) soutiennent la liberté des médias contre le contrôle gouvernemental.
▪ Parmi les médias de masse, la radio demeure la principale source d’informations, quand bien même sa prédominance est en baisse: 42% rapportent s’en servir tous les jours, ce qui correspond à une régression de 5 points de pourcentage par rapport à 2011/2013. La télévision est la source quotidienne d’informations d’un Africain sur trois (35%) et est la première source d’informations dans neuf pays. Enfin, 7% seulement lisent les journaux quotidiennement.
▪ La dépendance à l’égard de l’Internet et des réseaux sociaux pour se tenir informé de l’actualité est en progression rapide. Presque un sur cinq Africains affirment faire usage quotidiennement de l’Internet (18%) et/ou des réseaux sociaux (19%) pour se tenir informé. L’usage de l’Internet et des réseaux sociaux est nettement plus courant parmi les populations les plus jeunes, citadines, et mieux instruites, et d’importantes disparités émergent d’un pays à l’autre et d’une région à l’autre quant à l’accès.

Paysage médiatique en évolution

Les décennies récentes ont entrainé d’importants changements positifs au sein du paysage médiatique africain. Les limitations imposées à la radio, à la télévision, et aux publications écrites ont régressé de façon significative au début des années 90, à la suite de changements politiques plus larges, et les monopoles publics de radiodiffusion et télévision et de presse écrite ont pris fin dans la plupart des pays. La libéralisation financière a entrainé de nouvelles opportunités qui ont permis à des acteurs privés de créer des chaines de radiodiffusion et de télévision, des journaux de presse écrite, et, plus tard, des sites web. Ces changements impliquaient pour des populations précédemment insuffisamment desservies une prolifération des sources, la diversification des voix, et un accès généralement plus large, puisque les maisons de presse se sont multipliées de façon exponentielle, surtout les chaines radiophoniques en langue vernaculaire (Okoth, 2015). Légalement, les limitations imposées aux libertés d’expression et de la presse ont régressé (Bourgault, 1995; Nyamnjoh, 2005). Et dès lors que les conditions de vie et les systèmes éducatifs s’améliorent dans beaucoup de pays, plus de personnes réclament – et peuvent obtenir – des informations politiques.

D’autre part, la prolifération des maisons de presse, et la facilité pour un éventail encore plus large d’acteurs d’atteindre un grand public à travers l’Internet et les réseaux sociaux, ont donné lieu à un accroissement apparent du contenu biaisé, des fausses informations, et même des discours incendiaires et haineux, la plupart à consonance ethnique manifeste ou codée. Les politiciens, les simples citoyens, et même un certain nombre d’organisations de la société civile ont appelé à un contrôle accru, arguant qu’en substance, les médias sont devenus trop libres, au détriment de la société.

Les gouvernements réagissent diversement à l’avènement des nouveaux paysages médiatiques, parfois œuvrant à la limitation de l’accès et des libertés. Les nouvelles dispositions législatives et réglementaires limitent qui peut produire et diffuser du contenu, et qualifient certains types de contenu de problématiques. Les gouvernements présentent souvent ces nouvelles lois comme des nécessités visant à améliorer l’ordre et la sécurité, protéger les groupes vulnérables des discours haineux et les propos incendiaires, et empêcher la diffusion des fausses informations qui pourraient nuire au discours politique et même à la sûreté et la santé publiques. Beaucoup craignent cependant que ces dispositions législatives et réglementaires soient surtout conçues pour limiter les messages anti-gouvernementaux et pro-opposition, étouffer les manifestations, et généralement protéger les gouvernements de l’embarras ou de la destitution.

En Afrique de l’Est, par exemple, les années récentes ont été marquées par une recrudescence de nouvelles actions visant à la restriction des médias (Internews, 2018). Depuis 2015, la Tanzanie a pénalisé la publication de statistiques sans l’approbation expresse du bureau national des statistiques, ainsi que les informations considérées fausses, injurieuses, ou incendiaires (Dahir, 2018). En outre, une panoplie de nouvelles régulations exigent des producteurs de contenu, y compris les bloggeurs, de se faire immatriculer (et payer des frais exorbitants pour ce faire) et parfois de déclarer à l’avance leur contenu. Juste ce mois-ci, la Tanzanie a placé en détention puis refusé l’entrée sur son territoire à Wairagala Wakabi, le directeur exécutif de Collaboration on International ICT Policy for East and Southern Africa (CIPESA), critiqueur des restrictions imposées aux libertés sur l’Internet (Kampala Dispatch, 2019). En Ouganda voisin, une loi de 2018 instaurant « une taxe sur les réseaux sociaux » a selon certaines sources réduit drastiquement leur usage, tandis que le gouvernement Kenyan a fermé trois grandes chaines de télévision sur une période de 10 jours cette année- là, parce qu’elles prévoyaient de diffuser en direct la cérémonie « d’investiture » présidentielle du chef de l’opposition Raila Odinga (BBC News, 2018; Dahir, 2019).

De plus en plus, les gouvernements africains se servent d’instruments encore plus grossiers, tels que la perturbation pure et simple de l’Internet et des réseaux sociaux pendant les périodes critiques. Selon Collaboration on International ICT Policy for East and Southern Africa (CIPESA, 2019), 22 pays d’Afrique ont ordonné la coupure des réseaux Internet depuis 2015, et six pays – l’Algérie, le Tchad, la République Démocratique du Congo (RDC), le Gabon, le Soudan, et le Zimbabwe – ont déjà ordonné ces coupures seulement au cours des trois premiers mois de 2019. Dans certains cas (RDC, Gabon, Mali, Maroc, Mauritanie, et Sierra Leone), les fermetures coïncidaient avec des élections, tandis que dans d’autres (Algérie, Burundi, RDC, République du Congo, Soudan, Togo, et Zimbabwe), des perturbations sont intervenues en réponse aux protestations de masse ou, comme au Cameroun, à la rébellion violente. (Et dans deux pays – Algérie et Ethiopie – les fermetures sont apparemment intervenues en réponse à la tricherie des étudiants durant les examens.) Le Tchad a bloqué les réseaux sociaux, y compris Facebook, Twitter, et WhatsApp, pendant plus d’une année. Ces mesures suggèrent une peur croissante, surtout de la part des dirigeants des régimes peu démocratiques, des potentielles menaces que pose l’accès à l’Internet et aux réseaux sociaux au statu quo.

Le ciblage des journalistes à travers des poursuites politiques et des actes de violence est inquiétant. En 2015, le journaliste camerounais Ahmed Abba a été condamné à 10 ans de prison pour promotion du « terrorisme ». (Il a été libéré vers la fin 2017, après 876 jours de détention (Comité pour la Protection des Journalistes, 2017.) Et en janvier 2019, le journaliste ghanéen Ahmed Hussein-Suale, qui s’impliquait dans les enquêtes de l’organisation Tiger Eye PI sur la corruption, a été tué par deux hommes armés, peu après qu’un parlementaire ait exposé son identité et son adresse et appelé à des actes de violence contre lui lors d’un entretien télévisé (Gunter, 2019).

Dans ce contexte, les perceptions des citoyens quant à la liberté des médias revêtissent une urgence particulière. Le soutien populaire à la liberté des médias pourrait contribuer à protéger les médias de ces genres d’attaques. D’autre part, lorsque le public est sceptique par rapport aux médias et à la valeur que des médias libres apportent à la société, ces attitudes pourraient servir de base aux dirigeants pour mettre en place des instruments de limitation de plus en plus extrêmes.

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