Affaire Mamadou Woury Diallo : le directeur des Grâces brise le silence
Le Directeur des Affaires criminelles et des Grâces du ministère de la Justice a enfin accepté de briser le silence sur l’ffaire Mamadou Woury Diallo. Dans un entretien accordé à iRadio , Mandiaye Niang s’est prononcé sur la polémique née de la grâce accordée à Mamadou Woury Diallo, condamné pour trafic de faux médicaments et dont la procédure était encore pendante devant la justice. Mandiaye Niang avoue qu’il y a un dysfonctionnement, avant de rejeter les accusations selon lesquelles il y a une mafia autour de la grâce.
L’entretien:
La grâce accordée à Mamadou Woury Diallo fait polémique et a même suscité la colère des pharmaciens. Lesquels menacent d’aller en grève ce mercredi pour dénoncer cette décision. Comment ce prévenu a-t-il pu bénéficier d’une grâce alors que l’affaire le concernant est encore pendante devant la justice ?
Il m’est difficile de répondre sur le cas spécifique de Mamadou Woury Diallo parce que on traite un grand nombre de dossiers pour ce qui concerne la grâce. Ce que je peux vous expliquer, c’est que la grâce est une mesure parfaitement légale à la disposition du président de la République. La Constitution lui octroie ce privilège d’accorder la grâce à qui il entend accorder cette faveur. Et même si la Constitution n’est pas bavarde en ce qui concerne la grâce parce qu’elle se contente simplement de dire que le président dispose du droit de grâce, au moins il y a quelques règles qui président à son octroi. Cela veut dire qu’on ne peut pas gracier quelqu’un qui n’a pas encore fait l’objet d’une peine définitive. La grâce est un pardon. On ne pardonne pas à quelqu’un dont la faute n’est pas totalement consacrée. Donc, certainement c’est un cas de dysfonctionnement. Mais quelqu’un dont le procès est en cours, en principe, ne bénéficie pas d’une grâce. Son cas sera évoqué et il y aura forcément jugement.
Que comptez-vous faire vu que le procès en appel est prévu pour le 27 mai prochain ?
Il y a plusieurs choses à expliquer parce que nous n’avons pas attendu ce cas pour prendre des mesures pour que les dysfonctionnements n’existent plus. Il faut savoir que la façon dont les grâces sont utilisées au Sénégal répond à un besoin. Parce que nous n’avons malheureusement pas de pratiques d’aménagement des peines. Dans toutes les législations modernes du monde, les gens bénéficient de mesures de remise de peine régulière en fonction de leur bonne conduite et on les prépare à se resocialiser. Et pour cela, il y a des mesures qui doivent être prises. Nous avions ces lois depuis 2000 mais, malheureusement pas les organes qui devaient mettre en œuvre l’aménagement des peines en accordant des réductions de peine. En fait, tout ce mécanisme était en panne. Et les grâces politiques étaient venues au secours de ces mécanismes. Mais, ce que je puis vous dire aujourd’hui c’est que nous avons travaillé ces deux dernières années pour mettre en place tous ces organes. Ces organes existent désormais et on sait que nous aurons de moins en moins besoin des grâces collectives.
Est-ce qu’il y a une enquête qui a été menée au niveau de la direction des affaires criminelles et des grâces pour savoir les conditions dans lesquelles Mamadou Woury Diallo a bénéficié de cette grâce ?
Certainement ! Quand il y a des cas de dysfonctionnement à l’interne, on essaye toujours de savoir qu’est ce qui a pu mal se passer. Peut-être, ce n’est pas le lieu de venir après pointer du doigt où ç’a pu mal tourner. Aujourd’hui, ce qui nous préoccupe surtout au niveau de la Direction, du ministère, c’est de régler les problèmes qui doivent être réglés et faire en sorte que les cas de dysfonctionnements qui ont pu exister par le passé soient résolus. Et cela, je puis vous assurer qu’on y a travaillé.
Comment ?
La vérité est que les grâces collectives ont vocation même à disparaitre. Le président de la République gracie normalement les personnes individuellement. C’est parce que nous avions un mécanisme d’aménagement des peines en panne que les grâces collectives sont venues au secours. Mais maintenant que ce mécanisme n’est plus en panne, la grâce va devenir ce qu’elle devait être. C’est-à-dire des mesures individuelles qu’apporte le président de la République en fonction d’une situation sociale ou politique. Il peut arriver qu’elle concerne quelques individus. On ne peut pas aujourd’hui dire que la grâce collective va disparaitre mais avec les mesures qu’on a prises au niveau des cinq Cour d’appel de Dakar, avec les commissions pénitentiaires consultatives de l’aménagement des peines qui commencent à fonctionner au niveau de toutes les prisons. Ces commissions d’aménagement des peines sont présidées par un juge de l’application des peines et le procureur, le chef de Cour, le directeur de l’établissement pénitentiaire y siègent. Et là, on aura simplement affaire à des gens pour lesquels il est avéré que la condamnation est devenue définitive. Il y a aussi des critères précis qui vont présider à la réduction de peine, c’est-à-dire le bon comportement en prison. Dans chaque dossier il y a des rapports qui seront faits, l’avis des commissions sera donné et on va transmettre à la Cour d’appel. Bref, il y a tout un mécanisme sur lequel nous avons travaillé depuis 2 ans et qui est maintenant abouti. Avec ces mécanismes, la grâce va redevenir exceptionnelle. Donc, on aura plus besoin de cet outil pour faire respirer prisons. Il est vrai qu’il y a eu des cas de dysfonctionnements mais ce qu’il ne faut pas oublier aussi, c’est que nous avons des infrastructures très limitées et c’était des prisons surpeuplées. Peut-être si on n’avait pas eu les grâces collectives qu’on avait plus ou moins inventées pour remplacer les mécanismes défectueux, peut-être que les prisons auraient explosé.
Est-ce que souvent, il y a une enquête de moralité qui est faite quand un prisonnier formule une demande pour bénéficier de la grâce ?
La grâce initialement n’est pas organisée. Il y a juste un texte. Bien entendue, il y a une loi, par exemple sur les stupéfiants, qui limite la grâce. Il faut que la personne ait purgé les 4/5 de sa peine pour être éligible. A part ça, il n’y a presque rien. Cela veut dire que ce qu’on a essayé de faire c’est de mettre en place des éléments de politique pénale. C’est-à-dire de voir ce qui est normal parce que nos prisons sont remplies souvent de personnes qui y sont pour un joint de chanvre indien. Ce qui, ailleurs, n’amène plus les gens en prison. Souvent ce sont de petits larcins. Donc pour ces cas et pour même ceux qui ont commis des choses graves mais qui se sont amendées, ils peuvent bénéficier d’une chance.
Quelle réponse apportez-vous à ceux qui soutiennent qu’il y a une mafia autour de l’octroi de la grâce présidentielle ?
S’il y a une mafia, je ne suis pas au courant. Ce qu’il faut savoir de la grâce, c’est que la grâce ne préjudicie pas aux intérêts des victimes. Cette grâce ne fait pas disparaitre les intérêts civils. Les victimes seront toujours en droit d’aller réclamer devant le tribunal la réparation du préjudice subi. Même une loi d’amnistie n’efface pas le préjudice. Autour de moi, ce sont des gens qui travaillent en toute intégrité.