26 juillet 2007 – 26 juillet 2019 : il y’a 12 ans Nicolas Sarkozy « insultait » le Sénégal et l’Afrique
Juste après son élection, le 6 mai 2007, le président Nicolas Sarkozy réserve l’une de ses premières visites en terre africaine au Sénégal. Devant un parterre d’étudiants et de personnalités, le Chef de l’Etat français va faire un discours très controversé à l’endroit de la jeunesse africaine. Communément appelé « discours de Dakar », cette allocution du 26 juillet 2007 a fait couler beaucoup d’encre et a provoqué la réaction de toute l’élite africaine et même au-delà.
Le discours en question n’aura duré que 50 minutes et pourtant il laissera place à d’innombrables commentaires. Le choix de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar pour accueillir cette allocution est symbolique et prouve que le président français veut s’adresser au monde intellectuel et à la jeunesse du continent. L’essentiel de ce discours, tel une reprise du « Discours sur le colonialisme » d’Aimé Césaire va tourner autour des fautes de la colonisation, du retard de l’Afrique et des défis à relever. Nicols Sarkozy explique essentiellement pourquoi « l’homme Africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ».
Extrait du très controversé discours de Dakar
« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.
Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès.
Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble être écrit d’avance.
Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin.
Le problème de l’Afrique et permettez à un ami de l’Afrique de le dire, il est là. Le défi de l’Afrique, c’est d’entrer davantage dans l’histoire. C’est de puiser en elle l’énergie, la force, l’envie, la volonté d’écouter et d’épouser sa propre histoire.
Le problème de l’Afrique, c’est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l’éternel retour, c’est de prendre conscience que l’âge d’or qu’elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu’il n’a jamais existé.
Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance.
Le problème de l’Afrique, c’est que trop souvent elle juge le présent par rapport à une pureté des origines totalement imaginaire et que personne ne peut espérer ressusciter.
Le problème de l’Afrique, ce n’est pas de s’inventer un passé plus ou moins mythique pour s’aider à supporter le présent mais de s’inventer un avenir avec des moyens qui lui soient propres.
Le problème de l’Afrique, ce n’est pas de se préparer au retour du malheur, comme si celui-ci devait indéfiniment se répéter, mais de vouloir se donner les moyens de conjurer le malheur, car l’Afrique a le droit au bonheur comme tous les autres continents du monde.
Le problème de l’Afrique, c’est de rester fidèle à elle-même sans rester immobile.
Le défi de l’Afrique, c’est d’apprendre à regarder son accession à l’universel non comme un reniement de ce qu’elle est mais comme un accomplissement.
Le défi de l’Afrique, c’est d’apprendre à se sentir l’héritière de tout ce qu’il y a d’universel dans toutes les civilisations humaines.
C’est de s’approprier les droits de l’homme, la démocratie, la liberté, l’égalité, la justice comme l’héritage commun de toutes les civilisations et de tous les hommes.
C’est de s’approprier la science et la technique modernes comme le produit de toute l’intelligence humaine.
Le défi de l’Afrique est celui de toutes les civilisations, de toutes les cultures, de tous les peuples qui veulent garder leur identité sans s’enfermer parce qu’ils savent que l’enfermement est mortel. »
L’indignation quasi-générale en Afrique et dans le reste du monde
Le discours provoque naturellement un tollé aussi bien en Afrique, en France que dans le reste du monde. Beaucoup considèrent ces allégations de Nicolas Sarkozy comme un stéréotype fondé sur ces propres imaginations à la limite racistes, et une négation du rôle qu’a joué l’Afrique dans les grandes batailles. C’est ainsi que des tribunes telles L’Afrique répond à Sarkozy. Contre le discours de Dakar et L’Afrique de Sarkozy-Un déni d’histoire vont apparaître pour servir de réponse au président français et démonter son argumentaire.
Cependant, la personne qui a payé le prix fort de ces contre-attaques demeure son « nègre », Henri Guaino, qui a écrit ledit discours. Pendant qu’il estime que « toute l’Afrique n’a pas rejeté le discours de Dakar » faisant certainement référence au président Sud-Africain Thabo Mbéki, le président Wade s’en prend à lui vertement. Le président sénégalais trouve que Sarkozy a été victime de son « nègre » et essaie ainsi de le comprendre et de le blanchir de toutes accusations.
Pour le président Wade, Nicolas Sarkozy est « un ami de l’Afrique »
Prenant la parole lors d’un colloque international sur les forces noires dans les armées européennes et autres apports de l’Afrique, Abdoulaye Wade revient sur le très controversé discours et rappelle que Nicolas Sarkozy est « un ami de l’Afrique ». Voici un extrait de cette intervention qui a eu lieu le 17 septembre 2008 :
« Il arrive qu’un président soit victime, passez-moi le terme, de son ‘‘nègre’’. Au demeurant, celui-ci, M. Guaino, s’est dévoilé courageusement dans la presse en revenant sur sa thèse pour la défendre. Si M. Guaino avait participé à ce colloque, il verrait que le noir s’est bien installé dans l’Histoire depuis ce jour du 21 juillet 1857, date de création du premier régiment de tirailleurs sénégalais puisque finalement la liberté qui lui permet aujourd’hui d’être très sévère dans ses jugements est largement due aux Africains.
En tout cas le moins qu’on puisse dire est que nous étions là, chaque fois que la liberté a été menacée et que nous avons payé notre tribut. Peut-on être mieux installé ?»
Qu’à cela ne tienne, le discours de Dakar continue toujours de susciter beaucoup d’intérêts tant au niveau des chercheurs que de la jeunesse africaine.
Par Ababacar Gaye
ababacarguaye@yahoo.fr
NB: Le litre du texte est de la rédaction de Kaolack Infos