Koungheul : une escale privilégiée pour les amateurs de bonne chère
Ville carrefour à la croisée des chemins, Koungheul est un passage obligé pour les voyageurs en provenance ou en partance pour Tambacounda, Kédougou et Kolda sur la route nationale N°1. Ville à vocation pastorale et où les « dibiteries » et « pousse-pousse » foisonnent, Koungheul constitue une halte privilégiée pour les voyageurs qui aiment la bonne viande cuite au four ou grillée.
Considérée comme l’un des centres névralgiques de l’élevage, la commune de Koungheul, située sur la route nationale, est devenue, depuis bien des années, une ville carrefour. Et elle doit sa renommée à la bonne qualité de sa viande, au centre des activités commerciales. Avec la multitude de gargotes, dibiteries et charriots mobiles, communément appelés « pousse-pousse », qui fourmillent sur les abords de la route nationale N°1, proposant ainsi de la viande (mouton et chèvre) grillée ou cuite, Koungheul est devenue une escale privilégiée pour les voyageurs de l’axe Dakar-Tambacounda.
Conducteurs de camions, taxis brousse, bus, cars… respectent régulièrement cette halte à la demande des clients pressés de reprendre des forces avant de continuer la route. Nul besoin d’avoir un portefeuille bien garni de billets de banque pour déguster un délicieux quartier de viande. Les prix pratiqués sont imbattables et il y en a pour toutes les bourses.
Une fois qu’on met les pieds à terre, on est aussitôt envoûté par les délicats fumets échappés de toutes parts. Difficile de ne pas céder en voyant ces spécialistes découper avec beaucoup de dextérité des quartiers de viande, ou tourner et retourner allègrement de la viande étalée sur un grillage. Avec cet afflux, les vendeurs ne se plaignent pas. Ils réalisent de bons chiffres d’affaires. Koungheul, c’est tout simplement le carrefour de la bonne viande.
Ici, le vieux Kamissa Diallo est cité comme étant l’un des premiers à s’investir dans la spécialité. Il est surnommé « Ndama Dibi » du fait de sa physionomie et de son activité. Un sobriquet qui lui est collé depuis plus d’un demi-siècle et qui est resté dans le temps. « C’est en 1950 que je suis venu à Koungheul en provenance de Labé, en République de Guinée. A l’époque, nous n’étions que deux à nous investir dans la dibiterie. Il y avait Thierno Fall qui faisait de la grillade, tandis que moi, j’étais spécialisé dans le rôti de viande à l’huile », explique-t-il.
Evoluant pleinement dans ce métier qu’ils avaient embrassé, les deux spécialistes ne restaient jamais sur place. Une fois qu’ils avaient fini de préparer leur mets, ils les mettaient dans un bol et se déplaçaient vers les lieux d’affluences : marché, gare routière, services. « On réalisait de bonnes affaires, parce que tout le monde aimait la viande et la cuisson était bien faite. Des années plus tard, le cercle s’est agrandi, avec l’arrivée d’autres concurrents », se rappelle-t-il.
Au fil des années, la densité de la circulation aidant, d’autres gens les avaient rejoints dans la profession, agrandissant ainsi le milieu. Le nombre de dibiteries avait augmenté. Et beaucoup de vendeurs se sont installés le long de la route nationale pour permettre aux voyageurs de se restaurer sur place.
Les bols ne faisant plus l’affaire, Kamissa Diallo eut la lumineuse idée de se faire confectionner un pousse-pousse disposant d’un four et d’un fourneau qui permettent d’assurer une bonne cuisson de la viande et plus d’hygiène contrairement aux bols qui ne pouvaient pas éviter la poussière. Une vraie innovation à l’époque. Le vétéran, « Ndama Dibi », a vu sa clientèle passer du simple au double. Avec la qualité du produit qu’il présentait, il était le premier à épuiser son stock. Plus tard, au gré des migrations des populations, les spécialistes ont essaimé, et se sont tous conformés en disposant du même instrument pour entrer dans l’ère de la modernité.
Aujourd’hui, il y a une prolifération des pousse-pousse qui stationnent en permanence en face de la mairie. Et très tôt le matin, les voyageurs en escale en profitent pour goûter aux délices de la viande du Bambouck, très prisée. « A chaque fois que je quitte Dakar pour aller à Tamba, je suis pressé d’arriver à Koungheul pour prendre mes deux morceaux à 2.000 FCfa. Le goût est particulier, la viande tendre et facilement consommable », explique Malick Seck, un habitué des lieux. Idem pour Amadou Ndiaye, un chauffeur qui passe tous les jours à Koungheul. Ce dernier qui raffole de la viande des pousse-pousse soutient avoir ciblé son vendeur, Ameth Babou, qui, dit-il, «excelle en la matière ».
Ce qui lui fait plaisir après avoir pris sa ration, c’est la tasse de « niékh », bouillie de viande, qui lui est offerte gratuitement. « C’est elle qui me soulage de toute ma fatigue », avance-t-il, le sourire aux lèvres.Malick Ndiaye « Ndorel», un grand consommateur de viande grillée devant l’Eternel, soutient que l’origine du mot « Dibi » provient d’un fusil que les anciens chasseurs utilisaient pour tuer ou abattre de gros gibiers comme les éléphants.
« Avec ce genre de fusil, on est sûr d’avoir de la viande. Une fois le gibier abattu, c’était le festin. Il y avait une telle quantité de viande que les populations cherchaient du bois mort et alimentaient un foyer pour la griller directement aux flammes », raconte-t-il. «Cette tradition est aujourd’hui respectée, car la viande dénommée « Dibi » du nom de ce fusil, étant préparée avec du bois mort (matt) dans les dibiteries installées un peu partout et fréquentées surtout les après-midis par ceux-là même qui ont pris goût au menu dont ils ne peuvent plus se passer », indique le vieux Malick Ndiaye.
Un art culinaire
A Koungheul, Mamadou Yaya Diallo est considéré comme l’un des meilleurs préparateurs de viande. Son savoir-faire lui a valu le sobriquet de « Préfet ». Selon lui, la préparation est une tradition assez délicate et se fait en deux étapes : la cuisson et la remontée au-dessus des fourneaux pour maintenir la viande au chaud. « La cuisson se fait avec de l’eau et du sel. Ça prend plusieurs heures pour que la viande soit bien cuite, donc tendre et agréable à la consommation », précise-t-il. « C’est une activité qui demande beaucoup de patience. Si on est pressé, on risque de rater sa préparation et cela peut entrainer la perte de clients. Ce sont eux qui paient et ils ne vont que là où ils seront satisfaits », prévient-il.
A Koungheul, les pousse-pousse ont une clientèle fidèle. Ils sont pris d’assaut par les amateurs. Et les parties les plus prisées restent, de l’avis de Mamadou Yaya Diallo, l’épaule et les côtelettes accompagnées d’oignons, viennent ensuite le faux-filet, le rognon, le gigot et enfin les tripes. M. Diallo, venu de la région de Yembereng, en République de Guinée en 1996, s’est définitivement installé dans le Ndoucoumane. Cette année-là, rappelle-t-il, la Coupe d’Afrique des nations se jouait en Afrique du Sud sans le Sénégal qui n’avait pas réussi à se qualifier. Grâce au business de la viande, il a réussi à prendre deux épouses, toutes des Guinéennes. De ces unions, il a eu plusieurs enfants tous nés à Koungheul.
A Koungheul, « Préfet » a réussi à se faire un nom. Pour goûter à ses délicieux quartiers de viande bien tendres et savoureux, il faut se pointer très tôt. Au-delà de certaines heures, les retardataires trouvent la viande épuisée. C’est d’ailleurs ce qui a poussé le bonhomme à se spécialiser au petit déjeuner. « J’ai ouvert un restaurant pour ainsi satisfaire la demande », fait-il savoir.
A son avis, les chèvres les plus indiquées pour les pousse-pousse coutent environ 40.000 FCfa. Des fois, souligne-t-il, les prix chutent jusqu’à 15.000 FCfa ; cela dépend de la période et de la qualité de la bête, dit-il. « C’est une activité assez rentable. Les bénéfices varient entre 10.000 et 15.000 FCfa. On peut gagner plus parfois, quand il y a de grands évènements », relève-t-il.
Aujourd’hui, Mamadou Yaya Diallo est imam à la mosquée en face de son restaurant. Il a déjà préparé la relève. Ses enfants lui ont laissé le petit déjeuner et s’occupent du diner. Et ils s’acquittent bien de leur tâche, selon leur vieux père.
Labellisation du produit
Une telle activité, éminemment économique et rentable, doit être encadrée et accompagnée. Et de l’avis de Souleymane Mboup, les autorités municipales tentent d’organiser la profession. « Les acteurs qui s’investissent dans ce secteur qui leur permet de tirer leur épingle de jeu vont être aidés et accompagnés par le service de l’élevage en termes d’hygiène et de respect des normes », fait savoir le premier adjoint au maire de la commune de Koungheul.
D’ailleurs, souligne-t-il, la construction d’abattoirs fonctionnels a permis de vaincre la clandestinité et de mieux sécuriser le contrôle. « Toutes les bêtes abattues sont contrôlées avant d’être vendues. Ces abattoirs ont aussi permis de régler davantage le problème d’hygiène », se réjouit M. Mboup. Selon lui, l’un des projets de l’équipe municipale, c’est d’aller irrémédiablement vers la labellisation de la viande et la modernisation de la vente à travers la confection de blouses pour les conducteurs de pousse-pousse. Il est aussi prévu dans ce projet la modernisation des fours mobiles encastrés dans les pousse-pousse. L’activité aussi sera très bien organisée, a assurée l’adjoint au maire.
La municipalité s’est engagée à leur trouver un emplacement stratégique pour éviter toute bousculade et course vers les clients ; ce qui cause parfois beaucoup de désagréments comme les accidents.
L’époque où le kilo de viande coûtait 85 FCfa
Zone pastorale par excellence, Koungheul a un long passé avec la bonne viande. Jadis, le kilogramme était vendu à 85 FCfa. C’était dans les années 50. Ndama « Dibi » se rappelle cette lointaine et belle époque. « C’est vrai que 85 francs à l’époque, c’était beaucoup, mais c’était abordable quand même. Mais, ce n’était pas un luxe de manger de la viande. Les prix étaient très abordables, à portée de toutes les bourses, et la clientèle très fournie », dit Ndama « Dibi », nostalgique.
Entre 1950 et aujourd’hui, le consommateur a connu une inflation continue du prix de la viande. Il est monté en flèche pour atteindre la barre des 2.500 FCfa. Mais, pour Moustapha Mbaye, boucher parmi une vingtaine de détaillants, cette hausse se comprend bien.
« Cela s’explique du fait de la montée des prix du bétail. La chèvre ou le bouc qui coûtait à l’époque 600 FCfa se négocie à 15.000 FCfa, 20.000 FCfa, voire 25.000 FCfa aujourd’hui. Parfois même plus. C’est aussi valable pour le taureau que l’on pouvait acheter à 15.000 FCfa ; ce qui est impensable de nos jours. Les prix ont été multipliés par dix ou quinze même », explique-t-il.
Mais l’essentiel, souligne-t-il, c’est d’avoir de la viande de bonne qualité qui répond aux normes d’hygiène et de consommation sans risque. Il souligne par ailleurs qu’il n’y a aucune incidence du phénomène des pousse-pousse ou dibiteries sur leur activité. Car, soutien-t-il, la clientèle n’est pas la même. « Les personnes qui achètent et mangent sur place vont voir ceux-là même qui disposent d’un produit fini ou préparé sur place, pendant que nous, nous vendons de la viande de bœuf, de mouton ou de chèvre aux bonnes dames qui vont préparer le repas ou à des personnes qui font des prières, des tours de familles », indique-t-il.
Aladji Babou, un Mauritanien établi à Koungheul depuis une décennie maintenant, dispose d’une dibiterie sur la route nationale et d’un pousse-pousse pour satisfaire les demandes. Mais, précise-t-il, il est rare de s’approvisionner chez les boucher de la place. Le kilogramme de la viande coûtant très cher, il est préférable d’acheter une bête. «C’est plus rentable et on est assuré d’avoir au moins une belle marge de bénéfice », fait-il savoir.
« La dibiterie se fait sur la base de viande de mouton ou de chèvre et les bêtes, nous les achetons dans les « loumas » ou marchés hebdomadaires ou auprès de bonnes gens qui circulent pour trouver un client ou encore au niveau des foirails. » Koungheul étant une zone pastorale, ils n’éprouvent pas trop de difficultés pour se ravitailler en moutons ou chèvres.
Selon lui, il y a plusieurs spécialités et tout est question de goût. « Il y a des clients qui préfèrent la viande au feu, donc de la grillade ; d’autres qui, tout juste, veulent se rassasier et reprendre le chemin, font leur four au lieu d’attendre une cuisson qui prendrait du temps », explique-t-il.
Par Amath Sigui NDIAYE pour Le Soleil