[Tribune] IMO 2020: un pas de géant en matière de prévention de la pollution par les navires – Par Adama Ndao
Au 1er Janvier 2020 sont entrées en vigueur d’importantes nouvelles règles de la Convention MARPOL (Marine Pollution) de l’Organisation Maritime Internationale (OMI ou IMO, International Maritime Organization). Née en 1973 et approfondie en 1978 après l’accident du pétrolier Argo Merchant au large des côtes Nord Atlantique Américaines, la Convention MARPOL a pour but la prévention de la pollution provenant des navires. Elle compte 155 Etats Signataires et comporte six Actes appelés Annexes.
L’Acte I et l’Acte II, qui concernent respectivement la prévention de la pollution par les hydrocarbures et de la pollution par les substances nocives à l’état liquide en vrac, sont tous deux entrés en vigueur le 2 Octobre 1983. L’OMI adopta ensuite l’Acte III qui concerne les substances dangereuses transportées par mer sous emballage. L’Acte III entra en vigueur le 1er Juillet 1992. Puis, au 23 Septembre 2003 c’est l’Acte IV qui va entrer en vigueur. Il réglemente la prévention de la pollution par les eaux usées provenant des navires. De même, l’Acte V qui concerne la prévention de la pollution par les ordures des navires entra en vigueur le 31 Décembre 1988. Enfin, en 1997 l’OMI ajouta à la Convention MARPOL un Acte VI qui réglemente la prévention de la pollution de l’air causée par les navires.
L’Acte VI entra en vigueur le 19 Mai 2005. Il définit les règles concernant la pollution de l’atmosphère par des substances destructrices de la couche d’ozone telles que l’oxyde de soufre (SOx), l’oxyde d’azote (NOx), les composés organiques volatiles (VOCs) en en définissant les limites dans le carburant des navires. Mais l’Acte VI réglemente également les déchets du nettoyage des épurateurs des pots d’échappement des navires. Il désigna également certaines régions du monde comme Zones de Contrôle des Emissions de Soufre (Sulfur Emission Control Area, SECAs) avec des taux autorisés de particules de soufre considérablement plus bas (1000 mg par kg aujourd’hui) que les taux des appliqués en mer (5000 mg par kg). Il existe quatre SECAs à travers le monde: la Mer Baltique, la Mer du Nord, les Côtes Américaines et Canadiennes, et enfin les Ies Iles Américaines du Pacifique.
La réglementation de l’Acte VI s’applique également aux plateformes pétrolières.
L’Acte VI est d’autant plus important pour le contrôle de la pollution par les émissions gazeuses des navires que le carburant qu’ils utilisent est ce que l’on appelle le “bunker oil”, le plus lourd et le plus sale des carburants. Le pétrole brut vient avec une multitude de produits chimiques tels que l’oxyde de nitrogène (NOx), l’Oxyde de soufre (SOx), les composantes organiques volatiles (VOCs) et d’autres composantes chimiques. Le diesel lourd est le fond de fût, pour ainsi dire, du carburant brut, c’est le déchet qu’il reste après distillation et extraction des autres formes de carburant telles que l’essence et le gasoil propre et d’autres carburants. Ce fond de fût garde évidemment toutes ces substances polluantes et les producteurs l’améliorent un tout petit peu en y ajoutant quelque chose comme 10 % de carburant pour le revendre aux navires. Et les substances telles que le soufre sont ainsi libérées par les pots d’échappement des navires à des quantités dangereuses aussi bien pour l’environnement que pour la santé des populations.
A son adoption en 2005, l’Acte VI avait établi les limites du soufre à 45000 mg (ou 45 g) par kilogramme de diesel lourd. Cette limite avait été abaissée à 35000 mg (ou 45 g) en 2012. Et au 1er Janvier 2020 une nouvelle limite de 5000 mg (5g) par kg de carburant lourd s’applique avec l’entrée en vigueur de l’IMO 2020. Un pas de géant sera ainsi accompli par la communauté maritime internationale. La limite d’IMO 2020 s’appliquera à tous les navires battant pavillon d’un Etat Signataire (comme le Sénégal ou les USA) et tout navire opérant dans les eaux d’un Etat Signataire. La limite du SOx dans les SECAs reste à 1000 mg par kg de gasoil lourd.
La législation interne Américaine va même plus loin en établissant la limite du taux de soufre à quinze (15) mg maximum par kg de carburant, pour tout véhicule, locomotive ou navire immatriculé sur le territoire Américain. A l’entrée des SECAs (zones à limite de taux de soufre de 1000 mg par kg) tout comme des zones de l’Acte VI (5000 mg), les navires qui opéraient au carburant lourd pendant le voyage maritime doivent suivre une procédure complexe de changement de carburant.
Trois options sont offertes aux compagnies maritimes pour se conformer à la réglementation de l’IMO 2020: soit utiliser le carburant au taux de soufre inférieur ou égal à 5000 mg par kg (la tonne du brut lourd régulier coûte $420 et la tonne du gasoil lourd à taux réduit de soufre coûte $647), soit installer des épurateurs de pots d’échappement (le coût de l’installation varie entre $2 Millions et $6 Millions par navire), ou alors convertir les moteurs de leurs navires à des moteurs à gaz naturel liquéfié (LNG, la liquéfaction réduit de 600 fois le volume du gaz par congélation ce qui est différent du CNG qui est un conditionnement par compression jusqu’au 100eme du volume normal du gas).
Le carburant LNG contient au maximum 4 mg de soufre par kg avec un impact polluant ou nocif presque nul et un besoin minimal de maintenance. C’est pourquoi la plupart des navires construits ces cinq dernières années marchent au gaz naturel. Le système LNG (gaz naturel liquéfié) permettra une réduction considérable, jusqu’à 98%, de la pollution par les combustions des navires et le diésel à taux réduit de soufre permettra quant à lui d’atteindre jusqu’à 90% de réduction de cette pollution. Avec 90000 navires en mer à travers le monde et 85 % à 90% du transport de marchandises dans le monde effectués par mer, l’impact de l’IMO 2020 sur l’environnement et la santé sera sans aucun doute très significatif.
Par contre, cet impact positif de la réforme vient avec un coût: une hausse de prix dans différentes industries liées ou dépendant de l’industrie maritime pourrait se faire sentir au niveau mondial durant les premiers mois ou mêmes premières années de la réforme. A moins que n’interviennent d’autres facteurs de réduction des coûts d’opération des navires. Pour être en règle avec les nouvelles normes de l’IMO 2020, les compagnies maritimes ont prévu un coût annuel global de quinze (15) milliards de dollars. Ainsi les grandes compagnies comme CMA-CGM, OOCL, MOL, et Hapag Lloyd auront chacune investi 2 milliards de dollars en moyenne. Et elles ont toutes exprimé leur intention de faire supporter ce coût à leurs clients. D’où la prédictibilité de hausse de prix dans divers secteurs.
Tout aussi important que soit le pas de géant effectué par l’IMO 2020 pour protéger l’environnement et sauver des vies, il demeure que le taux de soufre dans le carburant utilisé par les véhicules de beaucoup de pays sous développés reste très élevé et laisse entier le problème que l’OMI tente aussi agressivement de résoudre. L’exportation du carburant sale péjorativement mais pertinemment appelé “Qualité Afrique”, par des compagnies Européennes vers les pays du Sud malgré son taux hors normes U.E. de soufre qui varie entre 500 mg et 2500 mg par kg pour l’essence des véhicules de route et entre 2000 et 10000 mg par kg pour le gasoil de ces mêmes véhicules, combinée à leur manque de réglementation agressive et coordonnée, maintiennent ces pays à des niveaux très dangereux d’exposition au soufre.
Rappelons que les normes Européennes édictent des limites de 10 mg par kg de carburant pour tout véhicule, contre 5000 mg pour les navires (à l’exception des SECAs avec 1000 mg) et 1000 mg pour les locomotives. Les normes Américaines (de l’Agence Fédérale Américaine pour la Protection de l’Environnement- EPA) édictent des limites de 15 mg par kg pour tout carburant de tout véhicule, ou navire ou locomotive immatriculés sur le sol Américain.
Les dangers du soufre sont devenus évidents aujourd’hui. Non seulement le soufre contribue à la détérioration de la couche d’ozone mais également son inhalation a été à l’origine de nombreux cas de maladies respiratoires et cardio-vasculaires qui étaient évitables, surtout chez les enfants. Le soufre a contribué à plus de 100 000 fatalités par an.
Aujourd’hui, avec les Karpowerships (ces centrales électriques flottantes turques) amarrés aux ports de sept capitales Africaines telles que le navire Aysegul Sultan à Dakar, le Osman Khan à Tema au Ghana ou encore le Koray Bay à Banjul, espérons que la conversion du “bunker oil“ au LNG prévue d’être achevée en Avril pour l’Aysegul Sultan (un navire de la Mitsui OSK Line, MOL, de transport de LNG et (re)gasification serait en route pour Dakar) sera accélérée par les pays hôtes.
Car, même si ces navires devront, à compter du 1er Janvier 2020, obligatoirement utiliser du carburant dont le taux de soufre ne pourra plus dépasser 5000 mg (5g) par kg, l’état stationnaire prolongé de ces navires turcs fait qu’ils vont toujours polluer, et énormément, avec le gasoil.
Adama Ndao, Juriste
Washington