[Tribune] Comprendre les règles juridiques qui nous régissent: Le Hibou au pays du Lion – Par Adama Ndao
C’est un hibou qui, attiré par une clameur, voyagea loin, très loin pour s’en enquérir. Alors qu’il la suivait discrètement, il se rendit compte qu’elle venait du pays de son vieil ami Lion Bi. Et plus il s’en approchait, s’en distinguait alors de plus en plus précisément le vocable Luwaabi, Luwaabi,Luwaabi. Il entra dans le pays du Lion et Luwaabi était sur toutes les lèvres. Brûlant de curiosité, il demanda alors partout ce que signifiait Luwaabi mais n’a obtenu aucune réponse claire. Gardant sa patience habituelle, il se dirigea alors vers la demeure de son ami Lion Bi, avec la certitude que là-bas il obtiendra des réponses satisfaisantes à ses interrogations.
“Qu’est ce qui vous amène de jour et d’aussi loin cher ami Looy Gi?“ lui lança Lion Bi dès que se posa le Hibou “La clameur, Cher ami! Elle porte loin très loin. Luwaabi, Luwaabi, Luwaabi!. Mais c’est quoi Luwaabi? C’est sur les lèvres de tous les citoyens mais je ne suis guère arrivé à en avoir une explication claire et satisfaisante. Partagez donc avec moi ce que vous en savez vous ” ajouta-il d’un ton rempli d’optimisme.
“Cher ami Looy Gi, votre question a un immense intérêt car elle soulève un problème auquel on ne pense pas toujours à savoir la signification du familier vocable Luwaabi que nous pensons tous pleinement connaitre alors que ce n’est pas le cas“ commença Lion bi ”Comme vous le savez, dans une nation de curiosité intellectuelle et de traditions législatives telle que la nôtre, le citoyen ordinaire parle souvent de Luwaabi, du moins de ce qu’il croit en savoir, sans intimidation; même lorsque sa connaissance en la matière reste très limitée. Ce qui est une très bonne chose, car cela prouve l’interêt que les citoyens ont dans la marche de la Chose Publique et leur soif d’avoir plus de connaissances sur les règles qui nous régissent“ ajouta Lion Bi le visage rayonnant de fierté.
Puis il reprit: » Luwaabi ou La Loi, c’est quoi au fait? He bien c’est l’ensemble des règles qui viennent de l’Etat et que tous ceux à qui elles s’adressent ont l’obligation de respecter. Et, dit on, nul n’est censé ignorer la Loi”
“Mais quels types de règles sont dans Luwaabi?“ interrompit Looy Gi
Certaines de ces règles peuvent être le résultat du vote d’un référendum qui débouche sur la consécration d’une loi référendaire, d’autres sont des lois votées par l’Assemblée Nationale ou lois parlementaires, certaines autres nous viennent des Cours et Tribunaux sous forme de jurisprudence (c’est-à-dire des décisions clés d’interprétation de la loi qui sont déjà établies par les plus hautes juridictions) et enfin nous avons les règles provenant du Gouvernement, de l’Administration, sous forme d’actes administratifs.
Lorsqu’il y a référendum, c’est à dire le vote d’une loi directement par le Peuple Souverain auquel est présenté un projet de réforme, les électeurs sont invités à voter par un oui s’ils l’approuvent le projet ou un non s’ils ne l’approuvent pas. Si la réponse oui du Peuple Souverain l’emporte sur le non, le projet devient immédiatement loi et constitue donc loi référendaire. Mais plus souvent ces règles viennent de l’Assemblée Nationale, sous forme de lois parlementaires votées par les députés. L’Assemblée peut voter des lois pour autoriser le Président de la République à ratifier une Convention Internationale, un Traité que notre pays a signé avec un ou plusieurs autres pays (exemple le Traité de l’OHADA, pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, le Traité de la CEDEAO, le Traité de l’UEMOA). Il s’agira ici de lois d’autorisation de ratification. Ratifier voulant dire rendre la Convention Internationale obligatoire et applicable au niveau national comme les autres lois. L’Assemblée Nationale vote également des lois dites lois organiques. C’est des lois qui définissent et organisent les pouvoirs publics (exemple changer l’organisation judiciaire) ou précisent les rôles et relations entre ces pouvoirs publics, comme par exemple entre l’Assemblée Nationale et le pouvoir exécutif, le gouvernement etc. L’Assemblée vote aussi des lois modifiant la Constitution ou lois constitutionnelles. Et bien evidemment elle vote aussi les lois ordinaires y compris celles de répartition du budget national dites lois de finances, comme aussi elle vote des lois d’autorisation et de ratification des ordonnances administratives (à ne pas confondre avec la ratification des Conventions Internationales)
“Très intéressant, Cher ami Lion Bi” apprécia Looy Gi avant de d’ajouter: “Mais permettez-moi de vous demander ceci: qui est ce qui décide qu’il faut une loi? Comment ça se passe une fois que cette décision est prise?“ interrogea-t-il.
“Importante question” nota Lion Bi avant de répondre: “Que ce soit pour le vote d’une loi référendaire ou celui d’une loi parlementaire, il est présenté aux électeurs ou aux députés, selon le cas, un document, un projet de réforme sur lequel ils vont voter par oui ou non. Il faut noter que seuls le Gouvernement et l’Assemblée Nationale sont habilités par la Constitution à initier un projet de réforme législative (on parle d’initiative législative). Lorsque ce document a été initié par des députés (15 signataires requis pour cela) on l’appelle proposition de loi et lorsque le document est l’initiative du gouvernement on parle alors de projet de loi. Si le projet de loi ou la proposition de loi est présenté au vote du référendum, et que le oui est majoritaire, c’est-à-dire le nombre d’électeurs ayant voté oui à la réforme est plus grand que le nombre de ceux qui y ont voté non, alors on dit que le oui l’a emporté. Dans ce cas le projet de réforme devient immédiatement loi, une loi référendaire. Par contre, si le projet de réforme et présente au vote du Parlement, il doit d’abord passer par la Commission du Parlement qui est spécialisée en la matière sur laquelle le projet porte. La Commission le modèle et le présente aux députés pour débats, amendements et votes. Si la majorité de votes requise est atteinte alors le projet devient loi.”
“Aussi, vous disiez qu’il n’y a pas que les règles venant de l’Assemblée Nationale mais qu’il y a aussi celles venant du gouvernement sous forme d’actes administratifs. Quels sont ces actes?“ demanda Loy Gi.
“En effet Cher ami Looy Gi“ acquiesça Lion Bi avant de répondre: “ Ces précisions faites, il faut rappeler qu’à côté des lois il y a aussi des règles qui viennent du gouvernement et qui sont obligatoires et applicables à tous ceux qu’elles concernent: On les appelle souvent des actes administratifs. Ce sont tout d’abord les décrets et les arrêtês Ministériels, appelés aussi règlements du fait de leur portée générale. Les décrets sont des mesures souvent prises par le Président de la République en délibération de conseil des Ministres ou individuellemnt (décrets présidentiels). Mais les décrets peuvent également être pris par le Premier Ministre. Les arrêtés ministériels sont des mesures à portée externe prises par les ministres. En général ce sont les règles ci-dessus qui sont publiées dans le Journal Officiel. Mais il faut noter qu’en dehors des décrets et arrêtés ministériels il y a également les arrêtés pris par les préfets (arrêtés préfectoraux), ceux pris par les maires (arrêtés municipaux) et depuis l’Acte III de la Décentralisation de 2013 les arrêtés pris par les représentants de l’Etat dans les collectivités locales (c’est à dire dans les départements et les municipalités). Ainsi on a les arrêtés ministériels, le arrêtés préfectoraux, les arrêtés municipaux et les arrêtés du représentant de l’Etat, chacune de ces autorités les prenant dans son domaine et son territoire de compétence, c’est à dire le domaine dans lequel et le territoire sur lequel il a légalement le pouvoir de prendre une décision qui s’applique ou est obligatoire à tous. Il faut préciser qu’ à côte des décrets et des arrêtés il y a aussi les actes administratifs à portée interne. Ce sont les circulaires et les directives. Elles sont quant à elles plutôt des mesures purement d’orientation des fonctionnaires par leur hiérarchie”.
“Mais, vous avez mentionné les ordonnances ici en parlant des lois. Les ordonnances ne viennent-elles pas des tribunaux? demanda Looy Gi
Lion Bi répondit: “Il est important de savoir qu’il y a des matières qui relèvent exclusivement du domaine législatif, des attributions du Parlement, c’est-à-dire un domaine dans lequel seule une loi peut doit intervenir. Par exemple pour répartir le budget de l’Etat ou encore pour définir les actes qui sont des délits etc D’autres matières par contre relèvent du domaine règlementaire c’est-à-dire du domaine réservé à l’Administration, comme par exemple la nomination des ambassadeurs etc. Mais, il arrive qu’en cas d’urgence ou autres circonstances le gouvernement veuille mener une action dans un domaine qui relève normalement du domaine legislatif, c’est-à-dire donc un domaine dans lequel il faut une loi. Mais vu que l’urgence ou la technicalité ne permet pas d’emprunter la procédure législative des débats, amendements et votes devant le Parlement, alors le gouvernement demande.au Parlement l’autorisation exceptionnelle d’agir dans ce domaine du Legislaif. Pour ce faire, l’Assemblée vote une loi d’autorisation appelée loi d’habilitattion. Le gouvernement prend ensuite la mesure souhaitée. C’est cette mesure qu’il prend après obtention de cette autorisation que l’on appelle ordonnance administrative. L’ordonnance doit ensuite etre signée par le Président de la République et ratifiée par l’Assemblée Nationale qui vote à cet effet une loi de ratification (à distinguer d’une loi de ratification d’une Convention Internationale), pour donner force de loi à l’ordonnance. Donc, tant que la mesure, l’ordonnance n’est pas ratifiée elle peut rester valable mais demeure une mesure administrative qui n’aura pas acquis la valeur de loi”.
Cela dit, il faut toutefois distinguer l’ordonnance du gouvernement ou ordonnance administrative de l’ordonnance qui vient des cours et tribunaux et que l’on appelle ordonnance judiciaire. Il faut rappeler qu’une juridiction peut rendre une décision par un groupe de magistrats, auquel cas on parle de décision collégiale. Elle peut également rendre une décision par un juge unique, que ce soit le Juge d’instruction, ou le Président du Tribunal (statuant par exemple en matière de procèdure d’urgence appelée référé). C’est cette décision d’un juge unique que l’on appelle ordonnance judiciaire”.
Mais vous avez tantôt fait mention des Traités de l’UEMOA, de la CEDEAO et de l’OHADA. Leurs règles s’appliquent elles directement aux citoyens individuels? demanda Looy Gi “.
“En effet Cher ami Looy Gi” commenca Lion Bi avant de poursuivre:”Il faut savoir que certaines normes des communautés régionales s’appliqunt directement aux citoyens de notre pays: ainsi les décisions et directives de l’UEMOA et de la CEDEAO mais surtout la législation de l’OHADA.
L’OHADA c’est l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires. En 1993, un certain nombre de pays à travers l’Afrique (de nos jours Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée Equatoriale, Mali, Niger, République Démocratique de Congo, Sénégal, Tchad, et Togo. ) se sont entendus à avoir le même texte de loi concernant les matières qu’ils définissent comme relevant du Droit des affaires. Pour ce faire, ils ont adopté sur une période de plusieurs années une série d’Actes Uniformes concernant chacune de ces matières du Droit des affaires. Les règles découlant des Actes Uniformes s’appliquent de façon identique dans chacun des Etats Membres de l’OHADA. Ainsi de nos jours on a un Acte Uniforme en matière d’organisation des procèdures collectives d’apurement du passif; un Acte en matière de Droit des sociétés commerciales et des GIE; aussi en matiere de Droit commercial général; en matière d’organisation des sûretés; en matière de Droit des sociétés coopératives; en matière de contrats de transport de marchandises par route; également en matière d’organisation et d’harmonisation des comptabilités des entreprises; en matière d’organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution; et enfin en matière de Droit de l’arbitrage. Dans toutes ces matières, c’est exactement le même texte qui s’applique quel que soit le pays Membre, dès que l’Acte concerné est ratifié. Aujourd’hui tous ces Actes s’appliquent comme lois nationales dans les 17 Etats Membres. Ainsi le juge de Saint-Louis et celui de Brazzaville appliquent le même texte s’ils doivent trancher chacun de son côté un litige en matiere de transport de marchandise par route”
“Ah ça se précise pour moi maintenant Cher ami Lion Bi“ complimenta Looy Gi. “Mais”, revint-il “Comment les citoyens sont-ils informés de l’existence d’une nouvelle règle? Comment peuvent-ils en prendre connaisance? Et s’ils ne sont pas au courant de son existence, de sa mise en vigueur alors qu’on leur dit que “nul n’est censé ignorer la loi?”.
Question pertinente encore Cher ami Looy Gi” reconnut Lion Bi avant de poursuivre:
“A cause de leur portée générale, lorsqu’une loi, un décret et un arrêté ministériel sont pris, ils sont notifiés au peuple par leur publication au Journal Officiel du pays (on dit alors qu’ils sont promulgués). Certaines de ces mesures peuvent indiquer qu’elles sont d’application immédiate tandis que d’autres disent quant à elles, qu’elles s’appliquent à une certaine date future. En ce qui concerne les lois par exemple, certaines peuvent elles-mêmes préciser qu’elles s’appliquent dès leur promulgation, dès leur publication au journal officiel, tandis que d’autres peuvent dire qu’un décret d’application suivra. En général les décrets d’application donnent le détail de la signification et de la prise d’effet ou entrée en vigueur d’une loi.
“Fascinant, Cher ami, Lion Bi, Mais…au fait y a t-il un recueil de toutes ces règles“demanda Looy Gi
“Absolument Cher ami, Looy Gi” répondit Lion Bi avant d’ajouter: “Il faut savoir que les lois qui concernent un domaine similaire ont été regroupées dans des codes: ainsi on a le Code pénal, le code du travail, le code général des collectivités locales, le code général des impôts, etc, Toute nouvelle loi concernant le domaine de l’un quelconque de nos codes sera insérée dans le code pour cette matière dès sa mise en vigueur. Il demeure que toutes ces règles figurent également dans le Journal Officiel en agencement par date
Looy Gi d’apprécier: “Très clair Lion Bi” avant d’interroger:” Mais, n’est-il pas possible aussi que l’application de ces règles créent des conflits. Elles peuvent etre contestées, violées, mal appliquées etc. Que se passe-t-il alors?”
Lion Bi de répondre: “Maintenant que les lois, décrets et arrêtés sont entrés en vigueur, ils sont applicables et opposables à tous ceux qu’ils concernent. Mais des disputes peuvent naitre concernant leur violation ou leur application. Quand cela se produit, on fait en général recours à un tribunal ou à une cour pour faire trancher la dispute. Et quand les cours et tribunaux tranchent, c’est en rendant des décisions qui elles aussi, lorsqu’elles deviennent définitives (c’est à dire ne peuvent plus être attaquées devant une juridiction supérieure) sont obligatoires à tous ceux qu’elles concernent. Ces décisions sont appelées arrêts (à ne pas confondre avec arrêtés) lorsqu’elles sont rendues par une cour (par exemple la Cour des Comptes, la Cour d’Appel, la Cour Suprême etc ) et elles sont appelées jugements lorsqu’elles sont rendues par un tribunal (par exemple le Tribunal d’Instance, le Tribunal de Grande Instance, le Tribunal du Travail etc)”
“Cher ami Lion Bi, il n’y a aucun doute que grâce à votre sagesse je suis maintenant mieux éclairé sur les tenants et aboutissants de Luwaabi” dit Looy Gi.
“Cela est très réconfortant, mon ami Looy Gi”, répondit Lion Bi avant de résumer: ” On voit donc qu’en général dans la Loi du pays on a les lois ou conventions internationales, les lois qui viennent du référendum, celles qui viennent de l’Assemblée Nationale, les décrets, arrêtés, circulaires et directives qui nous viennent de l’Administration, ainsi que les arrêts et jugements (les décisions de justice) qui nous viennent des cours et tribunaux lorsqu’ils tranchent les litiges concernant la violation et l’application des lois, décrets, arrêtés, circulaires et directives. Et la Loi reste obligatoire à tous ceux à qui elle s’adresse: individus, Administration, Parlement, cours et tribunaux et sur une étendue territoriale et un temps donnés”.
“A vrai dire Lion Bi, laissez-moi vous tirer ma révérence. Je peux vous rassurer que votre étudiant que je suis est maintenant devenu plus familier avec Luwaabi. Mais en bon étudiant de Lion Bi je ne puis m’empêcher la curiosité d’en savoir plus sur Luwaabi: notamment l’ordre d’importance de ses différents types de règles et d’explorer peut être d’autres aspects du Droit. Mais je vais devoir réserver cela à une autre visite. Une bonne raison d’ailleurs pour moi de revenir le plus tôt que possible. Mais sachez que je repars d’ici énormément instruit et que je porterai la bonne parole de Luwaabi à ma nation. Cher ami Lion Bi permettez-moi de prendre congé de vous maintenant car j’ai un long voyage qui m’attends. C’était un plaisir de vous voir et de bénéficier encore de votre sagesse”
“C’était un immense plaisir de vous avoir ici Looy Gi. Revenez bientôt, il y a d’autres aspects très intéressants que l’on pourrait explorer ensemble” insista Lion Bi.
“Vous pouvez compter sur moi” lui lança Looy GI déjà dans les airs ”A bientôt,. très bientôt..” ajouta-t-il avant de disparaître dans le ciel sous le regard accompagnateur et protecteur de son vieil ami Lion Bi, visiblement nostalgique déjà, avant de se diriger vers ses appartements en soupirant “Sacré Looy Gi. A très bientot..”
Adama Ndao, Juriste, Washington