Criminalisation du viol : les magistrats décèlent des insuffisances de la loi
«Nouveautés et défis de la loi portant criminalisation du viol», c’est le thème de la journée de réflexion organisée par l’Union des magistrats sénégalais (Ums) samedi dernier. Seulement, même si, dans leur grande majorité, les acteurs judiciaires ne sont pas totalement contre cette nouvelle réforme, ils ont appelé à plus de prudence. Lors de cette rencontre, avocats, magistrats et membres de la société civile se sont penchés sur la question, dénonçant la rapidité à laquelle la loi a été adoptée, décelant les failles et les manquements et en faisant aussi des propositions. Les magistrats et la police ont aussi appelé l’Etat à les appuyer dans la recherche de preuves pour une justice efficiente et afin d’éviter les erreurs judiciaires.
«Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol», voilà ainsi définie l’infraction du viol, par l’article 320 du Code pénal sénégalais. Dans la nouvelle réforme, ledit article précise les sanctions pénales ainsi qu’il suit : «le viol est puni de la réclusion criminelle de 10 à 20 ans (…) Si le viol a entrainé la mort, s’il est précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie, le coupable sera puni de la réclusion criminelle à perpétuité, sans possibilité de réduire la peine au-dessous de 20 ans, nonobstant les dispositions de l’article 432». Il s’agit donc de mesures draconiennes prises par l’Etat suite à la forte demande de la société civile, mais surtout des femmes. Mais cela donne des frissons à beaucoup d’acteurs de la justice, précisément les avocats.
Me Etienne Ndione : «les avocats n’ont pas été associés»
Avocat à la Cour, Me Etienne Ndione a d’abord déploré le fait que les avocats n’aient pas été associés à la prise de la mesure. Me Ndione a trouvé plusieurs insuffisances à cette loi. «Est-ce que le durcissement des peines suffit ? Beaucoup de praticiens restent pessimistes. Cela risque de faire l’effet boomerang», a souligné la robe noire. «On a accéléré les choses sans se sourciller de ceux qui sont injustement accusés», peste-t-il. Selon lui, au Sénégal, on croit aveuglément aux paroles de l’enfant. «Doit-on aveuglément croire aux propos de l’enfant ? Les enfants peuvent raconter des contrevérités, par manipulation ou menace», prévient-il, non sans ajouter qu’il arrive des cas où c’est par la géolocalisation ou les tests ADN que la vérité jaillit et où l’enfant est obligé de changer de version. La robe noire a ainsi donné en exemple le cas d’un de ses clients accusé à tort par un enfant et qui souffre depuis de «pédophobie». Il a par ailleurs invité les magistrats à éviter le placement systématique des inculpés sous mandat de dépôt. «Autant l’instruction est obligatoire autant le placement sous mandat de dépôt ne l’est pas. Il n’y a aucun lien», souligne-t-il.
«Les insuffisances de la loi»
Pour les magistrats, il fallait d’abord décortiquer la chose. Des insuffisances, il y en a plusieurs. Deux grands problèmes posés par la loi ont été soulignés. Le premier, c’est la notion de consentement. Comment comprendre la notion, à quel âge peut-on parler de consentement ? Cela a fait l’objet de débat de la part des participants. Pour un enfant de moins de 13 ans, il y a absence de consentement. Pour les autres qui ont moins de 18 ans, on peut en discuter. Des exemples ont fusé, dont les cas retrouvés souvent à Kolda, où des enfants précoces âgés de 14 ans disent avoir été violés, mais une fois devant le juge, elles reviennent sur leurs déclarations jurant avoir consenti aux relations sexuelles, menaçant même de se donner la mort si le prévenu est condamné.
Le deuxième problème porte sur le libellé des articles 320 et 432 de la nouvelle loi réformée qui, pour certains, omet de préciser des circonstances atténuantes en cas de viol dit «simple». Car pour ce qui est du viol suivi de meurtre, la loi est claire en précisant qu’il ne peut y avoir de circonstances atténuantes. Mais, cette question n’a pas été définitivement réglée par les participants. Pour le juge Souleymane Teliko, les circonstances atténuantes sont «de droit» octroyées.
Demba Kandji : «Nous appliquerons cette loi, sans état d’âme, mais…»
Il n’a participé aux débats pour être rentré plus tôt, mais le Premier président de la Cour d’appel de Dakar a auparavant apporté quelques précisions. «Il s’agit d’un texte qui vient changer les paradigmes. Tout change. Il ne s’agit pas de se contenter de deux versions, même dans les procès-verbaux. Il faut plus de preuves scientifiques pour permettre aux juges d’avoir les éléments d’appréciation», martèle Demba Kandji à l’endroit des agents de la police participant à la rencontre. Par ailleurs, pour bien rendre justice, dit-il, le magistrat doit être outillé ; tout comme les enquêteurs, du reste. «Les magistrats veulent plus d’outillages. Nous appliquerons cette loi, sans état d’âme. Mais, il faut se souvenir que la justice est appliquée par des hommes et elle est appliquée à des hommes», rappelle Demba Kandji dixit. Souleymane Teliko d’ajouter, dans sa réflexion : «la loi porte des insuffisances, mais nous serons les seuls à être comptables de l’application».
La police n’a pas de laboratoire pour les tests ADN
Du côté de la police scientifique et technique, le Directeur a déploré l’absence de laboratoire pour les tests ADN. Selon Babacar Simal, la police n’est pas dotée de ce laboratoire et le centre privé à Dakar qui était sollicité leur a rétorqué, un jour, que leur machine est en panne. Ce qui fait que, dans le cas par exemple des deux gamins tués à Diourbel, ils ont été obligés d’envoyer les prélèvements en France. Le commissaire a précisé que pour ce genre de prélèvement, le coût atteint 23.000 euros, mais la France le fait gratuitement pour le Sénégal.
En réponse à toutes ces inquiétudes, Mandiaye Niang, représentant le ministre de la Justice a rassuré ses confrères. «La loi n’a pas besoin d’être parfaite pour être appliquée. La critique constructive doit être en amont (…) les consultations les plus larges ont été entreprises. Il faut continuer la réflexion sur toutes les implications de la loi».
Notons, par ailleurs, que dans la nouvelle réforme, les peines en matière criminelles ont changé d’appellation. Il s’agit désormais de réclusion criminelle à perpétuité, réclusion criminelle à temps, détention criminelle à temps et dégradation civique, telle que précisé par l’article 7 du Code pénal.
Manque de moyens des cabinets d’instruction, absence de labo dans la police, coopération française… Demba Kandji se fache et crache ses vérités
«Je ne peux pas comprendre qu’une police scientifique dise qu’elle ne dispose pas d’un laboratoire pour procéder à la manifestation des preuves ou que le laboratoire sur lequel elle comptait est en panne. Si nous voulons être indépendants, souverains, nous ne pouvons pas toujours compter sur les coopérants qui sont dans nos ministères pour envoyer des prélèvements en France, sur la gratuité. Je crois que c’est une démarche assez humiliante, ce n’est pas bon. Vous le faites deux ou trois fois, la France ne répond plus. Il nous faut demander à l’Etat d’accompagner ces politiques qui sont quand même utiles pour notre justice, pour sa cohésion. Je suis heureux de constater que la police se met à niveau. Et peut-être même que la police est allée plus loin que nous.
Parce qu’aujourd’hui, dans les cabinets d’instruction, il n y a pas de moyens. Et il n’y pas assez de fixité dans les cabinets pour permettre aux juges d’instruction de capitaliser ce qui est acquis. (…) Nous devons éviter de commettre des erreurs, en faisant preuve de responsabilité en tant que professionnels. Un juge ne peut pas, saisi de fait, se projeter sur ce qui va lui arriver s’il prend telle ou telle décision. Un juge, c’est des faits qu’on lui soumet et il dialectise avec le droit. Lui seul peut le faire. S’il se met à penser à son image ou à ce qui peut lui arriver, cela peut être catastrophique. Notre responsabilité est grande parce que nous jugeons au nom du peuple, mais nous voulons le faire en prenant toutes les précautions».
Alassane DRAME – Les Echos