[Chronique] les élites dirigeantes africaines mises à nu et en danger par le Covid19 – Par Demba Thioune Jr.
Le Coronavirus a menacé et continue de menacer une classe politique mondialisée et voyageuse, autant qu’elle met à nu leurs défaillances en matière de santé publique.
Plusieurs chefs d’états, ministres, membres de gouvernement, députés, diplomates, sénateurs, officiels avaient la préférence de se faire consulter, se faire soigner en Europe, aux états-unis, aux émirats etc. Aujourd’hui, depuis l’arrivée fâcheuse du terrible virus, le plus grand ennemi actuel de l’humanité, tout le monde est obligé de rester chez-soi.
Aucun voyage officiel, aucune rencontre de leaders d’une nation à autre, pas sommets internationaux, aucun avion présidentiel du monde n’a quitté un pays pour atterrir à une piste d’un autre territoire. Aucun déplacement autorisé, seuls les cargos et les avions médicalisés transportant des équipements de protection individuelle, mes médicaments, des kits prennent les airs. Tous les autres avions, jets privés sont tous cloués au sol. Même les déplacements interrégionaux sont interdits : le mot d’ordre que chacun reste reste confiné à son domicile, à son terroir.
Ces hommes d’affaires africains à l’image de Abba Kyari ayant eu des habitudes dans l’hôpital où il était soigné par des médecins de renom à Londres. Parfois, ce septuagénaire Kyari à la santé fragile quittait discrètement Abuja, la capitale fédérale nigériane, dans l’urgence.
C’est l’exemple aussi de certaines hautes personnalités de l’état du Sénégal tels que l’ancien premier ministre, actuel secrétaire d’état à la présidence, Mr Mouhammad Boun Abdalah Dione récemment hospitalisé en France, le feu Ousmane Tanor Dieng, ancien secrétaire général du Parti socialiste hospitalisé puis décédé en France etc.
Encore plus loin, le président Nigerian Muhammadu Buhari, 77 ans, s’absentait lui aussi du pays plusieurs mois durant pour traiter ses problèmes de santé au bord de la Tamise.
Le Président Gabonais Ali Bongo Odimba qui était lui aussi interné en Arabie Saudite pour la fragilité de son état de santé.
Ils ont « oublié » de construire des infrastructures sanitaires modernes à l’image de celles qu’ils font confiance en dehors de l’Afrique. Peut-être osons le dire qu’ils ont jamais pensé un jour que tout sera aux arrêts, pas de voyage, pas d’évacuations possibles car chaque pays du monde se concentre sur son peuple, sur son avenir politique, économique, sanitaire, socio-éducatif…
Par rappeler et conforter cette obligation de se faire soigner en territoire national, le plus influent des conseillers de M. Buhari, testé négatif au Covid-19, s’est retrouvé contraint de se soigner dans son pays, première puissance économique d’Afrique, qui consacre à peine plus de 4 % de son budget à la santé. « J’ai pris mes propres dispositions en matière de soins pour éviter de surcharger davantage le système de santé publique, qui est soumis à tant de pressions », a tenu à préciser dans un communiqué M. Kyari, sans doute peu désireux de s’infliger le calvaire des hôpitaux publics négligés par son administration. Au Sénégal, l’ancien président de l’olympique de Marseille, Mr Pape Diouf décédé des suites du COVID19, était au centre des maladies infectieuses de Fann où il a perda la vie.
Le Covid-19 n’épargne pas la classe dirigeante africaine, globalisée et voyageuse, clientèle dépensière dans les prestigieux hôpitaux d’Europe, d’Asie, de Suisse, d’Arabie saoudite ou d’Israël. Ils sont même les premiers touchés. Bloqués chez eux par les suspensions des vols suivies des fermetures de frontières et des mesures de confinement, les voilà soudain confrontés aux conséquences concrètes de leurs politiques sur un continent qui se contente de seulement 1 % des dépenses mondiales de santé, et ce débat avec deux docteurs pour 10 000 habitants. Les hôpitaux publics d’Afrique ne disposent en moyenne que de 1,8 lit pour 1 000 personnes. Les conditions de prise en charge dans ces établissements sont régulièrement dénoncées.
« PRIS À LEUR PROPRE PIÈGE »
« Premiers concernés par le Covid-19, les dirigeants doivent à la fois se soigner ou se protéger, tout en essayant de gérer cette crise et de masquer leurs échecs en matière de santé publique. Ils sont en quelque sorte pris à leur propre piège et c’est une première dans l’histoire du monde. »
Du Mali au Zimbabwe, de la République démocratique du Congo (RDC) à la Côte d’Ivoire, du Sénégal à la Mauritanie, les chefs d’Etat, leurs conseillers et leurs ministres de même que leurs proches peinent à contenir leurs inquiétudes au gré des résultats rendus par les rares tests disponibles sur le continent. Comme autant de verdicts sanitaires augurant des changements subis de gouvernance.
Des gouvernements et des Parlements entiers sont confinés. Des Etats se retrouvent paralysés sur le plan politique, ou techniquement ralentis. Au Burkina Faso, par exemple, au moins six ministres, dont deux guéris, et le chef d’état-major général des armées sont ainsi infectés. Le Covid-19 a pris la forme d’un virus politique et urbain d’abord, révélateur des défaillances des pouvoirs en place.
Aujourd’hui, les hommes politiques sont les premiers responsables des faiblesses des systèmes et infrastructures de santé et les premiers à devoir trouver des solutions, dans l’urgence.
Si le Covid-19 a, dans certains pays africains, affecté d’abord les élites, il se répand désormais dans les quartiers populaires où les indicateurs d’accès aux soins sont aussi préoccupants que les risques d’une propagation rapide.
LA FERMETURE DES FRONTIÈRES RÉVEILLE LA CRAINTE DE PÉNURIES ALIMENTAIRES !
Comment justifier auprès de la population la disponibilité d’un seul respirateur artificiel dans les hôpitaux publics de Conakry, la capitale de la Guinée, où un premier cas a été diagnostiqué mi-mars ? Le pouvoir, de plus en plus contesté, du président Alpha Condé avait pourtant feint de renforcer les capacités médicales après l’épidémie due au virus Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016 qui avait fait 11 300 morts.
Le Covid-19 est perçu par une partie de la population guinéenne comme un virus importé du Nord par les élites occidentales et locales. Ces dernières ne se sentaient pas vraiment menacées par Ebola, un danger venu de la brousse, à l’intérieur du pays. Il faut noter que « le contexte électoral [législatives et référendum constitutionnel organisés le 22 mars] a nui à l’efficacité de la réponse politique et sanitaire à l’épidémie, du moins au début en Guinée. En outre, les élites contaminées ont traité le coronavirus avec une certaine légèreté, y compris pour leur propre cas.
En RDC, il n’y a qu’une cinquantaine d’appareils d’assistance respiratoire pour plus de 80 millions d’habitants vivant sur un territoire aussi vaste que l’Europe occidentale. Certains pays du continent n’en disposent d’aucun en état de fonctionner. Ce qui renforce les angoisses dans les villes, où le confinement – parfois imposé par la force militaire et mal expliqué – peut être perçu comme une oppression de plus et une asphyxie de la si vitale économie informelle. Le tout conjugué à un risque de pénurie alimentaire.
« PROCÈS POPULAIRES CONTRE LES ÉTATS »
C’est l’ensemble des conditions réunies pour qu’émergent des mouvements urbains de protestation menés par ceux qui n’ont rien à perdre à défier des régimes jusque-là indifférents à leur santé, à leur vie. Les centres urbains d’Afrique sont d’extraordinaires lieux de ségrégation, que ce soit par le pouvoir, l’argent, le logement et l’accès aux soins. Cette pandémie exacerbe les inégalités sociales et renforce les sentiments d’injustice face à la santé. Elle augure forcément des contestations politiques en Afrique.
Au risque de voir ces éventuelles agitations sociales affaiblir des régimes dirigés par des chefs d’Etat âgés, à la santé fragile, et qui peinent à entretenir l’illusion d’un pouvoir fort ? Des régimes autoritaires en Afrique subsaharienne pourraient se révéler « incapables de démontrer un minimum de prise face aux chocs sanitaires et économiques [et] pourraient être fortement contestés. Plusieurs Etats fragiles vont se trouver encore davantage contestés, et incapables d’assumer leurs responsabilités régaliennes et westphaliennes », se risquent à prédire.
Cette réalité actuelle politique et sanitaire de l’Afrique est le reflet réel des conditions de vie des populations africaines. C’est la formule exacte et l’image parfaite du niveau de pauvreté et de la carence des politiques de santé efficaces.
En vérité, les discours, les promesses, les plans, les grands projets n’ont un et unique fruit et résultat ces souffrances des peuples d’Afrique qui se retrouvent dans un horizon obscur et incertain.
Bon début du mois béni du RAMADAN.
Alhamdulilah !
Demba Thioune Jr.