Interview

Colonel Jean Bertrand Bocandé, patron de l’Administration pénitentiaire : « dans une corporation, certains, dans des moments de faiblesse, peuvent exprimer autrement leurs émotions. Mais le personnel est à féliciter »

Colonel Jean Bertrand Bocandé, patron de l’Administration pénitentiaire
Colonel Jean Bertrand Bocandé, patron de l’Administration pénitentiaire

Gendarme à la tête de l’Administration pénitentiaire, le colonel Jean Bertrand Bocandé, dans cet entretien accordé à «LesÉchos», revient sur les mesures prises par l’administration qu’il dirige pour amoindrir les dégâts de l’épidémie à coronavirus dans les prisons. Et alors que plusieurs cas sont signalés entre Thiès et Diourbel, le Directeur général de l’Administration pénitentiaire explique que cela n’est en rien dû à une faiblesse du système de riposte établi dans les lieux de détention. À bâtons rompus et sans détour, cet économiste de formation, devenu par la force des choses patron des matons, s’est également exprimé sur la situation de la carte carcérale sénégalaise, reconnaissant des manquements et évoquant des efforts importants qui sont en train d’être faits. Il revient aussi sur le cas des gardes qui ont déploré leur confinement au sein des prisons pendant quatre mois, qu’il qualifie de moments de faiblesse pour certains gardes à qui il rappelle qu’avec leur statut paramilitaire, ils sont préparés à de telles situations.

Les Echos : L’administration pénitentiaire a pris plusieurs mesures pour éviter l’entrée de la Covid-19 dans les prisons. Aujourd’hui, c’est quoi la situation dans les lieux de détention ?

Jean Bertrand Bocandé : Aujourd’hui, je peux vous dire que la situation épidémiologique concernant les prisons est maitrisée. Les 25 et 26 juillet, nous avons enregistré nos premiers cas de contamination au Covid-19, respectivement à la Maison d’arrêt et de correction de Thiès et à la Maison d’arrêt et de correction de Diourbel. Mais je dois dire que ce n’est pas une faiblesse du dispositif. Parce que je peux dire que le virus est entré là où il était attendu. Depuis le 23 mars, nous avions pris des mesures de protection. L’objectif était de préserver les établissements pénitentiaires et la famille pénitentiaire, c’est-à-dire les détenus et le personnel. Dans ce sens, nous avons pris des mesures de sauvegarde en suspendant les visites, les entrées de plats et colis venant de l’extérieur, mais également en consignant le personnel de l’Administration pénitentiaire. Mais il y avait dans le dispositif des voies qui permettaient au virus d’entrer dans les prisons. On en avait identifié quatre. Il y avait les mandats de dépôt, parce que les prisons, même si elles sont fermées, continuent de recevoir des mandats de dépôt. D’ailleurs à Thiès, par exemple, le virus est entré par une personne placée sous mandat de dépôt et qui a développé les premiers signes après quatre jours de détention. Là, ce qu’il faut retenir, c’est l’efficacité de notre système qui a permis de circonscrire la contamination.La deuxième voie d’entrée du virus dans les prisons, ce sont les audiences. Parce que tous les matins, les gens vont au tribunal. Et la troisième voie, ce sont les transfèrements sanitaires. Parce qu’il y a des malades pour d’autres pathologies que nous transférons à l’hôpital. Et la quatrième voie qu’on a identifiée, ce sont les avocats. Même si, c’est vrai que les risques étaient moindres pour ce cas de figure.

Mais dans ce cas, est-ce que les mesures prises ont été efficaces ?

Oui les mesures ont été efficaces puisque ce n’est pas une faiblesse du dispositif. Quand vous êtes dans un établissement qui fait 500 détenus comme à Diourbel et qu’après tout ce temps on vous dise qu’il y a eu 12 contaminations, cela veut dire qu’il y a un travail de quarantaine, de prise en charge des nouveaux arrivants qui est fait. C’est idem à Thiès puisque là-bas, nous avons 1200 détenus, mais les contaminations et présumées contaminations concernent moins d’une centaine de détenus. Mais mieux, à Thiès, tous ceux qui sont concernés se trouvaient dans la zone de quarantaine. Et nous avons pris en charge tous les contacts : que ça soit le personnel surveillant où les détenus. Et à l’heure actuelle, toutes les personnes contacts ont déjà subi leurs premiers tests de guérison. Nous attendons le deuxième test pour pouvoir les déclarer totalement guéris. C’est pour dire que pour ce qui est des contacts, on n’a pas cherché à savoir qui est positif ou qui est négatif, on a traité tout le monde. Cela, pour être prudent dans notre gestion de l’épidémie.

Alors, à l’heure actuelle, combien de cas sont déplorés par l’administration pénitentiaire ?

Là je ne peux plus parler de nombre de cas. Parce qu’ils sont pratiquement tous guéris. Actuellement, ils ont terminé leur traitement.

Mais ils ont été malades. Donc dites-nous combien ils sont ?

Je n’ai pas voulu entrer dans le jeu arithmétique. Par exemple, à Diourbel, je peux vous dire qu’on avait neuf cas. Les huit sont guéris et complétement guéris. Et à l’heure actuelle (l’interview a été réalisée mercredi 22 juillet, ndlr), on a un seul cas qui a subi son premier test de guérison. Maintenant à Thiès, on a fait un premier test, quand les résultats sont venus 48h après, il y avait des positifs et des négatifs. Mais en 48h, les négatifs pouvaient se retrouver positifs. Et donc on a décidé de traiter tout le monde.L’autre chose qu’il faut préciser, c’est que notre dispositif d’alerte marche. Parce qu’à Ziguinchor, on a eu deux cas d’alerte. Il y avait des détenus qu’on avait flashés avec une forte température et qu’on avait référés à l’hôpital régional de Ziguinchor, mais qui se sont avérés négatifs après tests. À Bambey également, un détenu a été envoyé à l’hôpital, il est également négatif. C’est dire qu’à chaque fois qu’il y a suspicion on envoie pour ne prendre aucun risque.

Toutes ces mesures ont créé une protestation de certains gardes, qui déplorent leur consignation au sein des prisons pendant quatre mois sans voir leur famille. Comment avez-vous géré ce phénomène ?

Oui, on a eu écho de cette affaire. Mais fort heureusement, ce n’est pas le sentiment de l’écrasante majorité des gardes pénitentiaires. C’est vrai, dans une corporation, il peut y avoir certains qui, dans des moments de faiblesse, peuvent exprimer autrement leurs émotions. Mais je crois que le personnel est à féliciter, parce qu’il a été dans sa mission depuis le début de cette situation. Et c’est une bonne occasion pour l’Administration pénitentiaire de tester sa capacité de résilience. Parce que nous nous sommes engagés pour ça, en tout temps et en tout lieu. Donc c’est une bonne occasion de prouver que nous on est là dans des situations difficiles. Nous avons un statut de paramilitaire et on est préparé à ça. Et pas plus tard qu’aujourd’hui (le jour de l’interview mercredi 22 juillet 2020, ndlr), les officiers de l’Administration pénitentiaire ont unanimement réitéré leur adhésion à la mesure. Parce que c’est une décision responsable, compte tenu du contexte on ne peut pas faire autrement. D’ailleurs, mes informations font état de l’adhésion des détenus à la mesure de suspension des visites.Parce que l’objectif, par rapport à la consigne, c’est de protéger les établissements pénitentiaires, afin de protéger le personnel et leurs familles, mais également de protéger les détenus. Nous ne pouvions pas interdire les visites aux détenus et laisser les surveillants faire des allers-retours. Ce ne serait pas responsable. Parce qu’il ne faudrait pas que l’introduction du virus dans le milieu carcéral soit le fait d’un garde qui est censé protéger la prison et les détenus.

Aujourd’hui, quelle est la situation carcérale globale du Sénégal ?

Actuellement nous avons trente-sept (37) établissements pénitentiaires composés de deux maisons d’arrêt : la maison d’arrêt de Rebeuss et la maison d’arrêt des femmes ; trente-deux (32) maisons d’arrêt et de correction ; deux (2) campspénaux : le camp pénal de Liberté 6 et celui de Koutal et une maison de correction qui est celle de Sébikotane. Donc à l’heure actuelle (le jour de l’interview, ndlr) on est à 9814 détenus.

C’est beaucoup, comparé au nombre de places dont vous disposez. Cela confirme l’épineuse question de la surpopulation carcérale…

La surpopulation carcérale est réelle. C’est vrai qu’il ya plus de détenus que de places disponibles. Mais actuellement, la situation est allégée, parce qu’en temps normal, c’est-à-dire sans la crise, on serait à 12.000 détenus. En janvier dernier, c’est-à-dire avant la crise, on était à plus de 11.000 détenus. C’est donc l’occasion de remercier le chef de l’État pour avoir accordé une grâce exceptionnelle à la population carcérale, lors de la fête du 4 avril et de la fête de la Korité. En guise de comparaison, en 2019, pour les quatre grâces à savoir Korité, 4 avril, Tabaski et Fin d’année, on avait 2200 détenus. Alors que rien que pour le 4 avril cette année, on a eu 2036 plus les 1021 de la Korité. Par exemple avant la crise, Rebeuss comptait 2400 détenus et là on est à 1600.Mais iln’ya pas que ça. Il ya un effort important, notamment au niveau des parquets et des cabinets d’instruction par rapport à la liberté provisoire. Près de 600 détenus ont bénéficié de liberté provisoire. À cela, s’ajoutent les libérations conditionnelles, qui sont accordées par le juge d’application des peines. Et tout cela fait que la population carcérale actuelle correspond à celle de 2016. Parce qu’il est avéré qu’au Sénégal, la population carcérale grossit de mille (1000) détenus par an.

Qu’en est-il du personnel ? Le Sénégal est à un ratio d’un garde pour neuf détenus. C’est beaucoup. Qu’est-ce qui est fait pour s’approcher des normes ?

Les normes sont variables. Dans certains pays, c’est un surveillant pour deux détenus. Pour ce qui est des normes Cicr (Comité international de la Croix-Rouge, ndlr), c’est un surveillant pour cinq détenus. Et pour l’infrastructure, c’est 3,4 m2 pour un détenu. Nous, on est à un surveillant pour neuf détenus. Mais il faut préciser que dans ce calcul, le personnel administratif n’est pas pris en compte. C’est vrai que c’est beaucoup, mais des efforts sont en train d’être faits. Parce que l’effectif du personnel de l’Administration pénitentiaire est en train d’être doublé en trois ans. Parce qu’on a eu droit à des recrutements massifs de deux fois trois cents en 2017 et 2018.

Le Sénégal comptait 36 établissements pénitentiaires en 1999. Plus de 20 ans après, le pays n’en compte que 37. Qu’est-ce qui est fait en termes d’infrastructures pour renverser
Sur ce point, je dois dire que des efforts importants sont en train d’être faits. Et actuellement, la tendance est en train d’être renversée. Ces dernières années, il ya eu beaucoup d’investissements en termes d’infrastructures. Nous avons quelques dernières réalisations à l’image du camp pénal de Koutal qui est passé d’une capacité de deux cents (200) à quatre cent cinquante (450). Il s’agit d’une construction neuve sur un ancien site. Nous avons également fait l’extension de la prison de Sébikotane, récemment réceptionnée, et qui a une capacité de quatre cents (400), ce qui porte la capacité totale de Sébikotane à 600.Actuellement, à Bignona, on est en travaux. À Mbour également, on est en travaux. La prison de Diourbel a fait l’objet de travaux d’extension l’année dernière, ce qui a permis un ajout de 90 places. Bambey également est en chantier. Tivaouane a également été réfectionnée. Et le pavillon spécial a été repris à neuf. Tout ça pour vous dire qu’en termes d’infrastructures, les choses bougent. Et notre capacité globale a été augmentée de près de 2000 places en l’espace de trois ans. Et même à Rebeuss, un nouveau quartier d’une centaine de places a été achevé.Sur le plan médical, il ya beaucoup d’investissements qui ont été faits. À Dakar, on a trois fauteuils dentaires qui sont gérés au niveau de Rebeuss et du Camp pénal. Sur la mobilité, on a acquis, pour cet exercice, 18 véhicules. L’Administration pénitentiaire n’a jamais acheté plus de quatre véhicule depuis 2004.

Entretien réalisé par Sidy Djimby NDAO et Cheikh Tidiane NDIAYE pour LES ECHOS

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