Démocratie

Prolifération des partis politiques : un boulet à la démocratie sénégalaise

Déthié Fall a lancé dimanche sa formation politique, le Parti Républicain pour le Progrès
l'ex numéro 2 de Rewmi déthié fall a lancé son parti en février

En 1996, ils n’étaient que 26. Au dernier recensement officiel, en 2019, on en dénombrait un peu moins de 300. Entretemps, ils sont passés à 325, selon une source du ministère de l’Intérieur. Au Sénégal, le nombre de partis politiques ne cesse de croître, depuis l’instauration du multipartisme intégral par Abdou Diouf, en 1981. Mais la tendance s’est beaucoup plus accentuée, ces dernières années, portant ainsi un sacré coup à la démocratie, d’après des analystes.

On les surnomme les « partis télécentres », du nom des cabines téléphoniques qui précédaient, au Sénégal, l’avènement du téléphone portable. « Le nombre total de leurs adhérents est tellement dérisoire qu’ils pourraient tenir dans le box étroit d’un télécentre », s’amusait le journaliste Madiambal Diagne, dans l’une de ses chroniques. Dans un pays où le corps électoral plafonne à 6,6 millions d’inscrits, d’après les chiffres de la dernière élection présidentielle de février 2019, cette profusion de formations politique fait désordre. Entérinée lors du référendum constitutionnel du 20 mars 2016, la « modernisation de la vie des partis politiques » était pourtant censée ouvrir la voie à une réforme.

Mais, aujourd’hui, la réforme tarde à être effective. Et la liste s’allonge de plus en plus. Le dernier en date, le Parti pour républicain pour le progrès (Prp)/ Disso Ak Askan wi, a été officiellement lancé, le 29 mars dernier, par le député Déthié Fall. Au même moment, son ancien camarade de parti (Rewmi), Dr. Abdourahmane Diouf, annonce la création « très prochainement » de sa formation politique.

Fonds de commerce

Analysant la situation « absurde », le Professeur Moussa Diaw, Enseignant-chercheur en Science politique à l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, souligne qu’au Sénégal, les partis politiques sont devenus à la mode. « C’est comme des associations, chaque leader politique a tendance à vouloir créer son parti, s’identifier à son parti, avoir quelque chose qui lui appartient. C’est une priorité privée, c’est la raison pour laquelle il y a une personnalisation de ces partis politiques et une facilité de création qui explique la prolifération de ces partis qui n’ont de sens que de nom », a-t-il d’emblée souligné.

A ce titre, il pense qu’il y a lieu de procéder à une réforme approfondie de ces formations politiques. Car, selon le politologue, celles-ci « ne répondent plus, aujourd’hui, aux critères politiques c’est-à-dire qu’en termes d’actions politiques, d’imagination, de réflexion reposant sur une idéologie de référence avec un débat approfondi, une démocratisation ensuite une participation aux différentes élections et à la formation à la citoyenneté ». Mieux, poursuit M. Diaw, « c’est devenu un fonds de commerce, de négociation parce qu’on est dans un cadre politique où il y a des coalitions. Donc, quand on a un parti politique, on a une capacité de participer à des négociations politiques et après, quand il y a victoire, il y a redistribution de fonctions, de rôles, de pouvoirs ». A l’en croire, c’est ce qui explique que chaque leader qui quitte un parti, quelle que soit son obédience, essaie de créer son propre parti pour avoir une capacité de négociation. « On monnaie le parti qu’on a créé pour des positions de pouvoir », récapitule l’enseignant-chercheur en Science politique, qui parle de « gangrène » à la démocratie.

Allant plus loin, le Secrétaire général du Groupe de recherche et d’appui conseil pour la démocratie participative et la bonne gouvernance (Gradec), Ababacar Fall, la naissance des partis politiques au Sénégal n’est pas un phénomène nouveau, mais elle s’est accentuée depuis l’an 2000 à la survenue de la première alternance démocratique. « Cette situation contribue à brouiller le jeu politique en ce sens qu’elle a créé un manque de lisibilité, car les références idéologiques ou doctrinales sur lesquels s’adossent ces nouveaux partis sont le plus souvent inexistantes ou diffus », a expliqué l’expert électoral. A l’en croire, la création de ces partis procède plus souvent de frustrations à l’interne ou de positionnement sur l’échiquier politique à cause de l’absence de démocratie interne dans les partis d’une part, mais également, dans certains cas, par une volonté de rejoindre le pouvoir par des voies détournées pour participer au partage du gâteau d’autre part.

Cadre juridique obsolète

Selon lui, l’autre facteur qui peut expliquer la profération des formations politiques au Sénégal est lié à l’existence « d’un cadre juridique obsolète qui a permis une trop grande liberté dans la création des partis du fait que ceux-ci sont considérés comme des associations de droit privé au même titre que les dahiras, associations culturelles ou sportives…, etc. ». Sous le régime du Président Senghor, le nombre de partis avait été limité aux quatre courants de pensées reconnus à l’époque et à l’arrivée du Président Abdou Diouf, ce verrou a sauté avec le vote de la loi 81-17 du 11 octobre 1981.

Dans cette loi, il est clairement indiqué dans l’exposé des motifs que « les partis politiques peuvent désormais être créés sans limitation de nombre et sans avoir à faire référence à un courant de pensée ». Ce texte a été modifié en 1989 par la loi n°89-36 du 12 octobre 1989. Ces deux lois ont esquissé un cadre juridique des partis politiques, outre la Constitution et les articles 812 et suivants du Code des Obligations Civiles et Commerciales.

Pour l’auteur du livre « L’histoire politique et électorale du Sénégal : l’éternel recommencement », la rationalisation des partis politique permettrait de « non seulement clarifier le jeu politique, mais aussi de trouver une solution au financement public des partis qui est agité depuis plus de trois décennies sur la base de critères de représentativité clairement définis ».

Et pour ce faire, poursuite M. Fall, « il urge de modifier l’actuel cadre juridique en rendant beaucoup plus corset la création des partis politiques sans tomber dans les travers d’un cadre juridique qui enfreindrait la liberté des citoyens à s’organiser pour concourir à l’expression du suffrage universel ».

Dr Yaya Niang, constitutionnaliste :

« Ces deux thérapies contre la prolifération des partis politiques »
Interpellé sur la prolifération des partis politiques au Sénégal, le juriste-publiciste, Dr Yaya Niang, soulève une délicate question relative à concilier entre la liberté d’association justifiant la libre création des partis politiques (principe constitutionnel) et la nécessaire rationalisation des partis politiques devant permettre une lisibilité des offres politiques. « Le constat renseigne que la plupart des partis sont créés suite à la démission d’un parti mère. De même, ces partis créés en grande partie rejoignent la majorité présidentielle. Du coup, la simple création d’un parti politique est devenue un moyen d’ascension politique », a-t-il fait constater.

Selon le constitutionnaliste, « la première thérapie, c’est d’appliquer la loi de N°81-17 du 6 mai 1981, modifiée dans toute sa rigueur. Elle prévoit en son article 4 que les partis politiques doivent être dissous s’ils ne respectent pas les exigences législatives comme le dépôt annuel du compte financier, la communication des modifications des statuts etc. Le seul respect de cette disposition peut faire réduire drastiquement le nombre de partis politiques ».

La seconde, indique, c’est la concrétisation de l’idée de Me Abdoulaye Wade consistant à organiser des primaires de partis politiques qui se retrouvent dans un même courant idéologique.

« En fait, après avoir appliqué rigoureusement la loi sur les partis politiques, le restant des partis politiques qui respectent toutes les exigences doivent pouvoir s’organiser en bloc suivant le courant auquel ils s’identifient. Les partis, qui ne s’identifient à aucun courant idéologique classique, forment aussi un autre bloc (une forme de bloc non aligné). On aura tout au plus 6 blocs », a ajouté Dr Niang.

Selon lui, il faut à la suite qu’il faut organiser des primaires de partis dans chaque bloc de partis. « Le parti qui sort vainqueur présente son leader à l’élection présidentielle (cette proposition ne concerne que l’élection présidentielle). Tous les autres partis appartenant à ce bloc soutiennent cette candidature. On se retrouvera avec 6 candidats voire 8 si on intègre les candidats indépendants ».

Salla GUEYE

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