Histoire

[Tribune] Sénégal : « l’affaire Omar Blondin Diop doit sortir du déni où elle sommeille depuis trop longtemps »

Un portrait d’Omar Blondin Diop est affiché derrière le militant sénégalais Guy Marius Sagna au siège du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp), à Dakar, le 25 mars 2021. SEYLLOU / AFP
Un portrait d’Omar Blondin Diop est affiché derrière le militant sénégalais Guy Marius Sagna au siège du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp), à Dakar, le 25 mars 2021. SEYLLOU / AFP

Selon le chercheur Florian Bobin, de lourds soupçons pèsent sur la thèse du suicide de ce révolutionnaire mort en détention le 11 mai 1973 sur l’île de Gorée.

Le 2 mars à Dakar, à la veille de l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko et des manifestations qui embrasèrent le Sénégal, le Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp) a tenu une conférence de presse pour appeler à la mobilisation contre le « projet de liquidation des militants » de l’opposition. Derrière la table où se sont exprimés les orateurs trônait le portrait d’Omar Blondin Diop, jeune révolutionnaire des « années 1968 » mort en détention le 11 mai 1973 sur l’île de Gorée.

Quarante-huit ans après sa disparition dans des conditions suspectes, le souvenir de ce jeune philosophe – et premier Sénégalais à être admis à Normale Sup –, embarqué dans la fièvre de Mai 68 à Paris (Godard le fit tourner dans La Chinoise) avant de se lancer dans l’action révolutionnaire, revient hanter le champ militant sénégalais.

C’est qu’il est devenu un symbole, un « martyr du néocolonialisme » et de pratiques répressives de l’Etat sénégalais souvent occultées à l’extérieur par les clichés entourant l’héritage de Léopold Sédar Senghor (le Sénégal « modéré », « îlot démocratique » dans une Afrique livrée aux dictatures). Senghor et Blondin Diop : la formation littéraire classique en partage, mais deux visions antagonistes du Sénégal.

Le Sénégal n’échappe pas à l’exigence de mémoire qui travaille les sociétés du monde entier, comme en témoigne cette affaire, blessure à la conscience collective sénégalaise jamais cicatrisée. Des voix s’élèvent pour demander la réouverture du dossier judiciaire. Car de lourds soupçons pèsent sur la thèse officielle du suicide. La disparition d’Omar Blondin Diop s’inscrit en effet dans la longue histoire d’éliminations répétées, et au demeurant impunies, de figures africaines anti-impérialistes. Les Camerounais Ruben Um Nyobè (1958) et Félix-Roland Moumié (1960), le Congolais Patrice Lumumba (1961), le Togolais Sylvanus Olympio (1963), le Marocain Mehdi Ben Barka (1965), le Bissau-Guinéen Amilcar Cabral (1973), le Sud-Africain Steve Biko (1977)… La liste est longue.

Une époque incandescente

Le destin de Blondin Diop est à l’image d’une époque incandescente. A Nanterre, en 1968, il est membre fondateur du Mouvement du 22-mars au côté de Daniel Cohn-Bendit. Sa participation au Mai parisien lui vaudra d’être expulsé vers le Sénégal en 1969. Son retour en France l’année suivante ne sera que de courte durée.

Dès l’annonce de l’arrestation de camarades dakarois – dont ses deux frères – condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement pour avoir tenté d’attaquer le cortège du président français, Georges Pompidou, en visite au Sénégal, il décide de s’initier à la lutte armée pour préparer leur libération.

 

Avec Florian Bobin (Le Monde)

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