Cinéma : les séries sénégalaises et le complexe de la Madone et la putain
Les séries sénégalaises tentent tant bien que mal de représenter la société. Souvent dans ces séries on peut observer un phénomène chez les personnages féminins : elles sont soit des modèles de chasteté, soit des femmes complètement dévergondées. Il n’y a pas de juste milieu. Mais est-ce vraiment une représentation de la femme sous toute son individualité ?
Dans la série « Infidèles», nous avons d’un côté les femmes musulmanes voilées et les femmes chretiennes, celibataires, qui se réservent pour le mariage et qui sont des femmes vertueuses. De l’autre, nous avons des femmes mariées, portant des greffages, lourdement maquillées, souvent vêtues de vêtements révélateurs, qui trompent leurs maris et séduisent des hommes pour leur argent.
Dans le fil de l’histoire, la première catégorie de femmes vit souvent une vie tranquille et sont récompensées pour leur vertu. Quant aux autres, elles finissent par vivre des tragédies qui sont des conséquences directes de leur appétit sexuel.
Nous avons l’exemple de Anta, un personnage de cette série, qui a refusé d’avoir des rapports avec un ex partenaire. Cet homme l’a ensuite violée. Les community managers ont voulu créer le débat en demandant si elle l’a mérité. Ceci parce que Anta a l’habitude d’utiliser les hommes pour leur argent ou leur performances au lit. Elle mériterait donc de se faire utiliser à son tour.
Le complexe de la Madone et la putain consiste en une dichotomie entre les femmes pures, innocentes et chastes et celles qui sont séductrices, sexuellement libérées et dévergondées. La femme est soit l’une soit l’autre. Cela vient du tableau « La Madone de l’humilité à la tentation d’Eve » peint en 1400 par Olivuccio di Ciracello.
Il représente en haut, la vierge Marie, voilée, qui porte le bébé Jesus, et en bas Eve, nue, avec Satan sous forme de serpent autour de son corp. Selon une étude de l’Université de Liège, ce complexe est ce qui empêche beaucoup de victimes de violences sexuelles d’obtenir justice. Celles comme Anta, qui sont des « putains » sont souvent décridibilisées.
Cette façon de représenter la femme lui enlève toute la multi-dimensionnalité dont un être humain est normalement doté. La femme est réduite à son comportement sexuel. On peut notamment observer que souvent, lorsqu’elle n’est pas dans la catégorie de la Madone, c’est une antagoniste. Les séries plus ouvertes et inclusives telles que Maîtresse d’un homme marié ne sont pas en reste. Le personnage de Djalika par exemple est passé de la Madone à la Putain. A la saison deux, elle est devenue la « maîtresse d’un homme mariée », même si elle est techniquement sa deuxième femme en cachette. Tout a changé chez elle quand elle a accepté cette position, son habillement, son maquillage et son caractère. Il est vrai que c’est une tentative de lui donner une autre facette, mais elle a simplement changé de face.
Laura Mulvey, cinéaste anglaise, a théorisé en 1975, le concept du « Male Gaze », le regard masculin dans son livre « Plaisir visuel et cinéma narratif ».
Dans cet article, Laura Mulvey explique que la femme est l’objet du regard conjugué des spectateurs et des protagonistes masculins. Elle est vue sous un prisme patriarcal. Il faut savoir que dans la table des scénaristes, se trouvent souvent des hommes et des femmes qui écrivent selon leur vécu et leur éducation. Ce complexe est bien effectif dans notre société sénégalaise.
La femme est soit «attachée à la cuisse de sa mère» et ensuite une bonne épouse et mère de famille, soit elle a l’habitude de trainer partout et c’est «une femme au pagne léger». Les médias ne sont que le miroir de notre société.