Economie

Interview – Renaissance du train au Sénégal : Mayacine Camara sur les rails…

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Mayacine Camara, secrétaire d'Etat auprès du ministre des Infrastructures, des Transport terrestres et du Désenclavement, chargé du Réseau ferroviaire

Dans cet entretien, le secrétaire d’Etat auprès du ministre des Infrastructures, des Transport terrestres et du Désenclavement, chargé du Réseau ferroviaire, revient sur l’importance du train pour l’atteinte des objectifs de développement que le Sénégal s’est fixés à travers le Plan Sénégal émergent. Mayacine Camara revient également sur la politique ferroviaire que le Sénégal est en train d’élaborer depuis deux ans. Concernant le projet Dakar-Tambacounda, le secrétaire d’Etat a indiqué que le projet qui est estimé à près de mille milliards permettra également des branchements pour rallier d’autres grandes villes comme Touba et Kaolack… Alors que sur le Ter, il assure que malgré le retard noté, le projet devra démarrer ses activités d’ici la fin de l’année.

Les Échos : Monsieur le Ministre, notre train est à l’arrêt depuis plusieurs années. Aujourd’hui, le Sénégal a-t-il une politique ferroviaire ?

Mayacine Camara : Le Sénégal depuis deux ans est en train d’élaborer une politique ferroviaire. Il s’agit d’une nécessité qu’on n’avait pas au départ et qu’il fallait élaborer avec les acteurs. Cela pour d’abord tracer la voie du secteur ferroviaire et faire de sorte que ce secteur aussi important de l’économie puisse accompagner le Plan Sénégal émergent. Aujourd’hui, le plus important, c’est le schéma ferroviaire qui est né de cette politique. Parce que même si le Sénégal s’est toujours projeté sur des schémas, cette fois-ci nous avons pu étudier les flux démoéconomiques qui sont actuels, mais aussi les flux démoéconomiques à impulser en termes de perspectives et également en termes d’avenir pour le Sénégal. Il s’agira par exemple de travailler les types de marchandises que le Sénégal devrait pouvoir échanger à l’avenir, sous quelle forme… et étudier aussi du point de vue du déplacement des populations les flux démographiques pour pouvoir proposer un schéma qui soit le plus rentable possible en termes d’échanges notamment. Parce que les zones de production et les zones de consommation sont assez éloignées. Ce qui fait que le chemin de fer sera le moyen le plus efficace pour réduire les coûts.

Jusqu’ici, une bonne partie du territoire n’est pas concernée par le train. Que faites-vous pour la viabilisation des zones ?

C’est l’autre point très important de notre travail. La question de la viabilisation des zones est importante. Des zones qui sont jusqu’ici oubliées comme le Ferlo, qui sont complètement désertes. Mais aussi des zones dont le potentiel souterrain est important et jusqu’à présent, il n’y a aucun investissement qui soit possible dans ces endroits, parce que tout simplement, il n’y a pas cette logistique de transport. Donc c’est ça que la politique ferroviaire a voulu régler en un moment donné et ça a été le fil conducteur de l’élaboration des différents objectifs et des différents programmes qui composent cette politique ferroviaire.

Il s’agit d’un projet gigantesque qui va forcément impacter des populations. Un travail est-il fait pour amoindrir les risques de perturbation ?

Nous avons fini. Aujourd’hui la problématique, c’est de pouvoir étudier les tracés réels, c’est-à-dire : comment faire pour éviter les cours d’eau, comment faire pour que les populations ne s’installent pas dans des nouvelles zones qui vont, demain, compromettre la mise en place de l’investissement. Ou tout simplement amener l’État à payer des compenses parce qu’il y a des zones qui sont nécessaires mais où il y a déjà des installations. Si on peut éviter tout cela dès maintenant pour les générations à venir, je crois que ce sont des dispositions autour de la politique ferroviaire qu’il faut prendre. Donc le ministère des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement, à travers le secrétariat d’État, est en train de travailler pour que la politique ferroviaire se déroule, sur le plan opérationnel, sans contrainte et sans problème, pour les générations d’aujourd’hui mais aussi pour les générations futures.

Les zones de production ne sont pas forcément à Dakar. Les autres zones seront-elles prises en compte ?

Il faut comprendre que la dorsale Dakar-Bamako est la principale voie sur laquelle doivent se connecter l’essentiel des lignes ferroviaires. Parce que, aussi, si on fait un chemin de fer, c’est pour exporter, c’est pour aller au port qui est un endroit d’éclatement vers le monde entier, mais surtout vers le Mali et le reste de la Cedeao où 300 millions d’habitants attendent les produits du Sénégal. Ainsi, il s’agit pour nous de travailler à ce que le riz de la vallée, le fer de la Falémé, les phosphates de Matam… puissent transiter par la dorsale et rejoindre les zones de consommation. Ce qui fait que la dorsale est très importante et très utile. C’est pour cette raison que le chef de l’État a donné de fermes instructions pour qu’en termes de souveraineté, en termes de politique nationale, en termes de vision pour une économie sénégalaise plus compétitive, on fasse de sorte que le chemin de fer joue d’abord un rôle national, notamment avec une densification des flux nationaux et ensuite aller vers l’extérieur pour faciliter l’exportation. C’est ça qui fait que sur la dorsale, nous avons privilégié Dakar-Kidira et nous commençons par Dakar-Tambacounda.

Aujourd’hui, où en est le projet Dakar-Tambacounda ?

En ce qui concerne le projet Dakar-Tambacounda, nous avons récemment signé avec des Canadiens qui nous ont fait une offre qui nous rassure. Le coût du projet c’est à peu près 1000 milliards. Mais là, il faut préciser qu’il s’agit uniquement du tronçon Dakar-Tamba, mais qu’il implique également tout ce qui est branchements. Que ça soit les branchements prévus pour Touba et Kaolack, mais également les branchements au niveau des ports et encore les branchements au niveau des grandes entreprises minières. Et ici, la nouveauté, c’est que ce sera en écartement standard. C’est-à-dire que de la ligne du Ter, à Tambacounda, il y aura une continuité. Ce qui est extrêmement intéressant en termes de cout et en termes de faisabilité. Avec ce projet, nous avons enfin une belle occasion de réaliser le hub-logistique de Tambacounda. Parce que malgré tout, la ville de Tamba n’a pas encore joué son vrai rôle de hub-logistique et nous considérons qu’avec la construction de ces voies nouvelles vers Tamba, nous pouvons débuter l’exploitation de nos ressources minières.

Un plan de relance a été mis en œuvre en attendant l’aboutissement du projet. Où en est-on ?

Oui, le chef de l’État a instruit la mise en place d’un programme de relance d’urgence pour démarrer le trafic des marchandises, du Port autonome de Dakar à la gare ferroviaire de Tambacounda où une plateforme logistique sera aménagée pour accueillir les conteneurs et permettre aux camionneurs maliens de pouvoir les récupérer à partir de Tambacounda. Ça va nous permettre d’économiser 460 kilomètres en aller-retour sur nos routes, mais également sur le trafic. Je crois que c’est extrêmement important en termes de réduction des accidents, mais également en termes de pollution, ensuite en termes de dégradation des routes. Et c’est une mesure urgente. C’est la raison pour laquelle la recommandation est de réaliser ça d’ici à décembre.

L’autre avantage de ce plan de relance, c’est qu’il va permettre une mobilisation des travailleurs. Ainsi, ces braves cheminots devront enfin trouver une activité continue. Cela va leur permettre de continuer à faire leur travail en attendant le démarrage des grands projets avec les partenaires canadiens.

Le Ter qui a été inauguré depuis janvier 2019 ne roule toujours pas. À quand son démarrage effectif?

Bon, il faut préciser qu’en janvier 2019, nous avions réceptionné les rames et il fallait créer cet événement pour remobiliser les acteurs. Évidemment, depuis lors, nous travaillons sur la construction des infrastructures, sur les signalisations, sur les gares… aujourd’hui, il y a encore des choses techniques à compléter. Si nous regardons les pays qui ont pu réaliser des infrastructures comme le Ter, ils ont aussi mis beaucoup de temps pour y arriver. Alors, pour le Sénégal qui est un pays avec un niveau de développement assez modeste, arriver là où nous en sommes et projeter de débuter les activités du Ter d’ici la fin de l’année, c’est déjà bien.
Il faut aussi saluer l’abnégation et la détermination avec lesquelles des acteurs comme le ministère des Infrastructures, l’Apix… travaillent à faire démarrer ce grand projet qui est structurant. Et à terme le Sénégal aura un autre visage avec ce Train express régional. L’autre chose qu’il faut dire, c’est qu’à l’image de tous les secteurs, les travaux du Ter ont également été impactés par le Covid-19 qui nous a infligé un lourd retard compte tenu du fait que l’expertise devrait nous venir de l’étranger. L’autre chose, c’est que comme tout projet, quand il y a une implication sociale, comme des déplacés ou des impactés, il y a toujours des perturbations sur les projections et les délais.

Propos recueillis par Sidy Djimby NDAO pour Les Échos

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