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[Tribune] Cheikh Anta Diop : le retour à l’Egypte antique – Par ASANTE Harouna

[Tribune] Cheikh Anta Diop : le retour à l’Egypte antique - Par ASANTE Harouna
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« Pour nous, le retour à l’Égypte dans tous les domaines est la condition nécessaire pour réconcilier les civilisations africaines avec l’histoire, pour pouvoir bâtir un corps de sciences humaines modernes, pour rénover la culture africaine. Loin d’être une délectation sur le passé, un regard vers l’Égypte antique est la meilleure façon de concevoir et bâtir notre futur culturel. L’Égypte jouera, dans la culture africaine repensée et rénovée, le même rôle que les antiquités gréco-latines dans la culture occidentale.

Dans la mesure où l’Égypte est la mère lointaine de la science et de la culture occidentale, la plupart des idées que nous baptisons étrangères ne sont souvent que des images, brouillées, renversées, modifiées, perfectionnées, des créations de nos ancêtres : judaïsme, christianisme, islam, dialectique, théorie de l’être, sciences exactes, arithmétique, géométrie, mécanique, astronomie, médecine, littérature (roman, poésie, drame), art etc.

On mesure alors combien est impropre, quant au fond, la notion si souvent ressassée, d’importation d’idéologies étrangères en Afrique : elle découle d’une parfaite ignorance du passé africain. Autant la technologie et la science moderne viennent d’Europe, autant dans l’antiquité, le savoir universel coulait de la vallée du Nil vers le reste du monde, et en particulier vers la Grèce, qui servira de maillon intermédiaire. Par conséquent, aucune pensée, aucune idéologie n’est étrangère à l’Afrique, qui fut la terre de leur enfantement. C’est donc en toute liberté que les africains doivent puiser dans l’héritage intellectuel commun de l’humanité, en ne se laissant guider que par les notions d’utilité, d’efficience. »

«L’existence d’une égyptologie africaine, seule, permettra, grâce à la connaissance directe qu’elle confère, de dépasser pour de bon les théories frustrantes et dissolvantes les historiens obscurantistes ou agnostiques qui, à défaut d’une information solide puisée à la source, cherchent à sauver la face, en procédant à un hypothétique dosage d’influences comme s’ils partageaient une pomme.

Seule l’enracinement d’une pareille discipline scientifique en Afrique Noire amènera à saisir, un jour, la nouveauté et la richesse de la conscience culturelle que nous voulons susciter, sa qualité, son ampleur, sa profondeur, sa puissance créatrice.

L’Africain qui nous a compris et celui-là qui, après la lecture de nos ouvrages, aura senti naître en lui un autre homme, animé d’une conscience historique, un vrai créateur, un Prométhée porteur d’une nouvelle civilisation et parfaitement conscient de ce que la terre entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines de la science, de la culture et de la religion.

Aujourd’hui, chaque peuple, armé de son identité culturelle retrouvée ou renforcée, arrive au seuil de l’ère post industrielle. Un optimisme africain atavique, mais vigilant, nous incline à souhaiter que toutes les nations se donnent la main pour bâtir la civilisation planétaire au lieu de sombrer dans la barbarie.»

(Cf., Civilisation ou barbarie P. 12 et 16)

Analyse du texte

Pour un afrocentriste avec lequel j’échangeais, un autre homme, animé d’une conscience historique, est un homme descendant d’Osiris. Il est légitime de se poser donc la question si tous les noirs sont descendants d’anciens égyptiens même dans l’entendement du Pr Diop. Le chercheur affirme dans «Antériorité des civilisations Nègres » que « la civilisation égyptienne n’est que la fille lointaine d’une civilisation venue du Soudan ». Pourquoi vouloir ramener donc à la religion osirienne ? Si on veut absolument retourner au passé, pourquoi pas à la religion avant Osiris ?

Si la notion de « conscience historique » telle que définie par Diop dans son même ouvrage Civilisation ou barbarie signifie : « le fil conducteur qui relie un peuple à son passé ancestral le plus lointain possible ». Ce « plus lointain possible » ne saurait être l’Egypte antique. Il daterait plutôt de l’apparition du premier homme qui est en réalité le plus lointain ancêtre.

Certains adeptes du mouvement kemite pensent que lorsque Cheikh Anta Diop parle du « génie ancestral », il parle de la religion d’Osiris. Mais à notre avis, cette expression fait référence au génie utilisé pour développer les sciences et non pour ramener les gens d’aujourd’hui à une quelconque religion. Il disait d’ailleurs : « Tout ce qui vous fige dans le passé est mauvais. » Vouloir donc ramener les gens d’aujourd’hui à la religion d’Osiris est un projet utopique.

Si le salut de l’Afrique se trouvait dans le retour à une religion dite ancestrale, pourquoi ce sont les zones dans lesquelles cette religion est répandue qui sont les plus pauvres en Afrique ? Pourquoi la pratique de cette spiritualité n’a-t-elle pas permis à ces zones de sortir de la précarité ? Nous tenons à rappeler que ce sont de simples questionnements et non des attaques envers les croyances d’autrui. Encore une fois, la religion est une affaire personnelle. Mais nous pensons qu’il serait malsain de mettre ce débat religieux au centre du travail colossal de Cheikh Anta Diop.

Passé cette digression, on s’aperçoit bien que le chercheur ne fait aucune référence au retour à la religion osirienne. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait lui-même ? Il y’a un élément non moins important sur lequel on doit s’interroger : pourquoi n’a-t-il pas porté un nom égyptien ? En Afrique et bien ailleurs, on ne donne le nom de son enfant qu’à quelqu’un qu’on admire pour ses qualités spirituelles , humaines ou intellectuelles, Pourquoi n’a-t-il pas donné un nom de l’Egypte antique à un de ses enfants au moins. Nous rappelons que la plupart de ses enfants porte les noms des dignitaires musulmans. Son fils aîné porte le nom de son ami et guide spirituel à savoir Cheikh Ahmadou Mbacké ou Gaïndé Fatma. Une autre porte le nom de Samory Touré. Son fils cadet porte le nom du guide religieux Massamba Sassoum Diop.

Quand le professeur Diop parle des facteurs historiques, linguistiques et psychologiques, il fait référence aux facteurs par lesquels un peuple se retrouve pour trouver sa source, il ne demande pas d’y rester. Mais on semble souvent oublier que lors de sa conférence de Niamey, Cheikh Anta Diop disait : « Tout ce qui tend à vous figer dans le passé est mauvais. En tout cas, ce ne sont pas les conséquences que vous devez tirer de nos contacts ». Cheikh Anta Diop affirmait ainsi dans Civilisation ou Barbarie : « Autrement dit, tous les traits spécifiques des sociétés africaines n’ont rien de permanent ; il s’agit de traits profonds mais non figés à jamais. La nature, les conditions matérielles qui les ont forgés, peuvent les défaire en changeant d’elles-mêmes ; donc je ne plaide pas pour une nature psychologique africaine pétrifiée ; ».

Pour en revenir à l’échange avec ce frère, l’égyptologue sénégalais appellerait-il à vivre comme son ancêtre le plus éloigné ? Il ne peut pas faire appel au retour à la religion d’Osiris. En réalité, même quand, avec prudence, il parle du monothéisme ancestral, il lui accole l’expression rénové. Puisque ce frère parle de la religion d’Osiris, pense-t-il que tout y était parfait ? Comme l’a dit le chercheur dans Nations Nègres (P.135), les sacrifices humains s’y pratiquaient : « Donc la palette de Narmer représenterait une scène de sacrifice rituel après la victoire. De tels sacrifices humains étaient encore pratiqués en Afrique Noire à une époque très récente : Dahomey. » Ce passage parmi tant d’autres est l’illustration que tout n’était pas parfait. Ce chercheur en plein vingtième siècle ne pouvait pas appeler avec toutes ces démonstrations les africains de ce siècle à refaire ce qui se faisait il y’a de cela trois millénaires. Comme lui-même l’a dit à l’étudiant dans sa conférence de Niamey : « ce serait mal comprendre ce que je dis. »

Ce qui est demandé à la nouvelle génération, c’est de bâtir de nouvelles pyramides, qui sont la pyramide de la santé, la pyramide de l’Éducation, la pyramide du progrès. Lorsqu’un journaliste demandait à Cheikh Anta Diop l’objectif de ses travaux, il a répondu : « Mon objectif est de reconstruire le patrimoine culturel de l’Afrique pour que l’Afrique puisse se bâtir un corps de sciences humaines. »

Dans l’ouvrage consacré à son père, Cheick Mbacké Diop explique ce passage et la restauration de la conscience historique à travers le développement de l’égyptologie en Afrique Noire. Pour lui, cela suppose aussi que la civilisation nubio-égyptienne soit revisitée dans tous les domaines par les africains eux-mêmes. Cheikh Anta Diop appelait d’ailleurs les intellectuels africains à étudier le passé non pas pour s’y complaire mais pour en tirer des enseignements. A travers cette expression de revisiter, on comprend dès lors qu’il y’a des éléments qui doivent être abandonnés aujourd’hui. Ce qui n’a rien à voir avec l’abandon de l’islam ou des religions révélées. En effet, le Professeur Diop va affirmer plus tard que l’enseignement du guide religieux musulman est valable sur le plan national.

Si les anciens égyptiens, nos ancêtres nous ont laissé des pyramides de vestiges, quel est donc notre défi à l’heure actuelle ? Le défi est de travailler comme nos ancêtres afin de bâtir les pyramides d’aujourd’hui et de demain. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé Cheikh Anta Diop à suivre de solides formations à la fois en sciences humaines comme en sciences exactes. Lorsqu’il prend l’initiative de traduire la théorie de la relativité d’Einstein, les mathématiques en wolof pour rendre le savoir accessible à toutes les couches sociales, c’est pour promouvoir les sciences à un plus large niveau au sein des populations africaines. Jamais il n’a été à l’initiative d’un centre de religion ancestrale. Si le salut de l’Afrique se trouvait dans la pratique ou le retour à une religion dite africaine, il n’aurait pas hésité à le faire.

Nous savons qu’il a été à l’initiative d’un centre de datation au carbone 14, de l’énergie nucléaire africaine qui n’a malheureusement pas prospéré comme l’a relaté Carlos Moore. Mais jamais nous n’avons entendu de telles choses dans le domaine religieux . On ne saurait conditionner la question de la renaissance africaine à une appartenance religieuse puisque la religion relève du domaine personnel selon lui.

Si l’Afrique est aujourd’hui à la traîne, c’est parce qu’elle a négligé la science. L’occident n’a conquis ce contient que grâce à la supériorité technique de ses armes à feu. Il nous a été donné d’entendre un des ténors du mouvement kemite le dire lors d’une de ses conférences. Ce dernier affirmait que lorsque les troupes de Béhanzin munies de leurs amulettes sont allées affronter les occidentaux, un des lieutenants de Béhanzin constatant la puissance des armes à feu de l’occupant vint dire au roi : « Ces gens ont des gris-gris plus puissants que les nôtres. » Comment comprendre que malgré les puissants fétiches des africains, des gens aient pu quitter à des milliers de kilomètres pour venir les enchaîner ? Cela montre bien que ce n’est pas en se tournant vers le fétichisme ou l’animisme que l’Afrique pourra se libérer. La clé de la renaissance africaine est le développement des sciences et technologies. C’est pour cela que Cheikh Anta Diop écrit : « L’Afrique peut devenir un centre d’initiatives et de décisions scientifiques au lieu de croire qu’elle est condamnée à rester l’appendice, le champs d’expansion économique des pays développés. » Aujourd’hui, le budget d’une université comme Harvard est trois supérieur à celui de la Côte d’Ivoire . Pourtant, le PIB de la Côte d’Ivoire constitue à lui seul plus de 40% du PIB des huit pays de l’UEMOA. Si les États-Unis dominent et assurent aujourd’hui le leadership, on peut dire que c’est en grande partie grâce à la science et à la technologie . Si Cheikh Anta Diop nous appelle à un retour vers l’Égypte antique, c’est surtout pour renouer avec la tradition de la science et de la technologie qui s’est dégradé dans le temps avec l’esprit initiatique.

C’est pour cela que lorsqu’un étudiant lui a demandé si la civilisation égyptienne ancienne était plus glorieuse que celle de maintenant, il a répondu en disant : ‘’ en tout cas, ce n’est pas l’expérience que vous devez tirer de nos contacts. Tout ce qui tend à vous figer dans le passé est mauvais. ‘’

Il ne manquait pas d’ailleurs de dire aux étudiants : ‘’ Il n’y qu’un seul salut, c’est la connaissance directe. Aucune paresse ne pourra nous dispenser de cet effort pour acquérir la connaissance directe. Formez-vous. Armez-vous de sciences jusqu’aux dents ! » L’un de ses défis lancés aux à la jeunesse africaine : « Je serais l’homme le plus heureux si de plus en plus de jeunes noirs allaient se former rigoureusement même si c’est pour venir me contredire après. Mais formez-vous d’abord. » Au plan familial, tous ses enfants ont acquis une formation intellectuelle poussée. L’aîné était chercheur au CNRS et le plus jeune est médecin urgentiste. C’est pour cela qu’il disait à ses propres enfants : « Je ne vous laisserai pas en héritage des biens matériels ou des comptes en banque. Je vous laisserai plutôt un legs scientifique. »

Cheikh Anta Diop était un fervent innovateur à l’esprit créatif. C’est pour cela qu’il écrivait en 1978 : « Si l’on se bornait à réciter les cours appris à l’école sans rien y ajouter par nos propres découvertes, l’humanité resterait à l’état primitif. » À la lumière de ces paroles, Cheikh Anta Diop ne pouvait pas appeler au retour à la religion d’Osiris. Pour lui, chacun a la latitude de choisir la religion de son choix qu’elle soit judaïque, chrétienne, musulmane ou même paléo-nigritique comme il l’a affirmé

Auteur

ASANTE Harouna

Chercheur indépendant

asanteh@live.fr

Mis ne ligne par Boucar DIOUF

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