[Tribune] Fermes agricoles publiques : défi de l’emploi et du revenu ? -Par Samba Ndiaye
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La problématique de l’emploi est sur toutes les lèvres, et fait l’objet de toutes les attentions dans les schémas de développement des gouvernement du monde. C’est donc une question transversale qui interpelle chaque citoyen, à fortiori les hommes politiques, de qui toutes les solutions sont attendues.
Pour ma part, c’est cette posture politique qui m’a amené à initier ou à mener des contributions et réflexions sur des thématiques d’intérêt général touchant divers secteurs. Elles sont intitulées :
– contribution scientifique face à la problématique des inondations, le 27 août 2012 ;
– habitat social rural dans un Sénégal émergent à l’occasion d’un forum du MDIS, le 15 novembre 2016 ;
– péréquation financière face à l’exode, le 9 mars 2017 ;
– le service national au Sénégal pourquoi pas ? le 10 mai 2019 ;
– le Sénégal un hub naval ? le 24 avril 2020 ;
– la latérite quelle alternative ? le 28 août 2020.
Aujourd’hui, je me permets de scruter une nouvelle piste, celle de l’emploi agricole, en particulier celui relatif aux fermes financées par l’état.
Il y a lieu de souligner avec force, qu’au Sénégal, durant ces deux dernières décennies notamment, tous les gouvernements qui se sont succédés, ont tenté de bonne foi, de mettre en avant la question de l’employabilité dans ce sous secteur de l’agriculture. C’est ainsi que beaucoup de ressources y ont été injectées avec certainement comme objectifs majeurs ;
– lutter contre l’exode rural en essayant de fixer les populations dans leurs terroirs, bien évidemment de façon intéressée, à travers des revenus devant émaner de leurs durs labeurs ;
– accroître et diversifier les productions agricoles pour tendre vers l’autosuffisance alimentaire et prétendre à l’exportation.
Cependant, les résultats obtenus jusque-là sont en deçà des ambitions affichées et des moyens dégagés.
Quelles en sont les causes ? C’est justement cela que je vais tenter de cerner.
Loin de moi l’idée de livrer ici une panacée. Mais, pour avoir été à l’épreuve de ce genre de projets et surtout pour avoir beaucoup échangé avec les acteurs, je suis en mesure de donner un point de vue.
De multiples paramètres sont susceptibles d’entrer en jeu dans l’analyse de la situation de nos fermes agricoles publiques, mais je choisis d’emblée de mettre l’accent sur le degré d’adhésion des populations, leurs disponibilité et engagement permanents. De ce point de vue, à priori, le recrutement des acteurs-agriculteurs, dont le nombre dépend des surfaces aménagées, ne pose aucun problème, bien au contraire, cela suscite un engouement général. C’est plutôt leurs maintiens dans la durée, comme exploitants permanents, qui constituent la véritable pierre d’achoppement. En effet, dès qu’ils sont confrontés aux réalités de leurs statuts du reste précaires et de leurs revenus aléatoires, ils montrent des signes de découragement et de volonté de désistement. Dès lors, il convient de se pencher sur ces deux leviers : le statut et le revenu du l’exploitant..
1er LEVIER : Le statut du travailleur d’une ferme agricole publique
Souvent organisées sous forme de Groupement d’Intérêt Économique (GIE), pour véritablement porter la responsabilité de la gestion de leurs fermes , les personnes cibles sont sélectionnées sur la base de divers critères dont l’âge constitue un des maillons essentiels. Ainsi, elles ne disposent pas de contrats en bonne et due forme . Ce qui est évidemment, source d’instabilité, en ce sens qu’elles peuvent démissionner du jour au lendemain ou s’absenter pendant des jours sans raison formelle.
En somme, il n’est pas institué un environnement juridique et organisationnel pouvant favoriser une professionnalisation du management de nos fermes agricoles publiques. Dès lors, il ne reste aux acteurs que leur engagement citoyen et leur sens des responsabilités pour maintenir la cohésion devant permettre d’asseoir une gestion pérenne et crédible de leur ferme. A cela se greffe soit l’absence de formation, soit le défaut d’encadrement.
Pour faire face à cette situation, Il convient d’imaginer une formule de contractualisation harmonisée au sein de toutes les fermes , en vue de maintenir le personnel exploitant dans un lien affectif et attractif avec son milieu de travail .
2 ème LEVIER : le revenu du travailleur de cette même ferme agricole publique
Dans notre pays où 96,4 % des emplois sont générés par le secteur informel (Source ANSD 2019), le contact avec l’argent cash constitue un paramètre essentiel d’engagement, de fidélité et de motivation. Dans ce milieu, on est bien loin des emplois pour lesquels les revenus sont connus d’avance, avec en plus, des possibilités d’obtention de crédits et de découverts.
En somme, dans ce secteur de nature informelle, l’employeur-employé est certes dans une activité génératrice de revenus, mais dont il ne maîtrise aucun paramètre.
Ainsi , quand se présente pour lui, la situation de devoir travailler dans une ferme agricole, se pose sa principale préoccupation, à savoir comment vivre et prendre en charge sa famille pendant la période allant de la culture à la commercialisation de la récolte (période de soudure). Il s’y ajoute d’ailleurs, et c’est non moins important, la question de savoir combien il va gagner à la fin !
C’est justement tout cela qu’il va cogiter pour déterminer son choix entre:
– intégrer définitivement la ferme ;
– être marchand ambulant dans les rues de Dakar en espérant gagner du cash tous les jours, minimum soit-il ;
– poursuivre son métier dapprenti-maçon pour être payé au jour le jour;
– disposer de son attelage dans le quartier, quitte à gagner 500 Fcfa chaque matin.
La liste n’est pas exhaustive.
Aussi, est-il venu le moment de tenir véritablement compte dans ce domaine, de la réalité sénégalaise où la question de disposer de l’argent cash pour assurer la «dépense quotidienne» constitue un facteur essentiel de stabilité sociale.
Il urge donc d’étudier sérieusement la lancinante question de la rémunération des travailleurs des fermes agricoles publiques. J’estime que fixer un revenu mensuel aux vaillants travailleurs de ces fermes, pourquoi pas sous forme de prêt remboursable ou de subvention (l’Occident libéral subventionne ses agriculteurs) est un devoir régalien de l’état pour parfaire ses énormes efforts d’investissements dans l’aménagement et l’équipement des exploitations agricoles modernes.
Ainsi, des résultats probants peuvent en découler ; d’abord en amont par rapport à la lutte contre l’exode rural qui pourrait connaître une véritable avancée, ensuite en aval l’on assisterait à une augmentation exponentielle des productions, avec comme corollaire l’atteinte progressive de l’autosuffisance alimentaire.
Pour illustrer la faisabilité de mon analyse, il suffit de prendre l’exemple d’une ferme agricole de
20 ha ( ou 2 fermes de 10 ha chacune) exploitée par 100 personnes contractuelles , à raison d’un «salaire» de 15 000 FCFA par quinzaine/travailleur (à peu près la moitié du SMIG), le montant global à débourser sur l’année serait de 36 000 000 FCFA.
Sur la base de ce postulat, si l’on considère un nombre de 552 fermes agricoles (soit une commune-une ferme), l’état, de par ses propres ressources ou dans le cadre de montages financiers avec les bailleurs, devrait débourser environ 20 milliards de FCFA (bien entendu compte non tenu des coûts d’investissements et charges d’exploitation de démarrage), avec à la clé la création de plus de 50 mille emplois agricoles. Ceci pourrait se faire dans le cadre d’un plan triennal ou quinquennal.
En outre, pour étayer davantage l’intérêt d’une telle conception de la gestion des fermes agricoles, les spécialistes pourront nous édifier sur;
– la productivité d’une ferme de 20 ha, à même de permettre au travailleur de rembourser sa dette :
– les dividendes probables à distribuer à chaque travailleur ;
– la production annuelle provenant des différents cycles de culture et son impact sur la balance alimentaire et économique de notre pays.
En définitive, c’est la prise en compte de l’ensemble des paramètres relatés ci-dessus, qui permettra de mieux garantir la viabilité et la la pérennité de nos fermes agricoles. En tout état de cause, dans ce contexte de crise mondiale, la problématique de la
modélisation de notre système de production agricole reste plus que actuelle.
Samba NDIAYE
PRÉSIDENT DU Mouvement Démocratique pour le Développement Intégral du Sénégal (MDIS)