Quand l’apologie de l’ordre évacue la doctrine du maintien de l’ordre, ça tue Fallou Sène
©Klinfos.com-Lundi 21 Mai 2018 – En amont de la mort de l’étudiant Mouhamadou Fallou Sène, il y a un discours excessivement musclé. Chez le Président Macky Sall, l’apologie de l’ordre et l’aversion pour le désordre ou l’anarchie, sont patentes. Les Sénégalais applaudiraient et salueraient cette attitude éminemment responsable, si elle ne frisait pas l’hystérie et ne faisait pas le lit des dégâts et des dérives.
Le verbe ferme, flamboyant et torrentiel contre le terrorisme, les manifestations plus interdites qu’autorisées, les marches plus réprimées qu’encadrées et la référence itérative au fameux « Arrêté Ousmane Ngom » ont finalement impacté et/ou imprégné l’esprit du gendarme et du policier, au point que le manifestant est instinctivement assimilé à un terroriste arrivé, la veille, de Kidal. Qui mate férocement, dans la rue, une manifestation conduite par d’anciens ministres et d’ex-Premiers ministres, neutralise rudement des étudiants dans un campus.
En aval, les évènements de Saint-Louis ont, en effet, révélé l’absence criarde et cruelle d’un instrument-clé et proactif bien forgé et parfaitement dédié au maintien ou au rétablissement de l’ordre public : une doctrine. A la différence de la technique – endiguement et dispersion d’une manifestation – qui est l’apanage de la Police et de la Gendarmerie, la doctrine est un tableau de bord, un manuel pratique et déontologique qui reste un monopole du gouvernement. Dans un pays démocratique, le vade-mecum, aux allures de dogme opérationnel, est habituellement ainsi condensé et décliné : « La force se manifeste mais ne s’exerce pas ».
D’où la recherche d’un compromis préalable entre les forces de l’ordre et les manifestants. En dépit d’une réquisition en bonne et due forme. Après tout, l’autorité préfectorale ou gouvernementale décide mais ne dirige pas la manœuvre sur le terrain. L’essentiel et la finalité étant le triomphe de la loi.
En tout état de cause, les leçons du campus ensanglanté de l’Université Gaston Berger sont plurielles, à plusieurs niveaux. L’escadron étant l’unité de base de la gendarmerie mobile, endiguer et refouler 3000 étudiants en colère, dans un espace aussi réduit (le pourtour d’un restaurant), relevait d’une gageure.
Le Commandant de la Légion Nord et le chef de l’unité d’intervention (unité certainement moins nombreuse que l’escadron au grand complet) devaient s’octroyer, non pas une marge de désobéissance, mais d’appréciation opérationnelle qui implique, si nécessaire, le repli tactique et actif, en attente de renforts. Dans la foulée, le Colonel Pape Souleymane Cissé devait gicler dans le bureau du Gouverneur et lui expliquer le caractère délicat, difficile et dangereux de l’intervention brusquée d’une unité numériquement faible et…vulnérable.
Vu la quasi-similitude des caractéristiques des outils de sécurité publique entre le Sénégal et la France (colonisation ancienne et coopération permanente entre les institutions sécuritaires obligent) on peut convoquer une jurisprudence parisienne.
En mai 1968, le Général De Gaulle, choqué par la chienlit, avait ordonné l’évacuation du Théâtre de l’Odéon bondé d’étudiants en grève. Attentif à la configuration problématique des lieux, le Préfet de Police temporisa puis fonça chez le Ministre de l’Intérieur, Christian Fouchet, pour exprimer ses réserves et ses états d’âme par rapport à cet ordre dur, dur, dur… à exécuter. Le Ministre de l’Intérieur bien convaincu par les arguments du Haut-fonctionnaire, monta, aussitôt, à l’Elysée, pour obtenir le report de la décision du chef de l’Etat.
En définitive, des étudiants qui mangent sans payer, cinq heures avant le début du paiement des bourses, intervenu à 13 heures, c’est certes anormal, mais c’est moins dramatique et moins coûteux que la mort de Fallou Sène, le saccage du Rectorat, la destruction des archives, le limogeage du Recteur, l’hospitalisation d’une vingtaine de gendarmes et l’accablement politique du gouvernement. Même si la devise de la Gendarmerie met en exergue « l’Honneur et la Discipline », les réalités du terrain et la doctrine du maintien ou du rétablissement de l’ordre en vigueur dans une nation démocratique, ne bannissent pas le recul devant une nuée d’étudiants. Tout le monde sait que le GIGN ne reculera jamais devant des djihadistes.
Fanatiques soient-ils ! En revanche, les gendarmes mobiles auront toujours du mal à justifier l’ouverture du feu sur des étudiants armés de pierres et de barres de fer. Préfet de police de Paris durant les chaudes journées de Mai 68, Maurice Grimaud professe et confesse : « Lorsque vous donnez la preuve de votre sang froid et de votre courage, ceux qui sont en face sont obligés de vous admirer, même s’ils ne le disent pas ». Au demeurant, la Police et la Gendarmerie ne sont pas des métiers comme les autres ; quand on les a choisis, on en a accepté les dures exigences mais, aussi, la réelle grandeur.
A côté des considérations techniques et doctrinales du maintien ou du rétablissement de l’ordre, surgissent les défaillances coupables qui ont hâté l’irréparable, c’est-à-dire la mort de l’étudiant Mouhamadou Fallou Sène. Les informations qui suintent des investigations, indexent le triangle Finances-Enseignement supérieur-Banque. Un trio qui a malmèné l’autorité de l’Etat, au plus haut niveau.
Pire, les évènements de l’UGB et ses prolongements dans toutes les régions abritant des Universités, ont barbouillé sévèrement le bilan du régime APR-BBY qu’on s’échine à vendre dans un contexte préélectoral. D’où la fébrilité des réactions officielles qui ont oscillé et oscillent encore entre des tirs de riposte contre l’opposition politique et des salves de sanctions en direction du Rectorat de Saint-Louis. Le tout sur fond de valse-hésitation qui renvoie l’image d’un Président de la république (sans radars) qui gouverne par à-coup, bute sur des écueils et signe des décrets après des cris, des chocs et des grognes.
L’équation UGB est manifestement ardue à résoudre, quand on sait que les demi-mesures ne payent pas ; tandis que la décapitation suprême (éviction du Ministre de l’Enseignement) équivaudrait à se mutiler électoralement. Pire, ce serait consacrer un « deux poids, deux mesures ». Car, le Professeur Mary Teuw Niane n’a pas fait pire que le socialiste Sérigne Mbaye Thiam, en 2018. Sursis pour tous ou chute pour tous. Gros dilemme pour le Président Macky Sall.
Visiblement, il est plus facile de larguer Baydallaye Kane que de limoger un ou deux membres d’un gouvernement de coalition. Une coalition compacte étant un gage de victoire électorale et d’acquisition, sans encombres, d’un deuxième mandat. Entre l’enclume d’une coalition gouvernementale très précieuse et le marteau des étudiants farouchement arc-boutés sur une exigence très déstabilisatrice, Macky Sall sera-t-il suffisamment véloce, pour se dégager et capter les dividendes d’une sortie de crise habilement pilotée ?
Comme on le voit, l’overdose d’ordre chère au Président Macky Sall, engendre paradoxalement le grand et tragique désordre. Bien que l’ordre et la discipline soient les bienvenus dans toute société avide de progrès. Lorsqu’il est instauré isolément, l’ordre accouche d’un autoritarisme politiquement démentiel. Par contre, l’apologie de l’ordre, la sublimation de la justice et la consécration des libertés sont la trilogie qui cimente la démocratie et impulse le développement.
Par Babacar Justin Ndiaye
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