Tribune : l’autoroute des milliardaires (Par Abdourahmane Dabo)
Il n’existe aucun consensus international sur la définition d’un partenariat public-privé. En règle générale, un PPP se traduit par des dispositions, habituellement à moyen et long terme, entre les secteurs public et privé grâce auxquelles certains services qui relèvent de la responsabilité du secteur public sont administré par le secteur privé, scellées par un accord clair sur des objectifs communs relatifs à la livraison d’infrastructures et/ou de services publics.
Habituellement, un PPP n’englobe ni les contrats de service ou les contrats de construction clé en main qui sont considérés comme des projets de marchés publics, ni la privatisation des services publics dans laquelle le secteur public joue un rôle permanent mais restreint. C’est dans ce sciage que l’état du Sénégal, pour la réalisation de ses grands projets, avait signé le contrat de concession de type CET (Construction-Exploitation-Transfert) avec la société de projet Eiffage qui créa la société d’exploitation SENAC SA.
Rappelons qu’avec l’adoption de la loi 2004-13 du 1er février 2004, le Sénégal était devenu le pionner de la pratique des PPP en Afrique Subsaharienne. Cette loi a été abrogée en 2014 et remplacée par la loi 2014-09 du 20 février 2014 relative aux contrats de PPP. Cette dernière était beaucoup moins complète que la première parce que rendant incompétentes toutes les structures étatiques de régulation ce qui a fait que l’état a raté le projet de l’autoroute à péage depuis le montage jusqu’à l’exploitation actuelle.
HISTORIQUE DE L’AUTOROUTE : DE SENGHOR A MACKY
En 1978, sous Senghor, une étude détaillée et complète de l’autoroute Dakar-Thiès sans péage a été réalisée par le Cabinet Electro watt (Zurich Suisse) pour le compte de la Direction des Etudes et de la Programmation du Ministère des Travaux Publics, de l’Urbanisme et des Transports.
Les dossiers d’appel d’offre correspondants à cet ambitieux projet ont été même élaborés, mais l’appel d’offre n’a pas pu être lancé à l’époque à cause d’un contexte économique national et international, particulièrement difficile.
En effet, de 1960, année de l’accession du Sénégal à l’indépendance à 1970, la situation économique et sociale du pays a été relativement florissante du fait du bon comportement de ses principaux produits d’exportation que furent l’arachide et le phosphate, tant du pont de vue de leurs volumes de production que des prix à l’exportation.
Ces périodes florissantes poussèrent les pouvoirs publics, dans l’euphorie des premières heures de l’indépendance, marquées par une volonté de créer la rupture grâce à une nouvelle réorientation de notre économie basée sur un développement endogène, à entreprendre tout naturellement de grands projets d’investissement (qui généraient au passage des charges récurrentes élevées) et à prendre également des mesures sociales pas toujours en adéquation avec les exigences d’efficacité et d’efficience des services publics.
Il en était résulté un alourdissement considérable des charges publiques à la fin des années 70 une période, par ailleurs marquée par le retour de la sécheresse et la chute des principaux produits d’exportation sur lesquels reposait essentiellement l’économie du Sénégal.
Cette situation a été aggravée par les deux chocs pétroliers, intervenus successivement en 1971 et en 1973, qui avaient fini par imprimer à notre économie, à travers ses divers agrégats, des tendances de déséquilibre structurels.
Pour juguler ces déséquilibres macro-économiques, le Sénégal s’était engagé depuis 1979, juste un an après avoir bouclé en 1978, le dossier d’appel d’offres du projet d’autoroute, avec les Institutions de Breton Woods, dans un processus de réforme de son économie, par la mise en œuvre de programmes économiques et financiers, avec comme objectifs, de rétablir les grands équilibres, de maîtriser l’inflation et de réaliser une croissance économique saine et durable. Ces programmes étaient exécutés en deux phases : une première phase qui portait sur un Plan d’urgence (1979-1980) de stabilisation de la détérioration des agrégats macro-économiques et un Plan de Redressement économique et financier (1980-1984), et une seconde phase qui portait sur un Programme d’Ajustement à Moyen et Long Terme (PASMLT, 1985-1991) et un Programme post d’évaluation (1994-2000) suite au changement de parité du franc CFA, intervenu le 12 janvier 1994.
L’Etat ne disposant pas de ressources propres suffisantes et les prêts des partenaires au développement, dénommés prêts d’ajustement structurel, ou sectoriel (y compris la phase préparatoire de stabilisation et de redressement) étant spécifiques et ciblés, il était difficile, voire impossible, de pouvoir trouver un financement pour le projet d’autoroute, du moins dans sa conception d’alors.
Ledit projet n’avait donc pas été abandonné mais différé à cause d’une conjoncture économique difficile, mais également du cadre très rigide et très contraignant à travers lequel le Sénégal avait conclu les accords avec les Institutions de Breton Wood pour la période allant de 1979 à 2000.
Le Sénégal a réussi, de 1979 à 2000, à assainir ses finances publiques grâce au travail remarquable abattu par les différents ministres qui se sont succédés à la tête du stratégique Ministère de l’Economie et des Finances, parmi lesquels le couple Sakho/Loum et aux sacrifices importants consentis par le peuple sénégalais durant cette période (réduction des salaires de la Fonction publique, blocage des recrutements, hausse des droits à l’import et des prix des produits pétroliers).
Considéré alors comme un bon élève, grâce à ses résultats au plan économique (tous les clignotants de notre économie étaient devenus verts), renforcés par une stabilité politique éprouvée, le Sénégal venait aussi de passer avec succès en 2000 l’épreuve de l’élection présidentielle, la plus redoutée de son histoire. Aussi, les partenaires au développement ont-ils décidé, dès lors, de réévaluer leur cadre de partenariat avec le Sénégal et de lui accorder des facilités d’accès aux lignes de crédit. L’autoroute Dakar Diamniadio a été livrée le 1er août 2013, et inaugurée par le Président Macky Sall.
LES CONTRATS
Le premier contrat concernait le tronçon Dakar-Diamniadio, d’une longueur de 25 km, attribué à l’entreprise projet Eiffage après appel d’offres international. La signature a eu lieu le 02/07/2009 pour une durée de concession de 30 ans (2039), pour un montant de 148.4 milliards de FCFA
Le deuxième contrat concernait le tronçon Diamniadio-AIBD, d’une longueur de 17 km, attribué toujours à l’entreprise projet Eiffage sous forme de marché complémentaire. La signature a eu lieu le 19/02/2014, concession jusqu’à 2039, pour un montant de 92 milliards de FCFA
Sans compter les couts annexes:
14.3 Milliards de FCFA pour les études, contrôle, taxes et imprévus
22.8 Milliards de FCFA pour la restructuration urbaine
30.6 Milliards de FCFA pour les zones de recasement
44.1 Milliards de FCFA pour la libération des emprises
Donc pour un total de 352.2 milliards de FCFA (avec une contribution de Eiffage à hauteur de 61 milliards de FCFA et 291.2 milliards de FCFA pour l’Etat du Sénégal et ses partenaires financiers).
Ce qui nous montre que nous sommes très loin du montage initial de l’APIX qui parlait de 60% de l’investissement à supporter par l’état et les 40% par le privé ; ici le privé n’a supporté que 17% pendant que l’état a supporté les 83%, quel paradoxe. Et en plus pour une durée d’exploitation de 30 ans, comment nos gouvernants ont pu accepter une telle bêtise? C’est vraiment un PPP gagnant-perdant.
Comment peut-on attribuer un marché de 92 milliards de FCFA (le tronçon diamniadio-aibd) sous forme de marché complémentaire ? Est-il en conformité avec le code des marchés publics ? Non
Pour un récapulatif, retenons que l’entreprise Sénac SA qui est 100 % Eiffage a trois types de contrats sur l’autoroute :
– Un contrat de service : Patte d’Oies à Pikine
– Un contrat de construction, exploitation et transfert : Pikine à Diamniadio
– Un contrat complémentaire : Diamniadio à AIBD
Si nous considérons le prix standard d’un kilomètre de route bitumée 2×3 voies, majoré même de 10%, à savoir 2.5 milliards :
Les 25 km nous couteraient : 25 x 2.5 = 62.5 milliards et les 17 km nous couteraient 17 x 2.5 = 42.5 milliards. Donc avec simplement 105 milliards l’état du Sénégal pouvait construire une autoroute de 2×3 voies et n’aurait pas besoin autant d’appui financier auprès de ses partenaires (BM et BAD…)
Ce qui fait que l’investissement de Eiffage nous parait très suspect, est ce qu’il a réellement contribué dans ce projet ? Certainement c’est la raison pour laquelle le contrat n’est plus trouvable dans le site du journal officiel.
Malgré ces préjudices subis par l’état du Sénégal, sur le cout d’investissement, sur les manquements (insécurité, éclairage, protection anti bruit….), Senac SA décide de répartir les fruits comme suit :
Pour 1000 FCFA de péage :
– 310 FCFA pour les impôts et taxes (soit 31%)
– 250 FCFA pour les couts d’exploitation-entretien-renouvellement (soit 25%)
– 440 FCFA pour l’amortissement de l’investissement (soit 44%)
Et le tarif Dakar-AIBD est égale à 3000 FCFA, un pourcentage de poids lourds de 5%, plus de 100.000 transactions par jour dont 40% avec le badge Rapido.
Faisons un calcul simple sur 100.000 transactions par jour avec le plus petit tarif véhicule pendant 10 ans.
100.000 x 400 x 365 x 10 = 146 milliards et l’amortissement à l’investissement serait de 64.24 milliards avec les 44% ; donc en 10 ans Senac SA aurait déjà amorti ses 61 milliards investis et en 30 ans il aura le triple. Voilà sur 42 km ce que nous vivions, maintenant à vous de juger la nécessité de renégocier ou pas le contrat, personnellement c’est une évidence.
Rahmane Le Fédérateur
#SamalSaKaddu
PS : La direction de KLINFO rappelle que l’auteur de ce texte n’est pas un journaliste de la rédaction de KLINFOS mais un contributeur dont nous diffusions l’opinion et ce dans une dynamique de libre expression plurielle.