[Tribune] Quand la démocratie campe au carrefour de l’atonie et de l’agonie (Par Babacar Justin Ndiaye)
Longtemps abonné à la gouvernance par la cervelle, le Sénégal est, aujourd’hui, soumis à un exercice musclé du pouvoir. La manifestation du 19 avril (jour de vote du projet de loi instituant le parrainage) promptement balayée par une armada de policiers et la marche du 4 septembre fermement brisée par « l’Etat qui a le monopole de la violence légitime » (Max Weber dixit), démontrent à suffisance que la répression et l’humiliation sont méthodiquement conjuguées dans un but clair de dissuasion. L’objectif ultime est d’avoir une démocratie sans sentinelles vigilantes, débarrassée de sa vitalité naturelle mais toujours affublée des apparences moins affreuses que celles d’une dictature pure et dure.
Ces élans despotiques et ses pulsions autoritaristes observés chez le Président Macky Sall, seront-ils florissants ? Autrement dit, les Sénégalais supporteront ils – quatre décennies après 1974 – une démocratie qui avance…à reculons ? La question est d’autant plus brûlante que la ferveur démocratique a cédé globalement la place à la langueur démocratique.
A vue d’œil, le manque de vaillance et le déficit de hardiesse dans la défense des acquis démocratiques historiquement engrangés (manifestations sans les grandes foules ni les grands leaders), interloquent tout le monde. Une posture effarante qui divorce d’avec le génie, la vigueur et l’audace qui ont habituellement irrigué la vie politique du pays, hâté le façonnement démocratique des institutions sénégalaises et, in fine, fait, avec éclat, le lit des alternances pionnières en Afrique, notamment dans l’espace francophone.
En termes simples, quelles sont les racines de l’atonie, les bases de la torpeur et les explications de l’abattement qui engourdissent la réactivité légendaire des ex-remuants sénégalais ? Des réalités tant nouvelles qu’anciennes ne sont pas étrangères à l’attitude des Sénégalais, chaque jour, plus réfractaires aux sacrifices qu’exige le combat politique, notamment sur son versant de défense acharnée et risquée des acquis démocratiques.
D’abord, la génération des combattants intrépides qui ont croisé le fer avec les Présidents Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, a bouclé son cycle historique de luttes avec succès mais sans relève vaillante. Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Wade, Omar Blondin Diop, Abdoulaye Bathily, Landing Savané, Iba Der Thiam, Maguette Thiam, Samba Diouldé Thiam, Eugénie Rokhya Aw (la liste est incomplète) ont accompli héroïquement – et parfois tragiquement – les missions de leur époque.
Ajoutons-y la bravoure du Professeur Assane Seck, dirigeant du PRA-Sénégal (premier enseignant noir à l’Ecole Normale William Ponty) qui fut menotté, placé sur la banquette arrière d’une Jeep de gendarmerie et conduit en taule. Son fidèle camarade, Louis Dacosta (futur député) fut ostensiblement couché sur la margelle du puits dans lequel sa mort était programmée par ses adversaires locaux du Parti senghoriste à Ziguinchor. Rappel utile. Car ses sacrifices consentis et ses conquêtes capitalisées ont aéré puis démocratisé le système sénégalais.
Au point de permettre au jeune Président Macky Sall, de triompher du dinosaure Abdoulaye Wade (Doyen de faculté et grand bourgeois vivant dans une villa cossue avec piscine au Point E, dès les années 70) et d’avoir pour premier subordonné, l’ex-banquier Abdoul Mbaye né avec une cuillère d’or dans la bouche. Moralité : si Macky Sall et ses proches conseillers étaient férus d’Histoire nationale, ils n’auraient jamais – par des interdictions intempestives – blessé, la mémoire des martyrs de la démocratie sénégalaise.
Ensuite, les mœurs politiques sont en putréfaction avancée. Jadis, les idéaux étaient en béton. En 2018, les convictions sont en carton voire en coton. La désertification du champ des valeurs et l’assèchement de l’aire des principes sont patents et démoralisants. Les illustrations existent à foison. Ceux qui, en 2012, avaient bravé « l’arrêté Ousmane Ngom », sont ceux qui lui redonnent une seconde et sinistre jeunesse.
Sans aucune pitié, à titre posthume, pour le défunt étudiant Mamadou Diouf ni la moindre et active compassion pour les jeunes de Colobane, emprisonnés pour le meurtre d’un policier. Un crime inacceptable mais dérivé des manifestations anti-dévolution monarchique du pouvoir. Il s’y ajoute que l’apologie clamée, assumée et appliquée de la transhumance a sonné le glas de l’abnégation. Plus choquant et démotivant encore, une victime de l’arbitraire d’Abdoulaye Wade, en l’occurrence Moustapha Cissé Lo, ricane devant le spectacle des manifestants qui ont « détalé comme des lièvres », selon sa propre et moqueuse expression.
Bref, la propension à la collusion payante et payée avec le vainqueur, a accéléré l’extinction de tout courage chez les citoyens friands de démocratie. A cet égard, combien d’anciens ministres de l’ex-Président Abdoulaye Wade sont, déjà, en pré-campagne pour la réélection du Président de la république sortant, Macky Sall ? Cet embouteillage sur l’autoroute des privilèges est le meilleur baromètre de la liquéfaction totale du sacerdoce, chez les acteurs politiques. Un tournant accablant pour la majorité, l’opposition et les populations qui sont – à des degrés évidemment divers – collectivement responsables des faits et gestes ayant ainsi installé la démocratie au carrefour de l’atonie et de l’agonie. Et pourtant, la démocratie a été incontestablement notre premier pétrole (le vecteur de notre rayonnement international) avant le pétrole off-shore.
Le combat pour l’approfondissement continu de la démocratie a la double physionomie d’un marathon et d’un relais…sans fin. On ne peut pas demander à Mamadou Ndoye de la LD Debout de retourner sur les barricades. Même Mamadou Diop Decroix a droit au repos mérité qui n’est pas synonyme de capitulation. Loin s’en faut. Ici et ailleurs, le chemin ardu est montré. Les Burkinabés ont fait face aux tueurs du RSP. Des centurions aux côtés desquels les policiers et gendarmes sénégalais, très spécialisés en maintien d’ordre, font figure de moines trappistes.
Même témérité chez les démocrates togolais qui affrontent une armée commandée par un officier analphabète et brutal : le Général Félix Abalo Kandangha. Heureux et bénis donc, comme les Sénégalais qui ont à la tête de leurs services de sécurité, des Généraux de Gendarmerie et des Commissaires de Police titulaires de doctorats ! Preuve qu’ils n’iront jamais au devant de la boucherie ou à l’abattoir. Tout juste en prison. « Lorsque tout semble aller contre vous, souvenez-vous que les avions décollent toujours face aux vents » rappelait Henry Ford, à ceux qui sont visités par le découragement.
Par Babacar Justin Ndiaye