Portrait

Sidy Lamine Niass, le matinal

Sidy Lamine Niass
Sidy Lamine Niass

Sidy Lamine Niass, fondateur de Wal fadjri, est décédé à 68 ans. Intellectuel reconnu, pionnier de l’éclosion de la presse privée et défenseur des libertés, le cours de sa vie, comme son parcours vers sa tombe, aura marqué l’histoire du Sénégal.

Pour dresser le portrait de Sidy Lamine Niass, il n’y a pas mieux que lui-même. Avant sa mort, le Pdg du groupe Wal fadjri s’est décrit dans ses écrits. Dans un essai sur la presse, une sorte d’autobiographie, l’homme se définit comme «un arabisant entre presse et pouvoir», le titre même de l’ouvrage. «Arabisant», «presse», «pouvoir». Voilà les trois vocables qui résument parfaitement la vie et l’œuvre de Sidy Lamine Niass, né le 15 août 1950.

Issue d’une famille maraboutique, fils et petits de grands savants, il se voulait un trait d’union entre les confréries. Dans sa jeunesse, il a été très tôt envoyé à l’école coranique. Après l’apprentissage du Livre Saint et près de 10 ans passés près de Cheikh Ibrahim Niass, plus connu sous le nom Baye Niass, Sidy Lamine embrasse la profession d’enseignant. Après une courte expérience passée à distiller le savoir, il sera envoyé en Egypte à l’université Al Hazar du Caire pour y étudier le droit et la jurisprudence islamiques.

De retour au pays, il se fait remarquer par son combat en faveur des Sénégalais formés dans les pays arabes, marginalisés, selon lui, par une administration qui considère que seuls ceux qui sont sortis des universités occidentales sont des intellectuels. Homme cultivé, il avait aussi appris le français et aimait beaucoup les débats contradictoires. Il ne pouvait donc souffrir que ses semblables soient considérés comme des «demi-intellectuels».

Aux aurores de Walf

Fervent musulman, il s’est également distingué de par ses positions en faveur du monde arabe, la Palestine en particulier. «Il devenait même violent à la limite, à chaque fois qu’il estimait que le monde arabe a été marginalisé», souligne Mbaye Sidy Mbaye, ancien directeur exécutif du groupe Walf. Ce militantisme sera d’ailleurs le point de départ de sa vie de journaliste.

En effet, si Wal fadjri a fini par devenir un empire médiatique, c’est parce que Sidy Lamine Niass a croisé le journaliste sur son chemin. Mais à ses débuts, la création du magazine Wal fadjri en janvier 1984 a été inspiré par la révolution iranienne et la cause palestinienne. C’était donc un instrument de propagande religieuse.

Le doyen Mame Less Camara, joint par Seneweb, se rappelle d’une image assez révélatrice de ce qu’était Walf au départ. Il dit : «Dans la dernière page, il y avait une photo de Jérusalem avec la mosquée Al Aqsa. Et il y avait cette phrase : ‘Si chaque musulman versait une bouilloire d’eau chaude sur Israël, l’Etat sioniste disparaitrait’. Ce qui témoigne de son engagement, peut-être même excessif, pour la cause de la Palestine. En plus de sa voix, il a tout fait pour que les ambassadeurs palestiniens à Dakar aient accès aux médias, afin de sensibiliser davantage l’opinion sur ce sujet.»

«J’ai rencontré l’information»

Plus tard, le petit frère du controversé Ahmed Khalifa Niass va changer de ligne éditoriale de son journal pour se mettre au service de l’information. Dans un de ses nombreux éditoriaux, il dit : «J’ai rencontré l’information». Une phrase qui traduit, d’après Mame Less Camara, les changements qui ont enfanté le grand groupe de presse que deviendra Wal fadjri.

Le magazine hebdomadaire passe quotidien tabloïd en 1987. Dix ans plus tard, il lance la radio Walf fm puis, en 2006, Walf Tv. Entre deux, le quotidien Walf va connaitre deux dérivés thématiques : Walf Sport et Walf Grand-Place. La radio également a connu ces déclinaisons, avec Walf religion et Walf musique. Bref, un empire de 3 radios, 3 journaux et une télévision en plus du site internet. D’où les témoignages unanimes sur sa place dans l’histoire des médias au Sénégal. «Icone de la presse», «baobab», «monument», «précurseur», «pionnier», sont autant de qualificatifs employés depuis pour traduire l’œuvre médiatique de Sidy Lamine Niass.

Cet empire, celui qui se faisait appeler le «Mollah de Sacré-Cœur» l’a bâti, également, grâce à la confiance qu’il accordait à la jeunesse. Par exemple, Alioune Ndiaye dit avoir été responsabilisé à l’âge de 25 ans. «Je peux dire qu’il a été le premier à nous donner le micro. À l’époque, nous étions fraichement sortis des écoles de formations, d’autres n’avaient même pas l’occasion de faire la formation», témoigne-t-il.

Abdourahmane Camara, ami et collaborateur de Sidy Lamine pendant 35 ans ne dit pas autre chose : «Il me demandait toujours de responsabiliser la jeunesse et les femmes. Quand je lui faisais remarquer qu’ils sont très jeunes, il me disait : ‘Ce sont eux qui représentent l’avenir’.»

L’histoire semble lui donner raison, puisqu’une bonne partie de ceux qui sont aujourd’hui à la tête des médias privés sont des anciens de Walf. A titre illustratif, le directeur de publication du journal EnQuête, celui de Le Quotidien, les directeurs de Rfm et I-radio sont tous passés par là. On en trouve même qui occupent des postes de responsabilité dans les médias publics.

D’ailleurs, l’enfant de Kaolack considérait toujours son groupe comme un centre de formation en journalisme. Avec sa voix fluette, il avait l’habitude de dire : «Walf est une école». De ce fait, il ne semblait pas trop se soucier des départs, parfois trop nombreux, et pas n’importe lesquels. Lors de son lancement en 2004, la Rfm est allée puiser sa matière grise chez lui. Alioune Ndiaye, Mamadou Ibra Kane, Alassane Samba Diop, Assane Guèye, Babacar Fall ont tous quitté Walf pour se lancer dans l’aventure que leur a proposée Youssou Ndour.

Ce n’était qu’un début, puisque le groupe va connaitre une série de saignées qui lui a fait perdre sa première place. Aujourd’hui, force est de reconnaitre que Wal fadjri n’est plus cette radio envoûtante des années 2000. Son journal, non plus, dans sa catégorie. Malgré tout, le fondateur de Walf, lui, a toujours gardé son énergie militante.

Contrepouvoir, non contre le pouvoir

L’opinion publique retient de lui son éternel rôle de contrepouvoir, un mot dont il aimait soulignait la différence avec une expression proche, «contre le pouvoir». Il est connu pour son franc-parler et pour avoir le courage de ses idées, même lorsqu’il était seul ou presque. L’homme était rarement d’accord avec ceux qui ont eu à incarner l’Exécutif. De Senghor à Macky en passant par Diouf et Wade, il s’est frotté à tous les régimes.

Sous Senghor, il a passé un an en prison, de novembre 1979 à novembre 1980. D’aucuns disent que c’est de la faute de son grand frère Ahmed Khalifa, avec qui il entretint des relations en dents de scie. Sous Macky Sall également, il a frôlé la prison. En décembre 2013, il est convoqué à la Section de recherches de la gendarmerie au motif qu’il a offensé le chef de l’Etat. L’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) a été à deux reprises à ses trousses. Des actes qu’il a toujours qualifiés de tentative de liquidation de son groupe pour le faire taire.

Sous Wade également, les relations étaient tendues par moment. Ce fut le cas, lorsque les locaux de Walf ont été saccagés par des talibés d’un guide religieux.

Il arrivait aussi que les rapports avec le pouvoir soient stables. On se souvient d’ailleurs que le Président Wade a présidé l’inauguration des locaux du groupe à Khar Yalla, en 2010. Un rapprochement qui lui a souvent valu quelques critiques.

L’«ayatollah de Khar Yalla» jouit d’une certaine popularité. Le 19 mars 2011, en conflit avec Wade, il appelle le peuple à descendre dans la rue. La manifestation a enregistré une grande mobilisation à la place de l’indépendance. Et trois ans plus tard, en novembre 2014, lorsque le régime de Macky interdit une manifestation de l’opposition, il appelle à un «Tahrir 2», du nom de la place Tahrir en Tunisie d’où est partie le Printemps arabe.

Patriote

Avec la disparation de Sidy Lamine Niass, les témoins de son époque lui reconnaissent son engagement pour la démocratie et les libertés.

Sous Abdou Diouf, il a reçu la distinction de chevalier de l’Ordre du mérite en juin 1995. Ce qui ne signifie guère que les deux hommes s’entendaient parfaitement. La Une de Wal fadjri du 20 mars 2000, avec le titre «Wade président», au lendemain de la présidentielle, traduit une sorte de soulagement d’un support qui a tout le temps dénoncé le pouvoir hégémonique du Parti socialiste.

En fait, cette distinction de Sidy Lamine Niass s’explique davantage par son implication auprès des autorités du pays pour que le Sénégal abrite le sommet de l’Organisation de la conférence islamique (devenue Organisation de la coopération islamique) en 1991.

Ce monsieur de teint clair est en effet très introduit dans le monde arabe. Ami de Mouammar Kadhafi, proche de Saddam Hussein, il a aussi des relations en Arabie Saoudite… Malgré ses désaccords avec les tenants du pouvoir, il a été plusieurs fois sollicité par le Sénégal pour des missions dans ces pays. Comme quoi, quoi que l’on puisse penser de lui, on lui reconnaitra peut-être les qualités d’un patriote.

Babacar WILLANE

Top 10 de l'info

Haut