Contribution

[Tribune] Présidentielle 2019 : les voix de l’honneur ! – Par Amadou Lamine Sall

Amadou Lamine Sall
Amadou Lamine Sall

Ce pays ne sera jamais perdu – jamais il ne le sera ! – si les meilleurs d’entre nous refusent de prendre les chemins de l’incertitude, de la division. Un citoyen doit tenir à sa différence dans la société. Il faut alors savoir refuser le bruit reptilien des cataclysmes annoncés, de la revanche, de la haine, en s’assumant, en affichant sa responsabilité et ses devoirs. Refuser de faire partie, confiné dans son salon, de la masse molle des « brouteurs d’écrans » qui vont au lit, loin des urnes. L’engagement verbal seul ne fait pas le citoyen, il y faut le passage à l’acte, comme le vote, le respect du bien public, la défense de la patrie.

Tout citoyen naît d’une soif de justice, de bien-être social, de confiance en l’avenir. La foi seule peut regarder l’injustice dans les yeux, et se taire. Sinon, la foi ne serait pas la foi. Mais elle ne peut suffire. Nous ne pouvons pas laisser nos enfants dans les bras de la fatalité. Cela ne minore en rien la force de notre foi ! Dans la conquête moderne des consciences et des âmes, comme jadis nos guides religieux avaient devancé le colonisateur en nous protégeons de leur razzia mentale, nous devons jouer, nous aussi, notre partition. Maintenant. Sans attendre !

L’Ambassadeur de Tombouctou, hors de toute mesure, dit ceci de terrifiant: « il faut aligner tous les tueurs de la République, tous ceux qui ont couché avec elle, l’ont violée et lui ont fait payer, en plus, leur propre excès de jouissance, les aligner nus, à genoux, sur la place publique, et que chaque enfant de ce pays vienne les gifler, en silence ». Bien sûr que nous ne partageons point une telle sentence, au nom de ce que notre pays tient à représenter comme image de respect pour les droits de l’homme et de considération pour l’être. Nous ne sommes pas, ne devons pas et ne pouvons pas être ce pays dont parle cet Ambassadeur ! Notre culture le réfute. Notre foi nous l’interdit. Mais nous savons, par contre, que chez nous, il est arrivé que la honte ne dégrade plus. Elle élève. Elle récompense. Nous en sommes à ce paradoxe, hélas, et c’est assommant ! Il faut mettre un terme à ce drame éthique, cette dérive tragique. Nous devons devenir ce que nous étions.

Il faut que notre pays réécoute ses propres valeurs. Valeurs de travail, d’équité, de noblesse, de dignité, d’amour, de paix, de justice, de solidarité. Les voix de l’honneur ne doivent pas être éteintes. Sinon, nous nous éteindrons avec elles. Le Sénégal est plus grand que nous. Il nous a précédés. Il nous devancera toujours. Alors, achetons-nous une tombe moins bavarde pour être digne de lui et digne demain, de nos enfants, afin d’éviter que le livre familial soit interdit de lecture à haute voix. Aimons-nous et construisons ensemble notre pays, l’Afrique. Ce qui nous attend au soir de la présidentielle du 24 février 2019 ne doit pas être laid, mais grand, mais beau. Étonnons encore le monde. Ce pays en est capable. Ses fils sont des pèlerins qui ont visité le monde et laissé partout des traces de grandeur de l’esprit. Soyons hauts et pensons haut. Laissons la fosse à ceux qui ont trahi leur père. Quand à la vieille sentinelle qui est descendue de la montagne où le peuple et la République lui avaient bâti un gîte de miel, de confort, de respect, il est annoncé dans la vallée pour la rendre boueuse.

Mais que le vieil homme qui aurait accompli la prouesse de vivre sans sagesse et à qui une malédiction solitaire a rendu amère et pierreux, apprenne, avec l’affection que nous lui portons et la gratitude que nous devons aux forgerons des hauts fourneaux, malgré qu’ils aient puisé jusqu’à l’or des tombeaux, que dans la vallée n’attendent que des statues. On ne demande pas à des statues de vous suivre, de courir les rues ! Pour elles, il n’existe pas meilleure réponse que le silence ! Silence du peuple s’entend, à la fois face à la ruine de l’âge, face au passé ineffaçable d’un fiévreux combattant, d’un esprit brillant mais qui a laissé nos valeurs en piteux haillons, face à l’œuvre infrastructurelle audacieuse léguée. Wade n’a pas travaillé que pour Abdoulaye ! L’eût-il voulu, l’histoire en a décidé autrement. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, avec lui le Sénégal a gagné en accélérateurs de développement.

Sur ce plan, Macky Sall n’a pas fait moins et ne laissera pas moins. Il nous fait déjà visiter le futur avec un pragmatisme assumé, une vision avant-gardiste impressionnante ! Que l’on aime ou que l’on n’aime pas, il avance. Cet homme ne recule pas ! Bien sûr, une vision présidentielle peut paraitre toujours trop ambitieuse, dominante, vaniteuse, inappropriée vue du camp d’en face. Mais gouverner c’est décider ! Il n’existe pas de sentiment ! Hélas, même chez les poètes, comme Senghor ! Il y faut de l’autorité ! L’État, c’est d’abord l’autorité et d’ailleurs elle nous manque bien souvent face au désordre et à l’indiscipline ! Chacun est dans son rôle. Sinon alors, où on change le Président, où on change l’opposition, où on change la loi fondamentale et les règles du jeu, où on change le peuple. Chacun jugera.

Ceux qui arriveront demain et choisis par le suffrage universel nous feront franchir d’autres paliers que nous souhaitons plus grands encore, sans oublier de faire grandir notre démocratie. Elle ne vaincra pas la pauvreté mais elle seule vaincra la division ! Elle seule coupera les nœuds, taira les lamentations, effacera les doutes, réconciliera nos institutions avec elles mêmes, apaisera les consciences, rétablira et les équilibres et la confiance. Elle seule nous installera dans la fin de l’infinie parlotte, de l’infini duel, de l’insoutenable prise d’otage de politiciens marchands d’ombre, de l’opacité dont la justice est accusée, fouettée. A tort ou à raison. Finalement, célébrons l’entente, le consensus, quoique cela coûte ! Là est le ciment de notre culture, notre première valeur suprême. Elle est ce qui nous fonde dans la paix et la fraternité et non dans un interminable conflit !

Encore l’Ambassadeur de Tombouctou dans ses surprenantes élucubrations : « Si Macky Sall accédait à un second mandat, puisse t-il, avec ou contre sa majorité, accomplir sans tarder le meilleur du programme de ceux qui furent ces adversaires, et au-delà. Les portes de l’histoire lui seraient grandes ouvertes. Il marquerait jusqu’à la fin des temps l’esprit des peuples épris de paix et de progrès. Il laisserait pantois son opposition et à ses successeurs peu de place dans l’histoire, ou presque. Il aurait devancé tout son monde, le Diable compris, grandi l’Afrique, placé le Sénégal très haut dans la hiérarchie démocratique mondiale.

Il n’est jamais trop tard pour étonner ! Il s’agirait soit d’appliquer la totalité des réformes édictées par les Assises nationales, soit réformer, à la carte, par référendum ou consensus politique: le mandat présidentiel unique, l’indépendance de la magistrature, la réduction des institutions de la République, la création d’un Conseil des Sages, la neutralité des grands commis et directeurs généraux de l’État, la validation de leur nomination par les deux groupes majorité et opposition de l’Assemblée nationale, la réduction drastique des membres du Gouvernement, la prise en compte de la parité égale ou complémentaire ». Nous laissons à notre truculent Ambassadeur ses risqués et nobles rêves de citoyen ! Peut-être y ajouter, par imprudence, l’institution de « Maisons de la Culture du Sénégal » au cœur des grandes capitales culturelles et artistiques du monde comme Paris, Londres, New-York, Pékin, Abou Dabi, New Delhi, Johannesburg, le Caire, sans oublier de commencer chez nous la réforme et le pressant renflouement budgétaire des centres culturels régionaux qui sont les mamelles et le réservoir du renouvellement de nos créations nationales. Bref, comprendre que l’art et la culture sont le pétrole et le gaz et de nos identités et de notre démocratie !

Nous croyons, pour notre part, que dans ce pays, le Sénégal, il existe nombre de gens qui, pour le dire de cette manière, sont prêts à perdre la vie par politesse, par élégance, par pudeur. Il s’agirait, par rapport à la mutation tragique de nos sociétés emportées par le tourbillon gluant et lépreux de la modernité, de rester « démodés », c’est à dire de retourner aux vertus des anciens : éthique, grandeur, sacrifice de soi, sacralisation de l’État, dignité et splendeur. Non, elle n’est pas fini l’Afrique de « L’enfant noir » même si nous savons que les nègres nouveaux ne savent plus et ne veulent plus « écouter la voix du feu / entendre le buisson en sanglot ». N’aurions-nous plus que des « maîtres morts » ? Où sont les vivants ? Les morts ne sont morts que chez les vivants déjà morts, ceux qui ont choisi la nuit de l’ignorance et tué en eux, à la hache, et le savoir et l’honneur. Pour de nouveau renaître, il nous faut à la fois « éviter l’appauvrissement intellectuel de l’école » et retourner à la famille et aux sources sacrées des valeurs et de la tradition. Dans notre histoire, les panthères et les lions n’accouchaient pas de chèvres et d’hyènes ! Jamais ce métissage inattendu n’était le nôtre ! Cette métamorphose gluante est pourtant devenue une part de notre société. Bannissons-là vite. Elle nous salit !

Borges disait qu’il faut juger un écrivain sur ses meilleures pages. Quelle générosité ! De la même manière nous devrions juger un pouvoir sur ses meilleures réalisations. Il ne s’agit pas d’oublier le reste, mais d’aller vers ce qui construit et fédère, même si l’espace politique est cruel, partial, glacial, frelaté ! Le 20ème siècle a fait paraitre un dictionnaire où le terme « politique » est défini comme un mot de mauvaise réputation et qui pouvait même servir désormais d’injure ! Feu Amadou Guèye Ngom, incommode écrivain, habile et subtil essayiste aimait dire ceci, que nous l’acceptions ou non : « Les hommes politiques ne sont ni le problème ni la solution. Ce sont les Sénégalais qui sont le gros problème ». Autrement dit, quand les questions posées sont justes et que les réponses sont fausses, alors les questions restent entières.

Notre pays aura la démocratie qu’il mérite et nous souhaitons qu’elle soit à l’image de ce nous souhaitons de mieux pour l’avenir de nos enfants! Pour le moment, il faut désherber ensemble et laisser faire le temps, la bravoure des institutions républicaines, la maturité du peuple et des princes inspirés venus pour servir. Une seule certitude : nous avons besoin de puissants accélérateurs pour atteindre le sommet de la montagne, là où il faudra enfin « commencer à monter », comme disait le poète Khalil Gibran.

La mort, l’injure ou la défaite n’imposera jamais ni le silence ni l’oubli sur un homme d’État qui a laissé des œuvres au patrimoine de son pays ! Patrimoine physique et moral. Il y aura toujours l’invincible voix de la postérité qui veillera sur son nom et sur son œuvre. Qui disait que celui qui n’a pas d’ennemis, n’a pas d’amis ?

Nous en appelons à l’avenir de notre pays : sa jeunesse ! Nous disons à cette jeunesse sénégalaise: soyez une réponse et refusez d’être une question !

Cette présidentielle est déjà inscrite comme page d’histoire, quoiqu’il advienne, même inscrite au charbon ! Puisse qu’au soir du 24 février 2019, s’élèvent seules les voix de l’honneur d’une nation si belle comme le Sénégal. Que nos cinq soupirants, les cinq amants de la République se parent de nos plus dignes valeurs et que celui qui aura à passer seul par la porte du Palais, la Dame République au bras, se souvienne que l’épouse n’est point un oiseau de basse-cour et qu’elle prendra un jour son envol vers d’autres bras ! Cela s’appelle d’un joli nom : la démocratie !

Que Dieu bénisse le Sénégal ! Qu’il le place dans le cœur de toutes les nations du monde !

Amadou Lamine Sall
Poète
Lauréat des grands prix de l’Académie française

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