Explication de la percée de Sonko en Casamance : le « Umu ololy » en réponse au « Nédoko bandum »
La victoire écrasante de Ousmane Sonko à Ziguinchor continue de faire couler beaucoup de salive et d’encre. Selon les responsables de la coalition au pouvoir basés à Ziguinchor, les raisons sont multiples et diverses. Mais, celles qui viennent en permanence, c’est la sortie malencontreuse de Moustapha Cissé Lô, le vote affectif causé par le «Nédoko bandum» présumé de Macky Sall au Fouta en 2012, qui a fait naître le terme «umu ololy» qui veut dire «il est des nôtres». Sans compter aussi la vague de transhumants, l’apport de l’élite et de l’intelligentsia dans la diaspora casamançaise. Autant de raisons mises sur la table pour justifier cette cuisante défaite à Ziguinchor. Du côté de Pastef, on balaie ce discours d’appartenance de leur candidat. Ils mettent sur la table ce qu’ils appellent la stratégie ratée du pouvoir qui consiste «à affamer les populations d’abord pour après les attirer en leur donnant des miettes lors des cérémonies».
LE «UMU OLOLY» CONTRE LE «NEDOKO BANDUM»
Mamina Camara, président du Conseil départemental de Bignona, joint par téléphone, reconnait que les Casamançais, même si certains refusent de le reconnaitre, ont répondu au «Nédoko bandum» dont on accuse à tort son candidat. Cette perception ancrée dans les consciences, les Casamançais ont répondu par le «Umu ololy». Le président du Conseil départemental de Bignona soutient : depuis longtemps, on savait qu’il y avait une force qui naissait, le Pastef. Mais nous n’avions pas pour autant baissé les bras». On a toujours continué à travailler sur le terrain. Ce qui nous a permis de mesurer et de comprendre nos forces et faiblesses. La première raison de notre défaite, c’est le vote affectif et un repli identitaire qui ne dit pas son nom. Les villageois rencontrés nous ont dit clairement qu’ils aiment Macky Sall parce qu’il a beaucoup fait et continue à faire de bonnes choses pour la Casamance. Mais ils ont un de leurs fils qui est candidat. Donc ils préfèrent voter pour lui. Ils nous disaient qu’il est temps qu’un Sénégalais issu de la Casamance soit élu président de la République. Le discours de ‘’Umu Ololy’’ nous a désarçonnés».
Un constat partagé par le député du Kassa Aimé Assine, qui lui aussi a perdu son département, mais a sauvé les meubles en gagnant son bureau de vote et sa commune, Oukout. Pape Alioune Diédhiou, coordonnateur de l’Union des jeunes de la majorité présidentielle, a eu le même constat que ses aînés. Il a reconnu cet aspect sans faire de commentaire. Mais il aborde un autre aspect non négligeable qui, selon lui, a beaucoup pesé sur la balance, la présence des responsables sur le terrain uniquement en période électorale. «La population est frustrée contre les responsables de la mouvance présidentielle qu’elles ne voient sur le terrain que quand il y a élection», constate-t-il.
Alioune Diédhiou, responsable de Pastef : «on a profité des failles de Benno»
Par contre, du côté de Pastef, cette assertion est balayée d’un revers de main. Selon Alioune Diédhiou, qui a accepté de dévoiler un pan de leur stratégie, Pastef a profité des failles de Benno pour communiquer. «Notre communication est partie de la politique qu’ils mènent sur le terrain. Leur rapport avec la population qui est basée sur la dépendance. Cette politique consiste à affamer la population et lui donner des miettes pendant des cérémonies, ou lors des campagnes électorales. Ils n’aident les gens qu’en ces moments. Alors que la population ne veut plus la dépendance», souligne-t-il, avant d’ajouter :
«c’est ce constat que nous avons fait et avons axé notre communication sur cet aspect. C’est comme ça que nous avons réussi à faire comprendre le caractère ignoble de cette politique à la population. Nous avons demandé à nos militants d’aller récupérer cet argent qui est le leur et une fois dans l’isoloir, ils votent pour Sonko. L’anecdote que je raconte, c’est lors de la venue du président sortant. Beaucoup de nos militants ont été approchés pour accueillir Macky Sall moyennant de l’argent. Nous leur avons demandé de prendre l’argent et d’aller l’accueillir avec des tee-shirts tout en sachant que le jour du vote, ils vont voter pour Sonko», nous raconte-t-il.
Alioune Diédhiou de révéler que le maire Abdoulaye Baldé a, sans le savoir, convoyé beaucoup d’étudiants de Pastef dans ses caravanes. C’est seulement dans les dernières vagues que ses proches s’en sont rendu compte et ont commencé à filtrer, alors que la majeure partie était déjà à Ziguinchor pour voter.
L’APPORT DE L’INTELLIGENTSIA
«Il y a aussi la présence des enseignants dans les villages les plus reculés du département. Ils sont partout. Ils tiennent et portent le discours de Ousmane Sonko. Ils ont été très déterminants dans ce vote. Ils ont influencé les populations de ces contrées», ajoute Mamina Camara. «Les étudiants sont arrivés en masse à 48 heures du vote. Des bus en nombre incalculables venus d’horizons divers, de Dakar, Saint-Louis, Bambey, Thiès. Ils étaient très nombreux. Sans compter les autres citoyens venus de la Gambie pour voter», fait savoir le président du Conseil départemental de Bignona.
LE DISCOURS DE CISSE LO A TOUT GACHÉ
La bourde de Moustapha Cissé Lô a aussi ajouté à la frustration. «Cette déclaration nous a beaucoup porté préjudice. Le Casamançais peut tout supporter, sauf l’injure. Cette déclaration est une injure pour toute la Casamance. Une sortie qui malheureusement n’a pas été sanctionnée par le chef de l’Etat», regrette Mamina Camara. Pape Alioune Diédhiou ne dit pas le contraire. Mais va plus loin, pour soutenir : «il y a l’arrogance de certains leaders du parti. On note au niveau de certains responsables un manque d’humilité. Ils ne sont pas humbles. Ils se croient tout permis. Cette sortie de Cissé Lô en est une. Les responsables doivent apprendre à être humbles et bannir l’arrogance qui a fini de gâter l’image de l’Apr et de certains responsables de la Mouvance présidentielle».
L’APPORT DE LA DIASPORA
Le poids de la diaspora casamançaise a beaucoup pesé sur la balance. «Certains villageois disent clairement : ‘’nos fils, nos frères, nos parents de la diaspora nous ont demandé de voter pour Ousmane Sonko’’», révèle Mamina Camara. Pape Alioune Diédhiou ajoute d’autres raisons non évoquées par ses aînés. Le constat fait dans le dispositif de Pastef, c’est que les jeunes sont responsabilisés et c’est eux qui portent le combat. Le résultat est là. «Le dispositif de nos adversaires est composé à 90% de jeunes qui ont été responsabilisés et ont porté le combat. C’est ce que le président de la République doit comprendre. Chez nous, les jeunes sont marginalisés dans la prise de décision. Nous ne sommes pas impliqués ni associés. On ne comprend pas l’attitude de certains responsables».
LES TRANSHUMANTS
Dans le département d’Oussouye, le Benno qui pourtant a gagné les législatives a été renversé par le Pastef. Le coordonnateur de la coalition, joint par téléphone, jette le discrédit sur le parti. Selon Aimé Assine, c’est le parti qui a accepté des transhumants et pourtant, il avait dès le départ, alerté qu’ils n’allaient rien apporter à la coalition.
«L’Apr, c’est pire qu’une armée mexicaine. En tout cas, moi Aimé Assine, j’ai gagné mon bureau et ma commune. Le maire d’Oussouye, Édouard Lambal, a battu campagne en marginalisant les autres responsables de la coalition de la commune. Malheureusement pour lui, il n’a gagné aucun bureau dans sa commune. Idem pour Tombon Guèye, dont la nomination comme conseiller technique à la primature a causé des frustrations dans le département. Lui aussi a été battu dans sa commune.
Diénéba Goudiaby, elle aussi, a été battue dans sa localité. J’impute cette défaite au parti. Ces transhumants ont pesé sur la balance contre nous», déplore le député. Une thèse défendue dans la capitale sud du pays, Ziguinchor. Ici, l’arrivée d’Abdoulaye Baldé a tout perturbé. Une transhumance de dernière minute qui fait jaser des responsables qui soutiennent que le maire n’a rien apporté à Macky Sall. Ses lieutenants qui lui apportaient l’électorat, qui lui permettaient de rester maître de Ziguinchor, ont rejoint Sonko. Appelés pour réagir, les responsables de l’Apr ont préféré attendre la sortie de leur candidat pour faire le bilan, avant à leur tour de brandir leurs raisons.
Baye Modou SARR-Les Echos