Spéculations sur un 3e mandat de Macky Sall : le dangereux glissement sémantique d’Ismaïla Madior Fall
Dans un entretien avec nos confrères du quotidien Enquête, le ministre de la Justice, Ismaila Madior Fall, répondant à une question sur un potentiel troisième mandat du Président Macky Sall, a livré une réponse qui suscite interrogation et questionnement. Un dangereux glissement sémantique du garde des Sceaux, qui il y a un peu plus d’un an, disait tout le contraire.
Mais quelle mouche a donc piqué le ministre de la Justice Ismaila Madior Fall ? La question est celle que se posent actuellement bon nombre de Sénégalais, après sa sortie hier dans le quotidien «Enquête». À la question de notre confrère Mor Wilane de savoir si le Président Macky Sall est à son dernier mandat, le professeur de droit a déclaré : «Bon… Pour moi la constitution est claire, mais j’ai entendu des professeurs de droit dire que, telles que les dispositions ont été rédigées, le président peut faire un autre mandat. Moi, je pense que la constitution est claire. En principe, c’est le deuxième et dernier mandat du chef de l’État».
«Il appartient au président de la République d’apprécier»
Insatisfait de cette réponse mi-figue, mi-raisin, le journaliste enchaine et lui demande quel est son point de vue, en sa qualité de «spécialiste». Mais là également, il fallait compter avec le jeu de cache-cache d’un juriste brillantissime qui pourtant s’est toujours distingué, dans le passé, par la clarté de ses explications. «Moi, j’ai donné mon point de vue. C’est ce que je viens de dire. À mon avis, les dispositions sont claires. D’autres ont donné leur avis en disant que les dispositions ne sont pas claires. Il appartient au président de la République d’apprécier», a répondu Ismaïla Madior Fall.
Ce que disait Ismaïla Madior Fall il y a quelques mois
Suffisant pour installer le doute dans la tête de certains de nos compatriotes. Et certains de ses collègues juristes ne sont pas en reste dans ce qu’il convient d’appeler une indignation généralisée. S’il en est ainsi, c’est qu’ils sont nombreux à ne pas comprendre le changement de ton et de logique dans le raisonnement du professeur -ministre. En effet, il y a quelque mois, le ministre Ismaïla Madior Fall disait clairement et de manière certaine que si Macky Sall venait à obtenir un second mandat, celle-ci constituerait son dernier à la tête du pays.
«La Constitution du Sénégal est très claire sur la question du mandat du président de la République et ne laisse place à aucune interprétation sur la possibilité d’un troisième mandat. L’article 27 de la Constitution dit : ‘’Le chef de l’État est élu pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs’’», avait-il alors répété trois fois devant les journalistes, à la sortie d’une visite dans une maison d’arrêt et de correction.
Mais tout cela est bien loin. La loi qui était claire il y a quelques mois va être soumise à l’appréciation du président de la République….
Suite à «ses hésitations» sur un potentiel troisième mandat du président de la République Macky Sall, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Ismaïla Madior Fall, a fâché les Sénégalais. Notamment les internautes qui ont trouvé que la formulation du ministre est des plus douteuses.
Alors hier, sur la toile, les Sénégalais ont largement dénoncé ce qu’ils qualifient de «mauvaise foi» du professeur-ministre. Pour ce faire, nos compatriotes n’ont pas cherché à convaincre du point de vue du droit, parce qu’il serait extrêmement difficile de discuter droit avec le professeur Ismaila Madior Fall. Les Sénégalais de la toile se sont limités à la forme de la déclaration. Mais, cette autolimitation n’a pas empêché nos compatriotes de dire, avec détermination, leur profond désaccord avec «l’immense» professeur de droit.
Invitée, hier, à l’émission «Tmtc» sur la télévision Dtv, l’ancienne députée Hélène Tine a apprécié le message du constitutionnaliste qui était vite devenu viral sur la toile sénégalaise. Pour le membre de la Coalition «Idy 2019» lors de la présidentielle du 24 févier dernier, l’expression «en principe» inspire le doute quant à l’exactitude des dires du ministre.
Ousmane Abdoulaye Barro, Pastef : «Ismaila Madior Fall fait de l’usurpation»
Pour le Secrétaire national à la massification et à la vie du parti Pastef-Les Patriotes, Ousmane Abdoulaye Barro, «Ismaïla Madior Fall est juriste de formation, mais il préfère parler de science politique».
«Il l’a fait savoir lors d’une invitation à l’Ugb, il y a plus d’une dizaine d’années. Ensuite, il s’est débrouillé pour que l’on enseigne la discipline à partir de la 2ème année à l’Ucad. […] Ismaila Madior Fall fait de l’usurpation. Il parle pompeusement de « théorie de la science politique » pour faire peur aux non-initiés et déroule comme si cela lui donnait tous les droits. Le mélange de genres, l’essentialisme, tout lui est permis. Et ce n’est pas la première fois. Je l’ai entendu dire que le 23 juin marquait la naissance du « patriotisme constitutionnel » au Sénégal», s’indigne le camarade de Ousmane Sonko. Et son camarade Thomas Faye de renchérir que «le terme ‘’en principe’’ en droit n’est pas approprié, s’il n’y a pas de possibilités légalement justifiées».
Sur le réseau social Twitter, les commentaires se sont multipliés tout au long de la journée. «Selon le Pr Ismaila Madior Fall, garde des Sceaux, ‘’en principe, le mandat actuel du Président Macky Sall est le dernier’’. Mais pourquoi ‘’en principe’’ ? Chat échaudé craint l’eau froide, Monsieur le Garde des Sceaux, dites que c’est le dernier mandat point-barre», a estimé le sieur Moussa Ndiaye.
Babacar Sow : «Quoi qu’on puisse dire, il est l’un des meilleurs de sa génération»
Dans ce lynchage virtuel, certains se sont tout de même démarqués de la logique du grand nombre en saluant l’expertise du professeur de droit. «Bastonner l’homme sur ses positions, d’accord. Mais renier ses compétences et connaissances du droit serait fanatique et nihiliste. Je suis d’accord qu’il suit souvent l’orgueil d’un homme politique déclinant et égoïste… Soyons un peu objectif et gardons les émotions de côté. Les prises de positions fantaisistes ne sont pas importantes. Quoi qu’on puisse dire, il est l’un des meilleurs de sa génération», a tenté de raisonner le Facebookeur Babacar Sow.