Francophonie : la langue de Molière sauvée par les fils de Kourouma
Avec 300 millions de francophones dans le monde, la langue de l’Hexagone se porte bien à l’international. Présente sur les cinq continents, le français est aujourd’hui la cinquième langue la plus parlée dans le monde, après le chinois, l’anglais, l’espagnol et l’arabe. Selon les prévisions optimistes, le nombre des locuteurs du français pourrait varier entre 477 millions et 747 millions à l’horizon 2070. Ce boom linguistique s’explique essentiellement par le boom démographique que connaît l’Afrique où se trouve désormais, selon le dernier rapport de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), le cœur battant de la francophonie, devenue selon les auteurs du rapport l’une des matrices d’une possible « civilisation de l’universel ».
A l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie ce 20 mars, l’Observatoire de la langue française de l’OIF vient de publier son rapport quadriennal sur la langue française dans le monde. Basé sur des recherches approfondies et des enquêtes sur le terrain, ponctué de cartes, statistiques et infographies, ce volume de près de 400 pages est un document très sérieux sur l’état de la langue française et ses évolutions récentes.
Couverture du livre «La langue française dans le monde».
Publication phare de l’OIF, ce rapport a vu son format remanié depuis sa dernière parution en 2014. Du nouveau pour l’édition 2019, qui s’est enrichie d’interviews de linguistes et surtout des tribunes par des spécialistes qui ne sont pas tous des linguistes. Ces « grands témoins » de la francophonie « permettent d’apporter, comme l’explique le coordinateur du rapport Alexandre Wolff, des éléments de contexte aux chiffres de la francophonie dans le monde. Des statistiques sont des données brutes qui ont besoin d’être nuancées et expliquées ».
C’est à ce travail d’éclairage que s’emploie dans sa tribune le philosophe sénégalaisSouleymane Bachir Diagne, qui pointe les paradoxes de la langue mondialisée en rapprochant les progrès de la francophonie du statut encore équivoque des auteurs francophones du Sud. Evoquant le manifeste « Pour une littérature-monde en français » publié dans les colonnes du quotidien Le Monde en 2007, le philosophe s’étonne que malgré la contribution des écrivains issus de la « périphérie » à la mondialisation en cours de la langue et des lettres françaises, le décloisonnement entre la littérature française et les littératures francophones tarde à se faire.
Le boom du français en Afrique
L’importance grandissante de l’ancienne périphérie pour le rayonnement du français est justement la principale leçon du dernier rapport de l’OIF. « Le cœur de la Francophonie est en train de se déplacer vers l’Afrique subsaharienne et l’océan Indien, confirme Alexander Wolff. C’est une tendance de fond qui avait été déjà pointée dans le précédent rapport de l’OIF. Le phénomène apparaît aujourd’hui plus clairement ». Selon l’enquête de l’OIF, 60 % des locuteurs quotidiens du français se trouvent désormais sur le continent africain. Qui plus est, sur les 22,7 millions de nouveaux locuteurs venus grossir le rang des nouveaux francophones depuis 2010, 68 % se trouvent en Afrique subsaharienne et 22 % résident en Afrique du Nord, tandis que l’Europe et l’Amérique se répartissent les 10 % restants.
« Ce boom du français, explique Alexander Wolff, résulte pour l’essentiel du croisement de la vitalité démographique africaine et des progrès de la scolarisation sur le continent. » Et d’ajouter : « Il est porteur d’avenir, car les jeunes générations ont tendance à utiliser le français plus fréquemment que leurs aînés ».
En lien avec la question de la progression du français en Afrique, le rapport de l’OIF revient aussi sur la dimension plurilingue dans laquelle le français se développe en Afrique et ses conséquences sur la langue elle-même. « Le plurilinguisme est une constante de l’environnement linguistique africain », rappelle Alexander Wolff, soulignant les conséquences que cette cohabitation avec les langues nationales a forcément sur la pratique même du français. « Le défi consiste à mettre en place, poursuit ce dernier, un équilibre entre l’inventivité des locuteurs individuels et la compréhension de la langue. Car c’est dans cette articulation harmonieuse entre le français et les langues nationales que se joue l’avenir de la francophonie en Afrique. »
Autres raisons d’optimisme
Le rayonnement du français en Afrique n’est pas la seule raison d’optimisme des auteurs du rapport de l’OIF. Le rapport fait aussi une large place à la dimension économique de la francophonie. Il s’appuie sur des enquêtes du terrain pour illustrer comment « l’intensité des échanges entre francophones s’accroît grâce à leur langue commune », notamment dans les secteurs des industries créatives. Des enquêtes conduites par ailleurs dans neuf pays (Arménie, Bulgarie, Cambodge, Kenya, Liban, Madagascar, Nigeria et Roumanie) attestent du prestige grandissant du français sur le marché du travail où le français revient régulièrement dans les combinaisons demandées par les employeurs.
Enfin, last but not least, le poids grandissant de la langue française dans l’univers médiatique, en particulier dans l’internet où celle-ci occupe la 4e place, permet d’imaginer que l’avenir du français est désormais devant lui et pas derrière, comme on le susurrait dans les couloirs des institutions diplomatiques internationales à l’époque de l’anglophonie triomphante.