Sécurité

Recherche et développement d’armement made in Senegal : Mary Teuw Niane bloque un brillant ingénieur sénégalais

armement made in Senegal
armement made in Senegal

Alors que le chef de l’Etat se saigne pour l’équipement de nos Forces armées, un programme national d’armements made in Sénégal (lance-roquettes, roquettes, gilets pare-balles, véhicules blindés…), qui a déjà donné des résultats concrets, est bloqué depuis trois ans, par la faute du ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation, qui n’a pas apporté sa part du financement, conformément à ses engagements contractuels. Inquiet de l’avenir du programme ou «projet Skimikamiya» hautement stratégique et patriotique, «qui est en train d’être détruit», l’ingénieur électromécanicien Serigne Moctar Ba, qui travaille avec l’armée depuis 2008, alerte le chef de l’Etat, chef suprême des armées. Ayant refusé des contrats en or d’autres pays de la sous-région, le spécialiste des armes soutient qu’il va rester au pays et mener le combat, car on ne peut pas continuer à détruire les scientifiques sénégalais ou les pousser au départ.

Ingénieur en électromécanique, spécialisé en tout ce qui est conception d’équipements militaires, notamment missile, balistique et blindage, Serigne Moctar Bâ, un ancien du Prytanée militaire de Saint-Louis, où il a fait décoller sa première fusée expérimentale, en 2000, à 16 ans, est en collaboration avec l’armée et l’Etat depuis des années, pour le développement d’un programme de défense, consistant à concevoir et produire des armements made in Sénégal. «Depuis 2008, du temps du Président Wade, je suis entré en contact avec l’Etat du Sénégal, pour le développement de fusées expérimentales. Il est à noter que les fusées, jusqu’à ce qu’on puisse atteindre 150 km, pour lancer des satellites dans l’espace, ne peuvent servir qu’à deux choses : les roquettes et les missiles. Mais l’ambition du programme, c’est d’aller jusqu’à la satellisation. On est capables de le faire. On a démarré avec la fabrication des roquettes Skimikamiya 30P-V4. C’est la première roquette de classe industrielle dans l’histoire du Sénégal. C’est une roquette qu’on fabrique en série, de manière très industrielle. J’ai eu à la perfectionner», explique le lauréat du Prix des jeunes créateurs du Sénégal en 2005. Et d’ajouter qu’avec la deuxième alternance, «comme c’est un projet patriotique et stratégique, le Président Sall a continué à appuyer». En plus de le féliciter, il l’a mis en rapport avec le ministre de la Recherche scientifique.

Un programme qui a donné des résultats concrets qui dépassent les attentes

Avec la bénédiction du chef de l’Etat et l’accompagnement de l’armée, le programme a continué, en donnant des résultats probants. «Concrètement, j’ai eu à fabriquer des gilets pare-balles. La conception est déjà terminée. Les essais ont été effectués. Ce n’est pas de la théorie. On dépose et on ouvre le feu là-dessus, avec des armes de guerre et les balles sont stoppées. Il reste juste à passer les commandes. Le blindage idem ! J’ai déjà fabriqué des systèmes blindés pour véhicules. Le système est terminé et utilisé même sur des véhicules. Il y a, aujourd’hui, des véhicules équipés de mon dispositif blindé. Les roquettes, on appuie sur un bouton et ça décolle et atteint sa cible», soutient l’ingénieur, images et vidéos des essais à l’appui. Il ajoute que le programme s’est poursuivi, «avec la conception du système d’armes Ninki Nanka». Il explique : «c’est un lanceur de roquettes multiples (LRM), entièrement fabriqué au Sénégal : lanceur et munitions y compris».

Le programme bloqué à la phase de conception du véhicule blindé lanceur d’engins

Un Mais cet élan prometteur du programme est stoppé aujourd’hui, du fait que, depuis trois ans, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation n’a pas apporté sa part du financement, malgré les résultats probants et visibles. «On a signé un premier contrat tripartite, après 2008, où je travaillais exclusivement avec l’armée. L’Etat, à travers le ministère de la Recherche scientifique, est entré en 2014 dans le programme. Il y a eu la première phase, qui a dépassé les attentes. Les rapports sont là. Naturellement, on a continué à rendre plus performant l’arme. Du système d’arme Ninki Nanka, lanceur de roquettes multiples, on devait passer au lanceur de roquettes multiples blindé. C’est-à-dire un véhicule, avec un dispositif blindé, lanceur d’engins. Et on a signé le contrat (tripartite) en 2015, parce qu’on a eu de très bons résultats», dit-il. Seulement, le ministère de Mary Teuw Niane ne va jamais remplir sa part du contrat. «L’armée a respecté sa part du contrat, moi aussi. Mais le ministre de la Recherche scientifique, jusqu’à présent, ne respecte pas sa part du contrat. Pour ne pas casser la chaine, en un moment donné, je suis entré dans le préfinancement de la subvention du ministère de la Recherche scientifique. On a été en contact permanent pendant tout ce temps, mais, au finish, rien. C’est la raison pour laquelle le programme de défense est bloqué. Ils sont au courant de tout. Des choses que j’ai dites, et des choses que je n’ai pas dites», assure-t-il.

«Le programme est en train d’être détruit à cause de cette situation-là, causée par le ministère de la Recherche scientifique»

Ce qui est pire, pour lui, c’est qu’on ne lui a donné «aucune explication qui puisse respecter l’intelligence d’un être humain». Au contraire, c’est des justifications tirées par les cheveux à chaque fois. «En début d’année, ils disent : ‘’on vient d’avoir le budget’’. En milieu d’année, ils disent : ‘’ok, on est là-dessus’’. Et en fin d’année, ils disent : ‘’on est en fin d’année, c’est assez serré’’. Et cela, depuis plus de trois ans. Et cette année, ils ont trouvé un autre prétexte : les élections…» fustige Bâ. Qui ajoute : «Il faut que ça s’arrête. Le programme est en train d’être détruit à cause de cette situation-là, causée par le ministère de la Recherche scientifique. C’est une question de bon vouloir et de volonté. Il y a des fonds spéciaux destinés à cela, ils n’ont qu’à libérer ces fonds-là. Comment ils peuvent laisser l’armée financer, moi-même financer, et eux, ils n’apportent pas leur part du financement, alors qu’on a signé un contrat tripartite ?».

Soulignant qu’il devait «passer sous les radars», du fait de la nature de la question, l’ingénieur concepteur et producteur d’armes souligne que dans ce pays, «le problème est que quand on ne parle pas, on se fait écraser». Dès lors, il alerte le chef de l’Etat. «J’ai envoyé plusieurs fois des lettres à la Présidence. Mais ce qui se passe en haut, je ne le sais pas. Le ministre dit qu’il a signé ; et que c’est en cours. Mais rien n’est en cours. Et j’en profite pour alerter le président de la République, le chef suprême des armées, pour lui dire que le projet Skimikamiya est bloqué».

Un programme qui profite largement au pays en termes d’armement et d’emplois

Pour l’ingénieur, le Sénégal gagne à tous les coups dans ce programme. «Aujourd’hui, l’armement coûte très cher. Mais si on les fabrique ici, le rapport qualité prix est très bon. Je suis tout le temps moins cher que les autres. Et quand je recrute des employés, je recrute des Sénégalais. Donc, les fonds débloqués restent au Sénégal et profitent à des Sénégalais. Ça crée des emplois… Ensuite, j’ai fait un dispositif tel que je peux mourir 150 fois, mais le Sénégal pourra continuer à développer son système de défense. Car la technologie est là», note-t-il. Et de poursuivre : «actuellement, l’usine, (Skimikamya -Industrie qui porte son surnom au Prytanée militaire), est dans un camp militaire. Je pouvais l’installer autre part, mais c’est pour montrer que j’apporte ma pierre à l’édifice national. Donc, il ne faudrait pas maintenant qu’on me pousse à partir. Parce que dans ce cas, la technologie sera perdue pour le Sénégal. Car le pays qui l’aura n’acceptera plus un transfert. Et pire, des armes conçues par un Sénégalais pourront être, demain, pointées contre le Sénégal».

«J’ai énormément de contacts dans d’autres pays, parce que je détiens des systèmes opérationnels. Ce n’est pas de la théorie, c’est du concret»

Pendant qu’on lui met les bâtons dans les roues dans son pays, le jeune ingénieur a décliné des offres venant de l’extérieur, notamment de pays de la sous-région. «J’ai énormément de contacts dans d’autres pays, parce que je détiens des systèmes opérationnels. Ce que je fais, ce n’est pas de la théorie, c’est du concret. Là j’ai parlé de blindages, de gilets pare-balles, mais pour les roquettes, je sais aussi fabriquer tous les types d’explosifs. Si on parle de système de roquettes et de missiles, c’est un ensemble de dispositifs. Quand on parle de blindé, c’est un ensemble de dispositifs. Et je maîtrise parfaitement tous ses dispositifs. Forcément, j’ai beaucoup de demandes un peu partout. J’ai refusé des propositions tellement mirobolantes que quand mes proches l’ont su, ils ont été choqués. Ils ont dit que je suis fou, parce que ce sont des propositions qui ne se refusent pas», raconte-t-il. Par exemple, un pays de la sous-région lui a proposé d’un coup 10 milliards et un laboratoire dernier cri.

«Je n’irai nulle part, je porterai le combat jusqu’au bout. On ne peut pas continuer à détruire les scientifiques sénégalais ou les pousser à partir»

Mais malgré les propositions en or, Serigne Moctar Bâ préfère rester dans son pays. «Je n’irai nulle part. Je resterai ici au Sénégal, parce que ça, c’est un combat. On ne peut pas continuer à détruire les scientifiques sénégalais ou les pousser à partir. Ce n’est pas le toubab qui détruit nos scientifiques ou accentue la fuite des cerveaux, c’est un système qui est là. Qui, comme on dit : «duma dem, kenn du dem (je n’avance pas et personne d’autre ne va avancer)». Et c’est ça le problème. Beaucoup avant moi sont partis. Si je pars aussi, ou que j’abandonne, beaucoup après moi le feront. Je n’irai nulle part, je porterai le combat jusqu’au bout. On doit appuyer les scientifiques sénégalais et non les détruire», clame-t-il.

armement made in Senegal

armement made in Senegal , développé par l’ingénieur électromécanicien Serigne Moctar Ba

 

 

 

Mbaye THIANDOUM – Les Échos

 

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