Politique

Thierno Alassane Sall : « Macky Sall ne pouvait pas parler, parce qu’il ne pouvait pas démentir des faits têtus »

Thierno Alassane Sall
Thierno Alassane Sall

Le leader du parti la République des Valeurs n’a pas été tendre avec le président Macky Sall qui, au jour de la Korité avait tenu une déclaration sur l’affaire Petrotim qui éclabousse son frère cadet et son gouvernement. Thierno Alassane Sall, ex-ministre en charge de l’énergie (entre 2014 et 2017), a déploré les propos de Macky Sall qui ne cadraient pas, selon lui, avec la Korité. Il rit aussi de la déclaration du gouvernement sur ce scandale diffusé par Bbc. Dans cet entretien accordé à Dakaractu, M. Sall annonce des une situation économique qui impose aujourd’hui, inéluctablement des ajustements structurels pour rattraper le déficit colossal crée dès le premier trimestre de l’année 2019.

À l’issue de la prière à la Grande mosquée de Dakar mercredi passé, marquant le jour de la Korité pour une partie de la communauté musulmane, le président Macky Sall s’est prononcé sur cette affaire dite ‘’Scandale à 10 milliards de dollars’’. Une affaire dans laquelle son frère cadet est épinglé. Comment avez-vous apprécié ses propos ?

Je voudrais d’abord m’étonner sur le contexte. Puisque l’endroit, peut-être, convenait à d’autres messages qui s’adresseraient à la Nation et qui seraient beaucoup plus appropriés aux circonstances de Korité dans lesquelles nous étions.

Beaucoup de Sénégalais ont reproché, aussi au président Macky Sall d’avoir pris parti pour son frère. Selon vous, est-ce à tort ou à raison ?

Macky Sall est bien obligé de prendre parti puisqu’il est concerné. C’est-à-dire qu’il ne faut pas voir cette affaire comme étant entre Aliou Sall, F. Timis, Bp, Abdoul Mbaye ou Thierno Alassane Sall. Non ! Le premier et l’ultime responsable, c’est le président de la République. C’est sa responsabilité qui est convoquée dans cette affaire-là. Il est bien obligé de s’expliquer, il n’a pas voulu s’expliquer dans le fond. Mais, il a voulu jeter le discrédit sur des personnes alors que nous on leur propose des faits. Et les faits sont têtus. On est désolé. Il faut que le président s’explique. Il ne s’est pas encore expliqué.

Donc vous estimez qu’il doit éclairer la lanterne des Sénégalais sur cette question. L’on a aussi vu que dans l’après-midi de cette même journée de Korité, le gouvernement a réagi sur le même sujet. Comment l’avez-vous apprécié ?

(Rires…) Là également, le contexte. C’est-à-dire que c’est la panique totale. Peut-être le président voulait menacer l’opposition, donner l’impression tout en n’ayant pas l’air. Il n’y a pas eu de communication du gouvernement. La pauvre porte-parole du gouvernement qui ne s’y connait pas dans le domaine de l’énergie, qui n’a pas les bonnes informations, était très mal à l’aise, et je la plains. Elle a dû faire le service minimum devant certainement le refus de défendre le gouvernement d’autres voix plus compétentes pour le faire. Cela, tout le monde l’a compris. S’il y a un aveu clair et patent qui peut ressortir de ce qui s’est passé le jour de la Korité, entre la Grande mosquée et la salle du Ministère des Affaires étrangères, c’est que le président ne pouvait pas parler. Parce qu’il ne pouvait pas démentir des faits têtus.

Vous avez bien suivi la déclaration du porte-parole du gouvernement. A-t-elle été à la hauteur de vos attentes ?

Il a voulu passer la patate chaude à son gouvernement, la plupart les ministres ont refusé d’assumer la responsabilité de parler. Et la pauvre porte-parole a essayé de sauver les meubles. Ce que, de manière flagrante, les Sénégalais ont vu et compris. Et vous constaterez aussi une chose importante : C’est que les médias d’État, en général si prompts à amplifier, en direct, les communications de cet ordre du gouvernement, puisque le président a parlé à la Grande mosquée, quand le gouvernement parle au ministère des Affaires étrangères, on s’attend à ce que la Rts déploie tous les moyens pour pouvoir passer la parole du gouvernement en direct. La télévision nationale était absente. Ils ont fait le service minimum également. Ce qui veut dire quoi : que le gouvernement veut donner l’impression d’avoir fourni les réponses notamment en direction de la presse internationale. Parce que, c’est l’opinion internationale qui les préoccupe. Tout en essayant à l’intérieur de notre pays, d’étouffer l’affaire en en faisant le moins de tapage possible au niveau des médias pour que l’affaire soit étouffée. C’est pourquoi d’ailleurs, ils ont choisi le jour de la Korité où les esprits sont occupés ailleurs. Et on gardera toujours l’impression que oui ! le gouvernement s’est lavé à grande eau, comme aime titrer une certaine presse. Alors qu’ils ne se sont pas lavés. Ils ont même voulu parler en catimini. Comme si c’était possible. C’était pitoyable leur rencontre avec la presse. La porte-parole du gouvernement, je la plains beaucoup de devoir se faire l’avocate … (rire) en l’occurrence du diable.

Il nous revient aussi en mémoire, qu’en août 2016, alors ministre en charge du pétrole, vous annonciez publiquement sur le plateau de la Rts votre volonté d’attaquer le contrat et les signataires, ‘’si les soupçons de corruption dans le contrat Pétrotim sont avérés’’ ? Êtes-vous toujours dans cette même posture ? 

Absolument ! D’ailleurs, vous remarquerez qu’en 2016, j’avais dit de manière très claire que si j’avais des raisons d’attaquer le contrat, je l’attaquerais. C’était sur le plateau de la Rts, sur une question du journaliste de la Rts relative à l’implication du frère du président de la République. Et j’attaquerais tous ceux qui sont responsables de cet état de fait. À l’époque, je dois le dire, je ne savais pas qu’il y avait un rapport de l’Inspection générale d’Etat (Ige). Je ne savais pas combien la situation était grave. Mais pour avoir regardé le dossier Timis, quand la polémique avait commencé, je m’étais rendu compte que cette société ne disposait d’aucune compétence. Par ailleurs, en tant que ministre, il m’a été donné de constater que je n’étais pas impliqué dans les opérations. Donc je suis dans cette situation aujourd’hui, de tenir parole. La promesse que j’ai faite non seulement en tant que ministre, mais surtout en tant que citoyen sénégalais, qu’homme politique. Nous devons en toute circonstance et quel que soit le prix à payer défendre les intérêts supérieurs de notre Nation.

Mais monsieur le ministre, votre volonté d’attaquer cette affaire devant la justice sénégalaise ne risque-t-elle pas d’avoir les mêmes effets qu’un coup d’épée dans de l’eau ? Étant donné que pour plus d’un, l’exécutif et les législateurs sont à la solde du pouvoir.

Ici, au Sénégal, on nous dit que nous avons une Assemblée nationale et une séparation des  pouvoirs dans ce pays. Eh bien, les députés ont l’occasion de nous le montrer aujourd’hui. Je pense que nous, leaders et citoyens, avons le devoir de nous mettre à la disposition de notre pays. Et dans nos attitudes de tous les jours, être dignes de ces honneurs que nous rendent les hommes de tenue et être dignes de la confiance que placent en nous, les populations de ce pays. Et c’est pour cette raison que nous ne pouvons pas admettre que des gens au plus haut sommet de l’État participent à faire violer les lois du pays, utilisent la force publique et les moyens de l’État pour se couvrir. Et c’est pourquoi cette question n’est plus une affaire du gouvernement ni du président de la République.

Vous dites que cette question n’est plus une affaire du gouvernement ni du président de la République. À votre avis, c’est l’affaire de qui donc ? Celle des leaders des partis politiques ? Celle des populations de ce pays ?

J’interpelle le procureur de la République et l’Assemblée nationale qui doivent se saisir de cette question. Parce que c’est cela un État. Il n’est pas constitué d’un président de la République, son bon-vouloir, son équipe et son gouvernement. Il y a une Assemblée nationale. Cette question agite depuis plus de 3 ans le Sénégal. Si on parle de malédiction du pétrole etc…, ce qui peut être le sapeur-pompier qui peut éteindre la malédiction, c’est l’Assemblée nationale. Elle est là comme contre-pouvoir pour vérifier toutes les allégations qui agitent le pays depuis 3 ans où des responsables, un ancien Premier ministre, des ministres etc… des journaux et des journalistes à l’étranger donnent des faits précis. Et l’Assemblée nationale du Sénégal fait comme si cela se passe au Pôle Nord. Alors que pour moins que ça des parlements des pays démocratiques font des investigations plus élevées. Nous avons l’exemple parfait du Brésil où on a vu plusieurs présidents de la République tomber du fait de l’Assemblée nationale. Le président de l’Assemblée nationale qui se prévaut d’une vie passée au service du Sénégal, a là, l’occasion d’entrer dans l’histoire.

Pourquoi Moustapha Niasse, président de l’Assemblée nationale ? En quoi il est concerné dans cette affaire et que lui reprochez-vous ?

Le président de l’Assemblée nationale a le plus souvent déclaré avoir passé sa vie au service du Sénégal. C’est l’occasion aujourd’hui, pour lui d’entrer dans l’histoire et de mériter des Sénégalais le poste et le rang qu’il occupe dans notre pays. Mais également tous les honneurs, durant toute sa vie qu’il a eus du Sénégal. Depuis qu’il était directeur de Cabinet de Senghor jusqu’ici, le président Niasse a vécu aux frais de la République. C’est le moment de montrer qu’il est digne de cette confiance que le pays lui a toujours donnée. Et tous les députés de ce pays doivent aussi réagir, mais ils ne peuvent pas faire comme si tout cela se passait au Pôle Nord. On a vu en Afrique du Sud, le président Zuma. Les gens l’ont mis en cause directement pour moins que ça. Le procureur a sanctionné. Il n’y avait pas des informations aussi précises relayées sur Bbc et la presse locale. Tout est disponible ici, que les députés montrent aux Sénégalais qu’ils sont une Assemblée nationale.

Aujourd’hui, qu’est-ce que vous comptez faire pour attaquer ce contrat, les mis en cause, Petrotim, entre autres, devant la justice ?

Il y a des plaintes au niveau national et international qui avaient été déposées dans plusieurs circonstances. Mais, nous allons les reprendre avec les forces démocratiques.  Parce que ce n’était pas des combats personnels. Avec l’ensemble des forces démocratiques de ce pays, nous allons reprendre les dossiers. À la lumière de tout ce qui vient de se passer, il nous faut compter sur une mobilisation citoyenne plus large et reprendre encore le combat pour le mener plus loin. Pour le président Zuma, il a fallu plusieurs années de combat. Pour Lula du Brésil aussi il a fallu plusieurs années. Nous ne désespérons pas, mais c’est comme ça qu’on construit la démocratie. La démocratie par l’apprentissage et le peuple saura que demain quand il y aura des situations comme ça, voilà ce que nos aînés ont fait. C’est notre génération qui doit faire l’histoire.

Parlons maintenant économie nationale. J’évoque ce point pour vous demander sur quoi vous êtes-vous fondé pour dire sur les ondes de Sudfm que ‘’notre pays se dirigeait tout droit vers une politique d’austérité budgétaire et un ajustement structurel draconien’’ ?

Je persiste et signe pour dire que l’état des finances dans ce pays, plus globalement l’état de l’économie du pays est tel que des mesures d’ajustement s’avèrent inévitables. Je maintiens que la dette a augmenté, ce sont des chiffres du ministère des Finances, de 2012 à 2018 de 2 700 milliards à 8 500 milliards. Rien qu’en 2018, la dette a augmenté de 1 200 milliards. Ce qui fait que, aujourd’hui, le service de la dette, c’est-à-dire ce qu’on paye par année pour honorer nos dettes, c’est 1 000 milliards en 2018. Ce qui correspond à 40% de nos recettes budgétaires. Pourquoi on en est ainsi à 40% ? C’est parce que les investissements dont se targuent tant le gouvernement, ne sont pas des investissements générateurs de recettes supplémentaires (…). Cela veut dire que ce sont des investissements qui n’ont pas permis de produire davantage de richesses pour le pays pour pouvoir rembourser les dettes qui ont été contractées (…).  Il faut qu’on se prépare à des coupes drastiques au niveau des institutions qui ont été gérées à la hussarde comme la Poste et d’autres ajustements qui seront nécessaires pour un équilibre de notre budget. Parce que le déficit, au premier trimestre 2019 est de 458 milliards. Alors que l’État du Sénégal s’est engagé à un déficit de l’ordre de 3% du Pib pour toute l’année 2019. Alors que rien qu’au premier trimestre 2019, on a pratiquement atteint ce déficit-là auquel l’État s’est engagé. Cela veut dire que sur les 3 derniers trimestres qui restent, il faudra des ajustements pour rattraper le déficit colossal créé dès le premier trimestre. Cela est évident. Donc voilà la situation où la politique de tâtonnement et d’investissements qui ne correspond à aucune réalité économique nous a conduits.

Vous annoncez des lendemains difficiles apparemment pour le pays. Qu’est ce qui, selon vous, expliquerez cette situation ?

Cette situation est le fruit d’un ensemble d’actes posés par l’État. Il s’agit de l’Arène nationale ; le Dakar Aréna ; le Cicad (Centre international de conférence Abdou Diouf) qui ne rapportent rien. Les hôtels qui sont à côté, etc… toutes ces routes à gauche et à droite pour juste du tape-à l’œil. Tout cela, voilà la situation dans laquelle cela a conduit notre pays. Notons encore une fois, c’est incontestable, qu’on est passé de 2700 milliards en 2012 comme dette à 8 500 milliards en 2018. Et le Fmi (Fonds monétaire international) nous dit dans son rapport de janvier 2019, que la situation économique du Sénégal commence à être inquiétante. Elle ne va pas utiliser un tel qualificatif pour une institution réputée pour son euphémisme et son sens de la diplomatie, mais quand même elle dit que la dette du Sénégal commence à être insoutenable. Et qu’il faut des mesures d’ajustement pour pouvoir rester dans les limites. Ce qui signifie qu’il n’y aura plus de recrutement, baisse de toutes les charges dans les différentes entreprises notamment dans le secteur public. Et pour terminer sur cette question, les signes d’ailleurs qui permettent au Sénégal de voir que la priorité de Macky Sall ce n’est pas l’économie, c’est la politique.

M. le ministre. On croit entendre parler l’opposant. Bref, à juste raison vous jouez aussi votre rôle d’adversaire politique. Mais sur quoi vous fondez-vous pour soutenir de tels propos ?

La preuve est que depuis qu’on parle de parrainage -c’est à la fin du mois début septembre 2018 et tout le premier trimestre de 2019- on n’a fait que de la politique politicienne. On ne parlait que de politique. Et même à ce niveau, il n’est pas performant parce que aujourd’hui, le Direction générale de l’Artp et beaucoup d’autres agences tournent au ralenti parce qu’elles attendent qu’on nomme leurs directeurs généraux. Les ministères sont restés longtemps sans travailler parce tout le monde était en politique. Et après la politique, même pour nommer un gouvernement, il y a eu beaucoup de couacs et de retard. Et pendant tout ce temps l’administration ne fonctionne pas puisque les gens attendent de voir ce qu’ils vont devenir, à quelle sauce ils seront mangés…

Avec DakarActu

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