[Profil] : Serigne Bassirou Guèye, le procureur de la… réplique
Serigne Bassirou Guèye, 54 ou 55 ans, est le procureur de la République depuis avril 2013. Pour ses détracteurs, il est à la solde du pouvoir. Pour ses défenseurs, il est dans son rôle. Entre les deux, la balance perd l’équilibre.
« Erreurs de communication »
Sous les projecteurs, le procureur de la République n’a pas déçu. Comme à son habitude lorsqu’il se plie à l’exercice, Serigne Bassirou Guèye a dirigé sa dernière conférence de presse, mercredi 12 juin, à la manière d’un acteur de one-man-show. Occupant seul l’espace, imprimant le rythme au public avec lequel il interagissait quand ça lui chantait et, au passage, soldant quelques comptes sans l’air d’y toucher.
Le sujet du jour : « Scandale à 10 milliards de dollars », le reportage de la BBC qui pointe de supposés versements suspects au profit d’Aliou Sall, frère du Président Macky Sall, dans le cadre de la cession de contrats pétroliers et gaziers entre Petro-Tim et Bp. D’autres affaires étaient également au menu : rapport de l’Ofnac sur le Coud, Fallou Sène…, mais pour les mauvaises langues, c’était juste pour faire diversion.
En tout cas Serigne Bassirou Guèye n’a pas fait insulte à sa réputation de belliqueux ce mercredi-là. Cette étiquette lui colle à la peau depuis le 22 avril 2013 et sa nomination à la tête du parquet du tribunal de Dakar, en remplacement du « très rebelle » Ousmane Diagne, débarqué par Mimi Touré, alors ministre de la Justice, pour insubordination.
Les cibles du procureur sont connues : les Abdoul Mbaye, Thierno Alassane Sall, Ousmane Sonko, Mamadou Lamine Diallo… Ces opposants qu’il taxe, en se moquant, de « grands spécialistes des affaires pétro-gazières, avec des cabinets dans les rédactions ».
Lors de sa conférence de presse, il les a invités à « quitte(r) les médias et les réseaux sociaux pour aller utilement aider les enquêteurs ». « Maintenant, leur a-t-il signifié l’air satisfait, la balle est dans votre camp, les enquêteurs vous attendent ! »
Cette petite pique constituait la cerise sur le gâteau de l’annonce du lancement d’une enquête sur, d’une part, les révélations de la BBC, et d’autre part, sur la fuite du rapport de l’Inspection générale d’État (IGE) sur Petro-Tim.
Ce dossier est confiée à la Division des investigations criminelles (Dic) de la police et à la Section de recherches de la gendarmerie. Et selon les assurances du procureur, les enquêteurs n’épargneront personne; ni Mayeni Jones, la journaliste de la BBC auteur du reportage controversé, ni Aliou Sall, le directeur de la Caisse des dépôts et consignations et maire de Guédiawaye.
Si les sorties médiatiques du procureur de la République, sur les dossiers politico-judiciaires, sont du pain bénit pour la presse, friande des « petites phrases », elles ont le don de faire grincer des dents jusque, parfois, dans son propre cercle.
« Il fait beaucoup d’erreurs de communication. Je le lui dis souvent et il accepte avec beaucoup d’humilité », regrette un de ses conseillers officieux.
« La caverne d’Aïda Ndiongue »
Serigne Bassirou Guèye a été « révélé » par l’affaire Aïda Ndiongue, l’ex-sénatrice libérale poursuivie pour détournement de deniers publics présumé, notamment. Moins d’un an après sa nomination, le 17 janvier 2014, celui que ses intimes appellent « le rigoureux enquêteurs », convoque la presse à l’exposition de « la caverne d’Aïda Ndiongue ».
Il se charge de la présentation des pièces de la collection : de l’argent liquide retrouvé dans sept coffres, dans des enveloppes et dans les livres d’institutions bancaires, ainsi que des bijoux. « En résumé, conclut le maître des poursuites, l’estimation provisoire des biens se chiffre à 47 milliards 675 millions destinés à la lutte contre les inondations. »
Viendra ensuite l’affaire Khalifa Sall. Instructeur du dossier, Serigne Bassirou Guèye était au début et à la fin de la procédure. Sa présence à la barre en avait surpris plus d’un. Pas étonnant pour ceux qui connaissent ce magistrat du parquet pur et… très dur, à la minutie digne d’un Sherlock Holmes.
Entre réquisitoire sévère et passe d’armes avec les mis en causes, leurs conseils ou les témoins, ses méthodes ont été fortement critiquées. Il réussira la prouesse de faire sortir de ses gonds, le très placide ex-maire de Dakar contre qui il a requis 7 ans de prison ferme dans l’affaire de la Caisse d’avance.
« Monsieur le procureur, quel est votre problème ? », lui lance Khalifa Sall, visiblement furax.
Réponse : « Moi, je n’ai aucun problème. Celui qui a des problèmes c’est celui qui a détourné de l’argent destiné à la population. »
Mamadou Diop, ancien maire de Dakar, témoin au procès Khalifa Sall, montrera le même agacement face au teigneux procureur, notamment lorsque celui-ci lui lance : « Avez-vous eu à utiliser de fausses factures pour alimenter les fonds politiques de la mairie ? »
Réplique de Diop-le-maire : « Vous n’avez pas le droit de me parler comme ça. J’ai 82 ans et j’ai exercé différentes fonctions dans ce pays. »
Le procureur précise : « Ce n’est pas moi qui vous ai cité à comparaître comme témoin. »
Ange et démon
Si d’aucuns le caricaturent comme un magistrat zélé, sous la coupe réglée du régime, le parfait contraire de son prédécesseur, Ousmane Diagne, d’autres le peignent comme un homme très « généreux » et un magistrat « crédible ».
Pour sa défense contre ceux qui le jugent « rigide », avec des méthodes éloignées de l’orthodoxie (Me Moussa Sarr), ce jeune quinqua monogame au visage arrondi et à l’éternelle boule à zéro, peut compter sur Me Aboubacry Barro. Qui dit : « Le procureur de la République ne peut et ne doit pas être de commerce facile parce que c’est le maître des poursuites. »
L’avocat martèle : « Il faut que les gens fassent preuve de compréhension car un procureur de la République est un magistrat debout contrairement aux juges du siège qui sont indépendants. Il répond directement de la chancellerie (ministère de la Justice). A partir de ce moment, quand-même, il est le ‘bras armé’ de l’exécutif. Donc il est dans son rôle. »
Comprendre : le procureur de la République est juste un acteur, en public. Un de ses collaborateurs acquiesce. Et en privé, confie ce dernier, le chef du parquet est « un homme entier, quelqu’un de très généreux, très ouvert ».
Issu de la promotion 1997 de l’Enam, Serigne Bassirou Guèye a été pendant longtemps chef du parquet de Tambacounda. Il reviendra à Dakar, après cette virée au Sénégal oriental, pour être substitut puis conseiller technique n°1 d’Aminata Touré, première ministre de la Justice de l’ère Macky Sall. Il passera procureur de la République le 22 avril 2013.
Selon Me Barro, il restera aux ordres de l’exécutif tant que demeureront son mode de désignation (nommé par le chef de l’État) et sa relation hiérarchique avec la chancellerie.
Seneweb