Economie

Scandale dans le pétrole au Sénégal : de nouvelles révélations enfoncent le frère de Macky Sall et mouillent Karim Wade

Aliou Sall et Karim Wade
Aliou Sall et Karim Wade

«Le Scandale du siècle», «le plus grand scandale de toute l’histoire du Sénégal», «un scandale à 10 milliards dollars», les superlatifs n’ont pas manqué dans l’affaire des contrats pétroliers au Sénégal. Une histoire qui a tenu en haleine tout le pays et qui n’a pas fini de faire parler d’elle, malgré le nombre exorbitant de déclarations et de versions à ce propos. Et alors que plusieurs plaintes dorment dans les tiroirs des juges et procureurs, «Les Échos» est en mesure de démontrer qu’il y a bel et bien de quoi ouvrir un procès dans cette affaire. Pour comprendre ce qui s’est vraiment passé, il fallait ne pas se contenter de la seule version (publique) du petit-frère du président de la République Macky Sall, Aliou Sall, qui avait juré la main sur le Coran. Nous sommes alors allés fouiller pour tenter de comprendre ce qui n’a pas été dit. Nous avons découvert des choses insoupçonnables, jusque-là jamais révélées. Dans les prochaines lignes de ce texte, «Les Échos» vous dira comment l’ex gérant de Petro-Tim Sénégal, Aliou Sall, a été coincé par le enquêteurs, qu’il a tenté de duper avec des réponses les unes plus contradictoires que les autres. Nous vous dirons aussi ce que le Directeur général de Petrosen, Mamadou Faye, l’ancien Directeur général de Petrosen, Ibrahima Mbodji, la Directrice générale de Tullow Limited Sénégal, Awa Ndongo ont confié aux redoutables enquêteurs de l’Ofnac, dans le secret des auditions sur cette affaire. Mais aussi le rôle qu’a joué l’ancien tout-puissant ministre de l’Énergie, Karim Wade. 

Faisant face à la presse, la semaine dernière, pour «alerter sur la gestion du minerai de fer de la Falémé», le leader de Pastef-Les Patriotes n’a pu manquer de s’exprimer sur son sujet favori, le pétrole sénégalais et les nombreux scandales qui l’entourent. C’était pour dire à qui veut l’entendre que «cette affaire ne se décantera pas au Sénégal».

«J’ai appris ce matin que la farce organisée par le procureur a fini par blanchir Aliou Sall.  A quoi les Sénégalais s’attendaient ? J’ai refusé d’y participer parce que je savais que c’était une opération de blanchiment. Il est certes blanchi par le procureur de Macky Sall, mais qu’il ne pense pas qu’il s’échappe. Je ne peux pas donner les détails, mais, dans les semaines à venir, vous serez informés. Il y a une grande, très grande évolution sur le plan international. Ce sera le très grand camouflet de la justice sénégalaise, parce que ce dossier ne se décantera pas au Sénégal, quelqu’un a eu raison de dire qu’ils ne se promèneront pas dans certains pays. Pour ne pas entraver l’évolution de l’enquête, je ne peux pas donner certains détails, mais, ce qui est sûr, c’est qu’il n’en sortiront pas. Ce pays ne leur appartient pas, ils ne l’ont pas hérité de leurs parents. Il faut arrêter ce banditisme d’Etat. 15 millions de Sénégalais ne peuvent être sacrifiés parce qu’ils détiennent les pouvoirs», a dit Ousmane Sonko.

De leur côté, les membres du Comité de la renaissance démocratique (Crd) ont saisi le Doyen des juges d’instruction, lui demandant de fixer la consignation dans un délai d’une semaine dans le cadre de leur plainte contre Aliou Sall et Frank Timis. Le Crd, qui a évoqué plusieurs motifs, a laissé entendre que le cas contraire, la Chambre d’accusation sera saisie.

Devant cette léthargie sur une affaire d’une gravité aussi extrême, certains pourraient se demander s’il n’est pas venu l’heure de «brûler» toutes ces institutions censées être là pour le peuple et seulement pour le peuple. Pourtant, à côté des brebis galeuses, des institutions, peut-être moins exposées, font le travail qui est le leur. Dans cette affaire du scandale pétrolier, l’Office national de lutte contre la corruption (Ofnac) peut être mis dans cette catégorie.
D’ailleurs, sa présidente, Madame Seynabou Ndiaye Diakhaté, l’a laissé entendre, le 25 juin dernier, lors d’une sortie dans la presse. «Nous estimons avoir fait correctement notre travail, dans le respect de la loi. Si je devais contribuer à son travail, je lui aurais suggéré de saisir un juge d’instruction… A lui d’en tirer toutes les conséquences», avait-elle alors déclaré concernant le procureur.
Aujourd’hui, «Les Échos» est en mesure de confirmer la présidente Seynabou Ndiaye Diakhaté que son institution a effectivement fait sa part du travail dans le cadre de cette affaire. Mieux, nous sommes en mesure de rapporter ce que quatre personnes, impliquées d’une manière ou d’une autre dans ce scandale, ont dit aux enquêteurs de l’Ofnac. Nous allons vous proposer en exclusivité les réponses que ces personnes ont servies aux enquêteurs de l’Ofnac lors de leurs auditions. Il s’agit de l’ex gérant de Petro-Tim Sénégal Aliou Sall, du Directeur général de Petrosen, Mamadou Faye, de l’ancien Directeur général de Petrosen, Ibrahima Mbodji et de la Directrice générale de Tullow Limited Sénégal, Awa Ndongo. Des auditions marquées parfois par des contradictions profondes et des révélations qui ont dû faire les gros titres du rapport de l’Ofnac qui a été remis au procureur de la République.

Pour ce qui le concerne, Aliou Sall a d’abord été questionné sur sa rémunération mensuelle qui avait surpris plus d’un. Et dès l’entame, une première surprise. En effet, à la question : «en tant que gérant de Petro-Tim Sénégal, de combien était votre rémunération mensuelle ?», Aliou Sall répond : «au début, j’ai reçu la somme de 12 millions (12.000.000) de francs Cfa, puis ma rémunération a été partagée en deux, à savoir trois millions (3.000.000) de francs Cfa payés localement et dix millions (10.000.000) d’honoraires de conseil». Une réponse qui vient remettre en question la déclaration que le maire de Guédiawaye avait tenue lors de sa conférence de presse du 3 juin 2019.

Face à la presse, le 3 juin dernier, Aliou Sall a avoué avoir empoché un tel montant (25.000 dollars, suite aux révélations de la Bbc), s’empressant d’ajouter qu’il n’y a rien d’illégal dans ce traitement salarial. «Ce salaire n’est en rien illégal et est conforme à la pratique dans le milieu du pétrole et du gaz… Certains gagnaient plus que moi, d’autres touchaient la même chose et d’autres un peu moins». Il y a deux problèmes sur ce point. Premièrement, Aliou Sall a vraisemblablement omis de préciser aux journalistes que le salaire de 12 millions était passé à 13 millions. Alors que le deuxième oubli à propos du salaire résulte du fait que le petit-frère du Président n’a jamais évoqué le terme d’«honoraires de conseil» depuis le début de cette affaire. En tout état de cause, cette réponse de Aliou Sall aux enquêteurs semble confirmer une autre déclaration : celle de l’ancien patron de la communication de la Présidence, El Hadji Hamidou Kassé, sur cette affaire. Sur le plateau de Tv5Monde, le 20 juin 2019, le ministre et conseiller du Président sénégalais a affirmé que 250.000 dollars ont été versés sur le compte d’Agritrans, une société appartenant à Aliou Sall, pour une «mission de consultation».  S’agit-il de la même chose ? En tout cas, les deux termes peuvent être mises dans un même sac.

Sur les droits et obligations contractuels de Petro-Tim Ltd à l’égard de Petrosen, à la suite de l’«achat symbolique» de Petro-Tim Ltd par Timis Corporation Ltd, Aliou Sall dira que «Kosmos en a hérité, conformément aux dispenses de l’ordonnance d’approbation susmentionnée». Une réponse qui a surpris les enquêteurs, qui lui ont rappelé que lors de sa première audition, il avait dit qu’il ignorait totalement les modalités des ventes de Petro-Tim Limited et de Timis Corporation Limited et que ces transactions ont été conclues entre Petro-Asia Limited et Timis Corporation. «Je veux dire que je ne connais pas les conditions des négociations. Cependant, j’ai été engagé par le contrat qui a été signé, en qualité de représentant local», répond-il cette fois-ci.

Là les enquêteurs reviennent à la charge, lui faisant savoir qu’il est clair qu’il s’agit du futur contrat de prospection et de passation de contrats d’hydrocarbures. Il est clair que ce contrat a été signé par M. Wong Joon Kwang, représentant de Petro-Tim Ltd, et non par Petro-Asia Limited, comme lui le prétend. Sa réponse : «Petro-Tim Limited est une entité détenue à 100% par Petro-Asia et agissait pour le compte de Petro-Asia».

«Le numéro de commande 12328 du 08/04/2014 ne fait pas référence à ‘’l’achat symbolique’’ de sociétés, mais plutôt à l’ensemble des droits et intérêts détenus par Petro-Tim Ltd. En outre, lors de l’exécution de cette commande, un contrat entre Petrosen, Petro-Tim Limited et Petro-Tim Sénégal Limited (dont vous êtes le responsable) et Timis Corporation Limited est mentionné. Comment pouvez-vous expliquer cela ?», lui demande-on. Aliou Sall de répondre qu’il n’a pas participé aux négociations pour le transfert d’actifs : «je ne peux pas confirmer les termes de l’achat symbolique», dit-il.

Mais en répondant ainsi, Aliou Sall ne savait peut-être pas que les hommes qu’il avait en face de lui avaient toutes les informations nécessaires. Les enquêteurs ont alors enchainé avec une question KO qui mettra à terre l’ancien Directeur général de la Cdc.
Les enquêteurs lui ont en effet fait comprendre qu’en sa qualité de gérant de Petro-Tim Sénégal, son nom a été mentionné dans le contrat en tant que partie à part entière à ladite vente. Avant de lui reposer la question «persistez-vous à dire que vous n’êtes pas au courant de cette transaction ?» Grande a été leur surprise quand Aliou Sall a encore répondu : «je maintiens que je suis totalement inconscient des conditions du transfert».

Les enquêteurs poursuivent : «M. Frank Timis était également propriétaire de Timis Corporation Ltd. Nous imaginons que Petro-Tim avait acheté une licence de prospection, qui serait ensuite transférée à Timis Corporation Ltd, qui transférerait (moyennant un prix) 60% de ses actions à Kosmos Energy Sénégal, après quoi les 30% vous reviendraient. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?» Sur ce point, Aliou Sall, qui dit n’être actionnaire de Petro-Tim, répond qu’il ne peut pas fournir des documents à ce propos.
Se sachant sur la bonne voie, les enquêteurs révèlent : «nos enquêtes ont révélé que la plupart des sociétés enregistrées sous votre nom avaient été créées en 2012, à la même date que la création de Petro-Tim Sénégal». Et de lui poser la question de savoir s’il existe des relations commerciales entre ses propres entreprises et celles qu’il gère. «Pas de relations», répond-il.

Sur la question de savoir s’il connaissait une régularisation de la procédure d’attribution des blocs Saint-Louis Offshore et Cayar Offshore à Petro-Tim Limited, sa réponse est beaucoup plus intéressante. «Je sais qu’à un moment donné, les dirigeants de Petro-Tim ont demandé une copie de l’avis du ministre des Finances (un avis qui faisait partie de la procédure d’approbation des contrats). Il me semble que la date limite fixée pour la réponse du ministre des Finances ayant expiré, ce document n’était plus nécessaire».
Mais ce que Aliou Sall a peut-être tenté de cacher aux enquêteurs, d’autres le leur diront. Parmi ceux-ci, l’ancien Directeur général de Petrosen, Ibrahima Mbodji, qui a fait de graves révélations dans le dossier. Interpellé sur l’existence d’une procédure de pénalité dans le cadre des contrats, l’expert-comptable de profession dira qu’à sa connaissance, il y a eu un cas où l’attribution d’une licence n’a jamais respecté cette procédure. C’est le cas du contrat pour Saint-Louis Offshore et Cayar Offshore attribué à Petro-Tim Limited.

«Dans cette affaire, lors d’une audience avec l’ancien ministre d’État Karim Wade, ministre superviseur, l’année dernière, en 2012, Karim Wade m’a demandé de proposer à la société Petro-Tim Ltd les meilleures conditions contractuelles en notre faveur au Sénégal obtenues pour les contrats en cours. Je lui ai rappelé que ces deux blocs ciblés faisaient déjà l’objet de négociations très avancées avec la société Tullow Oil. Il m’a dit que ces négociations avaient pris beaucoup de temps et que l’exploration du bassin sédimentaire devait être accélérée. Suivant ces instructions verbales, un contrat assorti des meilleures conditions contractuelles a été envoyé à Petro-Tim Ltd, qui l’a accepté sans aucune négociation. Il n’y a jamais eu de négociations directes entre Petro-Tim Ltd et Petrosen. J’ai vu le responsable de Petro-Tim Ltd – M. Wong – dans mon bureau, le jour de la signature du contrat, en présence de mon conseil juridique, Aïssatou Sy. C’est la procédure qui m’a été imposée par le ministre de tutelle, le ministre d’Etat Karim Wade. En ce qui concerne la signature d’un contrat, la composition de l’équipe n’est pas formelle. Nous pouvons inviter les responsables de l’exploration et de la promotion, le conseiller juridique et peut-être les agents du ministre chargé de la supervision», répond Monsieur Mbodji. Et d’ajouter : «c’est la première fois que nous signons de cette manière, car le ministre m’a confié le traitement confidentiel du dossier. Il m’a même demandé de travailler sur le dossier avec le seul responsable de la promotion et mon conseiller juridique».

Plus loin, Ibrahima Mbodji reconnaitra avoir enfreint les dispositions du décret 98-810 prévoyant un processus de négociation de bonne foi. «Il va sans dire que le processus n’a pas été respecté. Dans ce dossier, je n’avais pas les moyens de respecter le processus établi ou de le faire respecter», dira-t-il à ce propos.

Par la suite, les enquêteurs lui ont demandé si les contrats qui ont été approuvés par l’actuel président de la République sont les mêmes que ceux précédemment signés par le ministre d’État Karim Wade et le Président Abdoulaye Wade. «Mais, vu que les décrets portant approbation de ces contrats n’avaient pas été officiellement enregistrés, avant le second changement, le ministre de l’Énergie de l’époque, Aly Ngouille Ndiaye, à la suite d’une enquête menée par l’Ige à sa demande, avait préparé et réintroduit de nouveaux décrets qui étaient approuvés par l’actuel président de la République», dit-il.

Une version que semble corroborer la déposition de Mamadou Faye, actuel Directeur de Petrosen. Interpellé sur l’attribution des licences de prospection, de partage et de production d’hydrocarbures pour les blocs de Saint-Louis Offshore et Cayar Offshore, et le rôle qu’il a joué dans ces négociations, Faye note que c’est lors d’une réunion avec le Directeur d’alors, M. Ibrahima Mbodji, qu’il a été informé de la signature de contrats pour Deep Saint-Louis offshore et Deep Cayar Offshore avec Petro-Tim Limited. «J’ai été très surpris, car, jusqu’en mars 2012, nous étions toujours en négociation avec la société Tullow Oil et nous n’avons à aucun moment envisagé de négociations avec la société Petro-Tim. C’était la première fois que j’entendais parler de cette entreprise», a fait savoir Mamadou Faye.

Pour la dame Coumba Ndongo, il s’agit d’abord de faire sa présentation. «Je suis une informaticienne qualifiée et j’ai créé une société appelée Burocom, dont les services sont essentiellement centrés sur la maintenance et l’assistance technique dans le secteur des ordinateurs et des réseaux», a-t-elle confié. Et l’on pourrait se demander ce qu’une informaticienne faisait dans le pétrole. La réponse se trouve dans la suite de sa réponse. En effet, Madame Ndongo était, au même moment, organisatrice d’événements. C’est d’ailleurs en tant que telle qu’elle a organisé la «Foire du pétrole, du gaz et des mines», en partenariat avec Petrosen, en 2003, sous la supervision du ministre de l’Énergie et des Mines d’alors, M. Macky Sall. «À cette occasion, une société sud-africaine dénommée Energy Africa Limited a signé un accord avec Petrosen pour la prospection et l’exploration pétrolières dans un bloc offshore appelé Saint-Louis Offshore. Comme la société de signature ne pouvait pas ouvrir de filiale locale, j’ai été désignée comme bureau de contact chargé de recevoir et de transférer les courriers», a-t-elle ajouté.

Sidy Djimby NDAO Pour Les Échos

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