Mabingué Ngom, Fnuap: « l’islam encourage l’espacement des naissances »
Les leaders religieux font ils obstacle à l’espacement des naissances en Afrique ? De moins en moins, affirme le Sénégalais Mabingué Ngom, qui dirige le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
RFI : Dans l’agenda du Caire 1994, il y avait notamment la régulation des naissances. N’est-ce pas un échec ?
Mabingué Ngom : Je ne peux pas l’appeler une régulation des naissances, mais en tout cas une maîtrise de la variable population. C’est vrai que des progrès ont été faits. Mais nous avons énormément à faire, surtout en Afrique au sud du Sahara, particulièrement autour du bassin du lac Tchad. D’ailleurs, je rentre de Niamey, où j’ai eu l’occasion de visiter un peu la région de Tillabéri et j’ai vu moi-même l’acuité des problèmes, une région où les femmes continuent à avoir plus de six enfants. Donc visiblement, nous avons encore énormément à faire. Et je dois avouer que, dans le domaine par exemple de la mortalité maternelle, malheureusement nous avons toujours plus de 640 femmes qui perdent la vie en donnant la vie, pour 100 000 naissances vivantes, alors que le monde aujourd’hui a toutes les avancées qui pourraient quand même nous permettre d’éviter un peu ces décès maternels.
Ces décès maternels sont causés par le mariage des enfants et par les grossesses précoces ?
Tout à fait pour dire que c’est la question du croît démographique qui continue à tirer l’Afrique vers le bas. Et malheureusement, c’est un agenda qui n’est pas très bien financé, qui n’est pas très bien soutenu par la communauté internationale, même si aujourd’hui nous voyons un engagement un peu militant des pays eux-mêmes.
Pourquoi dites-vous que les leaders religieux comptent beaucoup dans votre action de planification familiale auprès des populations locales ?
Ce sont des partenaires extrêmement importants que nous avons souvent négligés, mais avec qui nous travaillons aujourd’hui la main dans la main pour amplifier des actions que nous faisons. Nous croyons fermement à un partenariat multi formes : les religieux, les parlementaires, les gouvernements, les jeunes, les femmes, les vieux, le secteur privé. Je pense que la participation de tous les pans de la société est importante. Mais les leaders religieux constituent un pan extrêmement important pour une réponse stratégique et durable.
Donnez-moi un exemple…
Je peux parler par exemple des Mourides au Sénégal. Lorsque le marabout donne un message à la fin de la prière le vendredi, vous n’avez pas besoin de le répéter, c’est un message qui sera suivi au niveau des communautés.
Mais les leaders religieux, dans leur grande majorité, est-ce qu’ils ne sont pas hostiles à toute planification familiale ?
Oui. C’est une situation qui est en train de changer. Si je prends l’exemple des 1 700 religieux que nous avons eu l’occasion de réunir à Ndjaména, il y a de cela deux ans, c’était extraordinaire de voir un peu le soutien et qu’ils puissent dire que l’espacement des naissances est encouragé par l’islam. C’est le genre de messages qui porte. À Dakar récemment, ils ont également fait une fatwa contre le mariage des enfants. Donc vous voyez un peu, à cela maintenant s’ajoutent des leaders, comme le président [nigérien Mahamadou] Issoufou qui a déclaré il y a de cela quelques semaines à Niamey, par exemple, que marier une fille de 13 ans était de la pédophilie [Il a dit « Marier une fille a l’âge de 12 ans, c’est promouvoir la pédophilie »]. Aujourd’hui en Afrique, il y a un mouvement assez fort de tous bords pour régler ces questions. Et nous avons donc un élan que la communauté internationale se doit d’accompagner de façon décisive.
Et ces résistances à la planification, vous les rencontrez plus dans les sociétés à majorité chrétienne ou musulmane ?
Je pense que c’est dans les deux. Je vois d’ailleurs que c’est la même résistance parce que je la trouve quand je vais dans un pays comme le Bénin, où le clergé sort régulièrement la lettre épiscopale pour s’attaquer à ces questions-là ; de la même façon, dans certaines sociétés musulmanes, nous voyons un peu le même type de résistance, mais nous pensons qu’avec le dialogue, nous arrivons à convaincre un peu ces religieux. Je dois d’ailleurs dire qu’avec les musulmans par exemple, nous avons développé un argumentaire pour expliquer tous les passages du Coran qui sont en faveur de l’espacement des naissances. Il faut travailler avec eux sur ce terrain, mais également montrer les évidences, les aider un peu à comprendre qu’une famille de dix, vingt ou trente personnes, c’est vraiment quelque chose qui ne peut pas marcher.
Vous êtes allé à Mopti au centre du Mali. Pourquoi ce déplacement, est-ce pour montrer que vous ne baissez pas les bras, même dans les régions sous la pression des jihadistes ?
Oui. Comme vous le savez, le Mali, le Niger et le Burkina Faso constituent un peu l’épicentre de cette fameuse crise du Sahel. Il est donc tout à fait normal que nous puissions quand même nous rendre sur le terrain. Et nous avons beaucoup appris, nous avons vu un peu les véritables problèmes, y compris les problèmes transfrontaliers qu’il faut régler pour freiner un peu la montée du terrorisme.
Il y a maintenant, aux confins du Burkina Faso, du Niger et du Mali, des zones de non-droit. Est-ce que vous ne perdez pas du terrain dans cette région-là ?
Si. Nous accélérons les interventions en cours aujourd’hui pour garder présents les enfants à l’école, ce qui est un défi énorme parce que le ministre du Plan nous disait aujourd’hui que, seulement pour le Niger, chaque année pour aller à l’école, il y a 600 000 nouveaux élèves. Malheureusement, il n’y en a que 300 000 qui vont dans les classes. Vous avez raison. Il y a des problèmes qui sont en train de grossir, de s’agrandir et pour lesquels la réponse militaire n’est pas la seule solution. Il faut avoir une réponse qui est bien équilibrée. D’un côté, une réponse militaire parce que la protection est indispensable. Le Niger est aujourd’hui à plus de 18% de ces dépenses publiques pour la réponse militaire. Le Mali est à plus de 24%. Mais la conséquence immédiate, ce sont les prélèvements qui sont opérés sur les dépenses sociales. Donc, nous rentrons dans une spirale qui ne peut que créer des problèmes additionnels.