Santé

Sénégal : des hôpitaux indigents, faute de médecins

desMedecins Hôpital Régionale El Hadji Ibrahima Niass de KAOLACK
des Medecins Hôpital Régionale El Hadji Ibrahima Niass de KAOLACK

Ouestafnews – Le secteur sanitaire sénégalais fait face à une crise multiforme. Parmi les dysfonctionnements, il y a le manque de médecins spécialisés dans les régions de l’intérieur du pays. Retour sur une injustice qui compromet l’accès à la santé des Sénégalais.

Matinée du 8 octobre 2019. Une petite pluie tombe sur Kolda, région située à 730 km au sud-est de Dakar, avant de céder aussitôt la place à une forte chaleur. On est à Sikilo. Dans ce quartier excentré de la ville, où on arrive en moto-taxi, un tapis verdâtre couvre les alentours de collège Doumassou Plateau. Ici on retrouve Thierno Ka (nom d’emprunt) en pleine conversation avec ses collègues enseignants et quelques parents, venus s’enquérir des inscriptions, pour la nouvelle année académique.

De vu, aucun signe ne montre que Thierno Ka souffre de l’hypertension. Et pourtant, cet enseignant de profession a été diagnostiqué «hypertendu» depuis 19 ans. C’est pourquoi d’ailleurs on parle de cette pathologie comme d’un «tueur silencieux». Malchance pour Ka, Kolda manque de cardiologue. Pourtant, la ville dispose d’un hôpital dit de «niveau 2».

D’après les précisions du décret n° 2009-521 du 4 juin 2009, relatif à la carte sanitaire du Sénégal, un hôpital de niveau 2 est un établissement régional public dénommé centre hospitalier régional «dont les capacités sont fixées en médecine, chirurgie, gynéco-obstétrique et pédiatrie», mais aussi en activité de médecine préventive, d’éducation pour la santé et leur coordination, etc.

Les hôpitaux de niveau 3 sont eux des établissements nationaux qui comptent plus de spécialistes, en plus d’avoir des missions d’enseignement et de recherche, d’après le décret précité.

Le centre hospitalier régional de niveau 2 de Kolda, est loin des standards précités, comme en atteste l’absence d’une spécialité pointue comme la cardiologie.

Pour se faire traiter, M. Ka a pendant un moment été suivi par un cardiologue établi à Ziguinchor (principale ville du sud du Sénégal, distante de 186 Km de Kolda) mais qui venait de temps à autre soulager les patients de Kolda. L’absence de cardiologue, Kolda en souffre depuis 2016, ce qui désole visiblement Thierno Ka.

«L’hôpital régional de Kolda peut même avoir un statut sous régional, vu que nous sommes dans une région frontalière», soutient-il. Situé dans le sud-est du Sénégal, Kolda est à cheval entre la Gambie au nord et la Guinée Bissau et la Guinée Conakry, au sud.

C’est à la suite «de quelques traitements à l’hôpital régional de Kolda qu’on m’a recommandé d’aller voir un cardiologue parce que les signes persistaient», raconte l’enseignant.

Traînant avec patience son mal, M. Kâ s’est même vu prescrire en 2018 un examen de coronographie par le directeur de l’hôpital de Kolda qui avait soupçonné quelques lésions coronaires. Ce qui avait nécessité obligatoirement un déplacement vers la capitale Dakar notamment au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Fann.

Dans l’enceinte de l’hôpital régional de Kolda, nous retrouvons Baillot Sy, un technicien anesthésiste encore dans son bureau au crépuscule. L’absence de spécialistes, M. Sy en parle ouvertement.

«Il y avait un cardiologue qui faisait la navette entre Ziguinchor et Kolda mais il a arrêté depuis (…) et malheureusement il y a beaucoup de cas de maladies cardiovasculaires à Kolda», déplore-t-il.

Le statut quo impose donc un jeu d’équilibre. «Nous essayons de ‘gérer’, mais si (la situation) nous dépasse parfois, on évacue carrément les patients à Dakar où à Ziguinchor», confesse-t-il.

L’absence de cardiologue n’est en réalité qu’un des signes du déficit de médecins spécialistes dans cette région qui jusqu’en en février 2019, n’avait pas de gynécologue.

A l’hôpital régional de Kolda, l’inventaire des spécialistes donne le tableau suivant : deux gynécologues, un pédiatre, un radiologue, un chirurgien généraliste, un urologue, un orthopédiste, spécialiste ORL, un néphrologue (qui n’a pas encore pris fonction car son unité n’est pas encore fonctionnelle). Soit neuf médecins spécialistes en fonction, alors qu’on compte plus d’une cinquantaine de spécialités médicales.

Toutefois, selon des sources médicales, le nombre de spécialistes dans un hôpital ou une structure de sante dépend de nombreux paramètres allant de la capacité d’accueil, à la vocation de l’établissement. Difficile donc de dire quel serait le nombre acceptable de spécialités que l’on pourrait retrouver dans les hôpitaux. Mais les syndicalistes du secteur de la santé s’accordent à dire que pour un bon service dans les hôpitaux régionaux, il existe un certain nombre de spécialités prioritaires dont il est difficile de se passer (gynécologue, pédiatre, cardiologie, urgentiste).

Technicien supérieur de santé, présent depuis cinq ans à l’hôpital régional de Kolda, M. Sy nous révèle également l’absence d’un médecin anesthésiste et d’un médecin réanimateur.

Au total, 23 médecins exercent à Kolda, selon Moustapha Dieng, point focal des ressources humaines de la région médicale de Kolda. Ce qui est dérisoire au regard de la taille de la population estimée à 796.582 habitants, selon les chiffres de l’Agence nationale de la Statistique et de la démographie (ANSD).

Les normes de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en matière de personnel de santé sont d’un médecin pour 5.000 à 10.000 habitants, un infirmier pour 300 habitants et une sage-femme pour 300 femmes en âge de reproduction. La région de Kolda est en deçà. On a un médecin pour 32 785 habitants et une sage-femme pour 4.480 femmes en âge de reproduction.

Non seulement le Sénégal ne compte pas suffisamment de médecins spécialistes, mais encore leur répartition inéquitable à l’échelle du territoire nationale pose problème.

Répartition déséquilibrée

La carte sanitaire du Sénégal présente une forte disparité. La capitale, Dakar concentre la quasi-totalité des établissements publics de santé dits de niveau 3.

La situation qui prévaut dans la région de Kolda n’est pas unique. Toutes les autres régions périphériques partagent le même sort. Le voisin le plus proche de Kolda, Sédhiou (90 km) souffre aussi d’un manque criard de médecins spécialistes. Erigée en région en 2008, la région de Sédhiou ne compte que trois médecins spécialistes (chirurgien, gynécologue et anesthésiste) pour une population estimée à 553.005 habitants en 2019.

Situé à 739 kilomètres Dakar via la route nationale n°1, la région de Kédougou (sud-est), érigée en région en 2008, n’est dotée que d’un «centre de santé» avec une capacité d’accueil des urgences «très réduite», souligne le syndicaliste Abdoulaye Cissokho, joint au téléphone par Ouestaf News.

«En lieu et place d’un médecin urgentiste, ce sont les infirmiers qui s’occupent des urgences», renchérit ce représentant local du Syndicat unique des travailleurs de la santé et de l’action sociale (Sutsas).

Une situation tellement décriée que le ministère de la Santé a finalement promis début novembre 2019 d’y affecter dans «les plus brefs délais», un pédiatre et un médecin chef.

En attendant la réalisation de cette promesse, Kédougou devra se contenter de ses trois spécialistes (chirurgien, dentiste, gynécologue) auxquels s’ajoutent trois médecins généralistes.

Le 28 novembre, lors du vote du budget du ministère de la Santé par l’Assemblée nationale, les critiques et les récriminations adressées au ministre ont essentiellement tourné autour du manque de spécialistes à l’intérieur du pays.

Au gré des plaintes formulées par les députés on apprend que l’hôpital de Tambacounda est dépourvu d’ophtalmologue et d’orthopédiste. Situé dans l’est du pays, à 400 km de la capitale, la région ne dispose pas actuellement de chirurgien, selon la députée Awa Diagne. Kaolack pour sa part souffre actuellement de l’absence d’un ophtalmologue et d’un orthopédiste, selon les griefs formulés par les parlementaires.

Sans se risquer dans des promesses chiffrées, le ministre de la Santé et de l’Action sociale, Abdoulaye Diouf Sarr a simplement répondu aux députés en disant que le gouvernement va «essayer de trouver les meilleurs solutions possibles».

Dans une interview avec le quotidien «Le Soleil» (pro-gouvernemental), le ministre de la Santé et de l’Action sociale avait annoncé la mise en place d’une commission qui allait travailler en octobre et décembre 2019 sur «un plan de résorption des spécialistes dans les zones déficitaires et d’une manière générale des ressources humaines».

«Là, où il y a au moins un pédiatre, on devrait en avoir quatre, parce que chaque année, chacun a droit à un congé (…)», soutient le syndicaliste Mballo Dia Thiam dans un entretien accordé à Ouestaf News.

Faiblesses de l’Etat

Derrière la désertion des soignants, d’aucuns avancent des raisons pécuniaires notamment une faible motivation salariale.

Pour le point focal des ressources humaines à la Région médicale de Kolda, Moustapha Dieng, il y a «une question de gestion des ressources humaines» dans le secteur de la santé.

Le technicien anesthésiste Baillot Sy dénote lui un manque de «politique d’attraction». «Il y a une démotivation sur le plan financier et il y a aussi le facteur de l’éloignement géographique», estime-t-il. Au-delà de l’aspect financier, le syndicaliste Mballo Dia Thiam pose la question des moyens matériels.

«Il y a un défaut d’équipement (dans les hôpitaux régionaux). Et si vous êtes spécialiste, vous devez avoir les équipements qu’il faut pour faire votre travail », estime-t-il, tout en indiquant qu’il y a un déficit «chronique en ressources humaines».

Aujourd’hui dans les établissements publics de santé, il y a «plus de contractuels que d’agents du public», confie le syndicaliste. «L’Etat pour remplir ses devoirs régaliens doit disposer de ses propres agents et non des contractuels qui sont dans la précarité», indique-t-il.

Cette absence de médecins spécialisés dans les régions n’est que la «faiblesse» de l’Etat dans la mesure où, en général, les médecins spécialistes ont bénéficié d’une bourse de l’Etat, note le technicien anesthésiste Baillot Sy. «On les forme, à la sortie, on les recrute. On les affecte à Kolda et ils vous disent ‘’je ne pars pas’, ’et on les réaffecte» dans une autre région.

ON/mn/ts

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