Interview

Situation du pays, dialogue national, 3éme mandat de Macky Sall: Cheikh Bamba Diéye crache ses vérités

Cheikh Bamba Diéye
Cheikh Bamba Diéye, sg fsd/bj

n retrait dans sa ville de Saint-Louis, Cheikh Bamba Dièye nous a accordé cette interview dans laquelle il dénonce le «spectacle affligeant» d’attitudes puériles, de banalités et de dérives qu’offrent les politiciens, y compris des opposants, dont il «déteste» les querelles récentes (Mamadou Lamine Diallo-Decroix). Ayant reçu la visite de son ami Khalifa Sall, Cheikh Bamba Dièye confirme leur dynamique unitaire pour  «contribuer à abréger les souffrances des Sénégalais». Candidat à la mairie de Saint-Louis, il réduit la gestion de Mansour Faye à la triptyque : incompétence, indolence, clanisme. De même, il fustige la «cruauté» de l’Etat qui laisse la brèche ouverte à la Langue de Barbarie continuer à tuer des centaines de jeunes. Sur la hausse des prix, il affirme que le «pire est toujours à craindre, lorsque le cynisme est érigé en mode de gouvernance». Considérant que la Constitution a clos le débat sur une 3ème candidature de Macky Sall, pour lui, ce serait un «coup d’Etat constitutionnel» auquel les Sénégalais feront face, le cas échéant. Pour le dialogue national qu’il renie, il pense que l’opposition qui y participe sera juste le dindon de la farce que Macky Sall sert quand il veut porter un coup à la démocratie.

Les Echos : On vous entend de moins en moins ces derniers temps. Qu’est-ce qui explique cette posture ?

Cheikh Bamba Dièye : Ce n’est pas qu’on ne m’entend plus, mais je suis devenu plus regardant sur les sujets qui nous interpellent. Pour un pays pauvre, gangrené par le vol, la corruption et le déni de droit, l’étalage d’insouciance qui nous caractérise me sidère. Les invectives, les insanités, le mensonge, le folklore et les attitudes puériles sont devenus le menu préféré des politiciens et apparemment, les gens adorent les voir se comporter de la sorte. Ce spectacle affligeant de banalités occupe les plateaux et remplit les pages des journaux. Je constate pour m’en désoler cet état de fait. Je ne puis m’autoriser la liberté de participer à cette dérive. C’est pour cela que je suis en retrait. Dans mes moments de communication, j’insiste beaucoup sur un recentrage sur nos vraies priorités. Le débat national doit être focalisé sur la situation désastreuse du pays, sur les manquements, sur les retards cumulés et sur les injustices récurrentes que nous subissons.

Vous parlez de spectacle affligeant. On a vu des leaders de l’opposition se tirer dessus. Comment appréciez-vous ces querelles ?

J’ai détesté ce spectacle. A mon avis, cela a fait un grand tort à l’opposition. Il faudra que les uns et les autres apprennent à se faire violence pour cohabiter en bonne intelligence. Cela commence par le respect de l’autre. La retenue doit être toujours de rigueur. Il n’est nul besoin de se quereller pour faire prévaloir ses idées. La pensée unique et le ralliement obligatoire aux positions d’une partie de l’opposition sont de nature à désagréger la solidarité et l’unité de l’opposition. Je préfère de loin voir les acteurs politiques s’opposer sur les solutions à apporter aux vrais problèmes qui assaillent le quotidien du Sénégalais. Sûrement que le pouvoir et Macky Sall en premier doivent se frotter les mains. Apres avoir malmené le processus électoral, ils nous ont imposé les élections les plus iniques de notre histoire politique. Aujourd’hui, ils observent à distance l’opposition se crêper le chignon sur des détails très éloignés des préoccupations des Sénégalais. Et avec le pseudo dialogue national, nous leur avons donné la possibilité de renvoyer les élections aux calendes grecques en maintenant, en toute illégalité, les exécutifs locaux alors que des délégations spéciales étaient de rigueur. Sous ce rapport, nous faisons absolument le jeu du pouvoir et c’est bien dommage.

Khalifa Sall vous a rendu visite jusque chez vous à Saint Louis. Qu’est-ce que vous vous êtes dit ?

Khalifa Sall est un ami et un compagnon. Ce n’est un secret pour personne que je me suis beaucoup investi pour dénoncer et combattrel’injustice dont il a été la victime. Les Sénégalais connaissent mon engagement pour la justice et l’État de droit. Me concernant, la politique ne doit jamais cesser d’être un sacerdoce, un combat de vérité, un engagement à servir le Sénégal et tous les Sénégalais. La visite surprise de courtoisie de Khalifa ne surprendra personne. Elle a été une occasion pour raffermir nos liens et nous  rappeler le sens de notre action politique. C’est dans la difficulté et les épreuves que l’on arrive à distinguer le bon grain de l’ivraie. Par la grâce de Dieu, nous sommes tous encore là et plus déterminés à aider notre pays. Pour le reste, l’avenir nous édifiera.

Allez-vous maintenir votre alliance pour les prochaines échéances électorales, notamment les élections locales ?

Très certainement, puisque nous avons eu à surmonter ensemble des moments plus difficiles. Sauf imprévu, je crois certainement que tous, bien au-delà de nos entités respectives, nous nous retrouverons dans de grandes alliances pour contribuer à abréger les souffrances des Sénégalais. Les prochaines échéances seront un bon galop d’entraînement.

Serez-vous candidat à la mairie de Saint-Louis que vous avez déjà eu à diriger ?

Bien sûr que je serai candidat. Pour l’avoir dirigée avec des résultats probants. Et surtout riche de l’expérience par le vécu que les Saint-Louisiens ont acquis. Maintenant, ils savent qui est qui. Ils ont les moyens objectifs de procéder à des comparaisons entre les hommes et entre les équipes. Le moment venu, ils sauront, à ne pas en douter, faire la différence entre la qualité de ma gestion et l’état végétatif dans lequel l’incompétence de l’équipe actuelle a plongé la ville.

Vous êtes dur avec l’équipe actuelle…

Incompétence, indolence et clanisme sont les mots qui déterminent la gestion actuelle de la ville de Saint Louis. Aujourd’hui, les Saint-Louisiens vivent au quotidien tout l’aventurisme dans lequel ils ont  été plongés. En partant, je leur avais laissé une enveloppe de 25 milliards de projets bouclés et financés. Il ne restait que l’exécution. Monsieur le Maire et son équipe ont été incapables de faire avancer ces programmes, au point que, malgré la famille, l’Etat a été bien obligé de récupérer le volet le plus important de ces projets, soit 17 milliards, pour le confier à l’Apix. Le reste du tableau est encore plus calamiteux. Une ville comme Saint-Louis ne mérite pas un tel niveau d’incompétence.

Saint-Louis est une ville en pleine mutation, et l’exploitation gazière risque de modifier la principale activité économique qu’est la pêche…

Vous me donnez l’occasion encore un fois d’alerter. Depuis très longtemps, je demande à l’État du Sénégal de faire preuve de respect à l’endroit des populations de la Langue de Barbarie. La brèche sur cette bande de terre a causé la mort de plus de 450 Sénégalais âgés entre 16 et 35 ans. On peut même ne plus parler de priorité, car partout ailleurs dans le monde, sauf au Sénégal, une telle hécatombe aurait fait réagir. Il faut moins de 150 milliards pour stabiliser la brèche, construire une digue de protection digne de ce nom et reloger les populations impactées. Si l’on considère que nous avons un budget de 4000 milliards chaque année et que nous avons gaspillé plus de 800 milliards dans une bêtise comme le TER, que nous allons lancer un BRT à 300 milliards avec les travaux sur la VDN à plus 100 milliards, les termes mépris et cruauté sont les plus appropriés pour qualifier l’indifférence de l’État du Sénégal face à la tragédie qui perdure sur la Langue de Barbarie.

Macky Sall refuse de se prononcer clairement sur sa volonté de briguer ou non un 3ème mandat. Sa position vous surprend-elle ? 

Ce débat n’a pas lieu d’être puisque c’est le président de la République lui-même, à travers le vote de la nouvelle constitution et par ses déclarations, qui a tué ce débat. Un troisième mandat consécutif ne peut et ne saurait exister au Sénégal. Son refus de se prononcer aussi importe peu puisque nous l’avons déjà entendu sur ce sujet. Je ne vois pas pourquoi les stratégies internes à l’Apr doivent nous préoccuper. Si en 2024, Macky Sall pose sa candidature, alors nous aviserons. En ce moment, il ne s’agira pas d’un troisième mandat, mais d’un coup d’Etat constitutionnel auquel nous devrons faire face.

Il y a de plus en plus de hausses de prix dont celle récente du prix de l’électricité. Faut-il craindre le pire…?

Au-delà de la hausse, c’est le coût de la vie qui est devenu insupportable pour les ménages sénégalais. Cette situation est d’autant plus inacceptable que les populations subissent la double peine. Non seulement elles sont oubliées dans les politiques publiques mises en place, mais elles doivent payer les contre-performances et les échecs imputables au gouvernement du Sénégal. Le secteur de l’eau et de l’électricité sont en crise et ce sont les Sénégalais qui doivent en payer le prix fort. Le pire est toujours à craindre lorsque le cynisme est érigé en mode de gouvernance et que l’on ne se fixe aucune limite pour saigner à blanc les populations.

Quelle est votre position par rapport au dialogue national qui a démarré officiellement ce mardi ?

Je ne participe pas au dialogue, je ne crois pas à ce dialogue. Je le trouve inutile et très dangereux pour l’opposition qui risque d’y perdre sa crédibilité. Elle sera malheureusement le dindon de la farce politicienne que le président de la République sert aux Sénégalais chaque fois qu’il a besoin de temps et d’espace pour martyriser la démocratie. Pour faire avancer la démocratie et le processus électoral, il faut simplement de la volonté politique. Nous n’avons pas besoin de dépenser toute cette énergie, autant d’argent et de perdre tout ce temps à dialoguer. En une heure, le moins doué des acteurs politiques peut proposer la réforme salutaire que nous tous attendons.

Entretien réalisé par Mbaye THIANDOUM – Les Echos.

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