Gestion du Coronavirus : qu’est ce qui ne marche plus dans le model sénégalais ?
Un virage à 360 degré! C’est ce que semble avoir fait le président Macky Sall à propos des mesures restrictives prises pour barrer la route au coronavirus.
En début de semaine, Macky Sall a desserré l’étau autour du virus émergent en rouvrant les lieux de culte. Aussi, les élèves qui sont en classe d’examen, ont appris qu’ils devraient reprendre le chemin des classes le 02 juin. Les marchés qui étaient fermés seront accessibles six jours sur sept. De quoi faire jaser, d’autant plus que l’heure n’a jamais été aussi grave.
À la date du 11 mai, le Sénégal enregistrait 1.886 cas, dont 715 guéris, 19 décès et 1.115 sous traitement. Peut-on dès lors parler d’attitude défaitiste ou démissionnaire du chef de l’État ? Selon le fondateur d’Africa Jom Center, il ne faut pas pousser le bouchon aussi loin.
Alioune Tine trouve que le Chef de l’État n’a pas essayé de concilier les différents secteurs de la population pour une solution qui ne léserait personne. « Macky n’a pas essayé de mettre en dialogue les médecins, les commerçants et certains religieux pour qu’ils mettent en musique, régulent et réconcilient leurs intérêts. Il les a déconnectés, découplés et a fini par créer une grande cacophonie », croit l’ancien secrétaire général de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho).
Et si en réalité, l’état d’urgence décrété le 23 mars n’était pas aussi efficace que les autorités l’espéraient ?
L’inefficacité de l’état d’urgence
À la lecture de la situation actuelle, la réponse risque d’être négative. Un petit exercice de comparaison s’impose pour avoir une idée de son impact sur la propagation du virus.
Du 02 mars au 23 mars, c’est-à-dire 21 jours après l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, le Sénégal n’avait enregistré que 79 cas positifs dont 07 issus de la transmission communautaire.
Un mois après, ce nombre a quintuplé et les contaminations grimperont à 479 pour 48 communautaires. Pourtant, les restrictions imposées à la population étaient censées surtout mettre fin à la chaîne de contamination par voie communautaire.
La comparaison des tests ne saurait être un argument pertinent à la lecture de la réalité des faits. En effet, les prélèvements n’ont connu une hausse considérable qu’à partir du 21 avril. C’est seulement à partir de cette date que les tests ont été multipliés par 5 voire par 10. Pour dire que l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu de 20 heures à 06 heures du matin devait être suivi de résultats. Mais beaucoup de facteurs ont conduit à ce qu’on peut appeler un effet boomerang.
La brutalité dont ont fait montre les forces de sécurité dès les premières heures du couvre-feu ont donné à cette mesure une connotation autre que celle qu’elle devait avoir aux yeux de la population. Braver l’interdit était devenu pour certains citoyens un jeu. Des rassemblements se sont créés dans certains quartiers de Dakar où beaucoup de cas de coronavirus ont été notés.
À cela s’est ajouté le non-respect de l’interdiction de la circulation interurbaine. En plein état d’urgence, des voyageurs ont quitté des villes du Sénégal pour se rendre dans d’autres, permettant du coup au virus d’emprunter la voie clandestine pour se propager.
Faut-il rappeler que c’est à la suite du retour d’un commerçant de Dakar que Touba a connu ce qu’on peut qualifier de deuxième vague. La ville sainte était presque « guérie » du Covid-19 avant d’être « réinfectée » par un cas communautaire détecté le 11 avril, c’est-à-dire en plein état d’urgence. D’autres cas issus de ce mode de transmission se sont révélés un peu partout au Sénégal alors qu’il était formellement interdit de se déplacer.
Cette facilité qu’ont trouvé des sénégalais à violer les interdictions de circuler a trouvé un écho favorable chez certains agents de l’État sans qui, il ne serait pas possible à ces récalcitrants d’arriver au bout de leur projet. C’est dire que même au sein de l’administration, on ne semble pas mesurer la dangerosité du virus.
Ces échecs répétés ajoutés à d’autres facteurs comme l’exposition d’une frange considérable de la population sénégalaise à une faim certaine, ont-ils motivé le supposé revirement du chef de l’Etat ?
Dans sa communication, le gouvernement préfère parler de réorientation stratégique, mais n’admet pas qu’il a échoué dans la gestion de la maladie.
Face à cette donne, nombreuses sont les voix qui réclament la levée du couvre-feu car elles estiment qu’il n’y a plus lieu de le prolonger au moment où les marchés, les écoles et les lieux de culte continuent de fonctionner comme si de rien n’était. « Pour moi, le couvre-feu n’apporte pas grand-chose dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. Implicitement, le couvre-feu dit que le virus circule la nuit. Si vous fermez les bars et les dancings, et si les restaurants exigent les masques et la distance physique, ça suffit », amende Alioune Tine. il rappelle qu’« on est dans une situation d’urgence sanitaire mais pas en guerre ou une situation d’insurrection ».
Cela dit, l’ancien Sg de la Raddho insiste aussi sur le réajustement de la communication pour une appropriation par la population des mesures barrière.
« Gagner ensemble la bataille »
Pour ce faire, il suggère de s’appuyer sur tous les acteurs et leaders audibles, visibles et influents. Selon lui, le « rituel consistant à énumérer les cas, n’informe plus de façon efficace ». « Il faut une bonne diffraction des centres d’émission, des émetteurs et des récepteurs ciblés en fonction de leur culture, langue et moyens », réoriente-t-il.
Il est aussi favorable à une dépolitisation du Covid-19. Cette invite est aussi valable pour le président Sall que pour ses opposants. « Lui, dans le sens de l’absolutisme et de la gestion du pouvoir et les autres qui guettent au tournant (…) le tournant, il faut le négocier dans l’unité, dans la transparence, la concertation et le minimum d’instrumentalisation politique. Gagner ensemble la bataille contre le Covid-19, sans parti pris avec le respect de l’État de droit, de la démocratie, des droits humains et de la gouvernance », sermonne Alioune Tine.
D’ici un hypothétique consensus national autour d’une seule cause, le Coronavirus continue son œuvre macabre, poussant les Sénégal à « vivre en sa présence ».
Avec Dakaractu