Afrique

Mali : Mahmoud Dicko, l’imam qui défie le président IBK

Mahmoud Dicko lors du lancement de son parti politique, le 7 septembre 2019. Photo Michele Cattani. AFP
Mahmoud Dicko lors du lancement de son parti politique, le 7 septembre 2019. Photo Michele Cattani. AFP

L’influent leader politico-religieux appelle à une manifestation ce vendredi à Bamako pour demander le départ d’Ibrahim Boubacar Keïta.

Un imam empêche le président malien de dormir sur ses deux oreilles. Les deux hommes se connaissent personnellement, le premier a aidé à faire élire le second en 2013. Mais la rupture entre l’homme de religion et l’homme d’Etat est consommée. Mahmoud Dicko a appelé les Maliens à manifester vendredi pour demander la démission d’Ibrahim Boubacar Keïta. Depuis, un vent de panique souffle sur Bamako. Car l’imam Dicko est aujourd’hui l’une des personnalités les plus influentes du pays, à 95 % musulman.

Il n’a pourtant plus aucun titre officiel. Après avoir dirigé pendant onze ans le Haut Conseil islamique du Mali (HCIM), Mahmoud Dicko, tenant d’un islam salafiste quiétiste – il récuse le terme «wahhabite» et se présente comme «sunnite» –, a passé la main l’an dernier à son rival Ousmane Madani Haïdara, un populaire prédicateur traditionnel. Il a immédiatement fondé un mouvement politique à son nom : la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS) dont il est devenu le «parrain». La Cour constitutionnelle lui a rappelé qu’au Mali, aucun «parti ne peut se constituer sur une base religieuse». La CMAS n’a pas présenté de candidat aux élections législatives.

Canal de discussion
Aucun parti n’a cependant sa capacité de mobilisation. Les autorités le savent, et s’affolent à la moindre de ses sorties publiques. En 2009, son premier coup d’éclat avait été de faire barrage à une réforme du code de la famille accordant de nouveaux droits aux femmes.

Dix ans plus tard, après de nouvelles manifestations géantes, il a obtenu le renvoi du Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, jugé responsable de l’aggravation de la crise sécuritaire au centre du Mali. Boubèye Maïga, partisan de la ligne dure, était opposé à toute forme de dialogue avec les leaders jihadistes. Dicko, à l’inverse, représente un canal de discussion entre la capitale et les mouvements islamistes armés.

«Issu d’une famille de lettrés musulmans, il a poursuivi ses études dans deux madrasas (écoles religieuses) mauritaniennes réputées, rappelle une note biographique écrite par l’historien Jean-Louis Triaud en 2014. Il est ensuite allé à l’université de Médine, en Arabie Saoudite, le lieu par excellence où sont instruits dans la doctrine wahhabite des étudiants venus de tout le monde musulman. De tout cela il résulte que c’est un arabisant accompli, bien au-dessus du niveau habituel des hommes de religion locaux, et un doctrinaire formé aux lectures les plus étroites des textes sacrés. C’est aussi, et c’est un grand avantage pour lui, un bon francophone.»

Erudition islamique
Pendant l’occupation des villes du nord du pays, en 2012, l’imam, originaire de Tombouctou, s’était rendu en personne à Gao pour rencontrer des représentants des groupes jihadistes. Il a toujours défendu l’idée d’une négociation avec les islamistes de nationalité malienne, en particulier avec Iyad ag-Ghali, aujourd’hui leader du Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (affilié à Al-Qaeda), et Hamadou Kouffa, son lieutenant dans la région centrale.

Libération de prisonniers, accès humanitaire, dialogue politique… Dicko se pose régulièrement en médiateur. Son érudition islamique et son rigorisme religieux lui confèrent un certain crédit auprès des jihadistes, tandis que sa proximité avec l’élite politique bamakoise rassure les dirigeants maliens.

Sa porte est constamment ouverte. L’imam, courtois et attentionné, reçoit aussi bien les journalistes que les chercheurs occidentaux, les responsables politiques, les marabouts ou les associations de quartier. Il sait à merveille adapter son discours à ses interlocuteurs. «Il a franchi la ligne blanche qui existait entre le religieux et le politique : en 2009, au moment de la lutte contre la réforme du code de la famille, il a propulsé le HCIM comme le représentant de la société civile malienne contre l’opinion publique libérale, détaille Gilles Holder, anthropologue au CNRS. Dicko entend aujourd’hui moraliser la vie publique mais il ne remet pas en cause l’Etat malien, c’est en quelque sorte un salafiste républicain.»

Barbichette blanche
Au cours d’un meeting enflammé, le 29 février au palais de la Culture de Bamako, l’imam à la barbichette blanche, pourfendant la corruption du pouvoir, est allé jusqu’à appeler «le peuple malien à prendre son destin en main à partir du vendredi [6 mars]». La formule ambiguë a fait frémir la présidence et lui a valu une convocation chez le procureur quelques jours plus tard.

La séance d’explication avec la justice a finalement été annulée in extremis devant la mobilisation spontanée de milliers de ses partisans, qui ont entouré le tribunal pour empêcher leur héros d’y être entendu. L’imam, de son côté, a accepté de «surseoir» à la manifestation. Officiellement sur demande d’une autre figure religieuse malienne, le très respecté chérif de Nioro, Mohamed Ould Cheicknè Haïdara. «Je ne peux rien refuser au chérif dont la demande est un ordre», a brièvement expliqué Mahmoud Dicko en conférence de presse. «Je ne suis pas un va-t-en guerre. Nous ne sommes pas de ceux qui souhaitent mettre ce pays à terre, a-t-il précisé. Mais nous sommes dans notre droit de dire la vérité quand ça ne va pas.»

À LIRE AUSSI :
AU MALI, LE RETOUR DES FANTÔMES DU PUTSCH

La proximité affichée entre les deux leaders islamiques est «l’alliance de la carpe et du lapin», juge Gilles Holder. «Ils n’ont rien à voir sur le plan doctrinaire, sur le plan social, sur le plan économique. Ils sont simplement liés par un intérêt conjoncturel, relève le chercheur. C’est la force de Dicko : il agrège tous les mal servis du régime.»

L’appel au rassemblement de vendredi est d’ailleurs porté par trois organisations, le CMAS de Dicko, le Front de la sauvegarde de la démocratie, une coalition de partis d’opposition, et le mouvement Espoir Mali Koura du cinéaste Cheick Oumar Sissoko. Mais la masse des manifestants sera là pour Dicko.

Bras de fer risqué
«Il a réussi quelque chose d’énorme : l’islamisation de la contestation, estime Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute à Dakar. Il est un point de ralliement islamo-nationaliste, démagogique mais structuré.» L’imam dénonce pêle-mêle les tripatouillages électoraux des législatives du printemps, qui ont débouché sur des émeutes dans plusieurs villes du pays, la gestion de l’interminable grève des enseignants, les affaires de détournement des contrats militaires, et l’effondrement sécuritaire du Mali.

«Il critique les tares de la chefferie traditionnelle, ajoute Bakary Sambe. Ce que l’Occident ne perçoit pas, c’est que le salafisme peut incarner une forme de modernité alternative pour la jeunesse.» «Son succès n’est pas strictement religieux, il ne peut pas rester sur le programme étroit du wahhabisme classique, nuance l’islamologue Youssouf T. Sangaré, maître de conférences à l’université de Clermont-Ferrand. Lorsqu’il est entré dans le champ politique, il s’est fait le porte-voix de tous les mécontents.»

En allant jusqu’à exiger la démission du président de la République, Dicko engage cette fois un bras de fer risqué. Il risque de faire vaciller un Etat déjà fragilisé par une interminable crise sécuritaire. La nervosité du pouvoir, aux abois, n’est pas non plus propice au bon déroulement de la marche de vendredi. Sa gestion de la manifestation, et les mots qu’il y prononcera, diront si l’imam est prêt à renverser la table, ce qu’il s’est gardé de faire jusqu’à présent, ou bien s’il entend simplement prouver qu’il est devenu le pivot incontournable de la politique malienne.

Célian Macé

Top 10 de l'info

Haut