Sahel

Révélations : comment le leader d’AQMI, Abdelmalek Droukdel, a été tué au Mali

Abdelmalek Droukdel, tué le 3 juin 2020. AP / SIPA
Abdelmalek Droukdel, tué le 3 juin 2020. AP / SIPA

Longtemps insaisissable, le chef historique d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), l’Algérien Abdelmalek Droukdel, a été abattu par les forces spéciales françaises au nord du Mali. Retour sur la chasse à un vétéran du djihadisme.

À de nombreuses reprises au cours des dix dernières années, des rumeurs ont circulé selon lesquelles il était mort. Ils avaient tord.

Mais cette fois, le voyage d’Abdelmalek Droukdel, 50 ans, a trouvé son épilogue dans le nord-est du Mali, à Talhandak, à environ 80 kilomètres à l’est de Tessalit et à deux pas de la frontière avec l’Algérie.

Abdelmalek Droukdel, le chef historique d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), a été tué le 3 juin lors d’une opération menée par l’armée française.

Arrivé récemment d’Algérie, le chef djihadiste était accompagné de plusieurs de ses proches, cadres de l’organisation qu’il a fondée en janvier 2007.

L’opération contre le chef d’AQMI et ses lieutenants a été menée par les forces spéciales françaises, qui sont arrivées dans la zone par hélicoptère avant d’intervenir au sol. Plusieurs autres personnes ont été tuées en même temps que Droukdel, mais leur identité – dont certains pourraient être d’autres hauts responsables d’AQMI – est toujours en cours de vérification.

Identification formelle

Plusieurs indices ont contribué à l’identification formelle du corps d’Abdelmalek Droukdel, même si l’armée française n’a pas utilisé de tests ADN. « Toute une série d’indications nous permettent d’affirmer avec certitude qu’il s’agit bien de lui », a expliqué un haut responsable français. Parmi eux, l’arrestation, pendant l’opération, d’un djihadiste qui a officiellement confirmé son identité auprès des forces spéciales françaises.

L’élimination du leader historique d’AQMI a été rendue possible grâce à une combinaison d’intelligence humaine et technique collectée par les services français et américains au cours des derniers jours. « Cela faisait quelques semaines que des agents d’AQMI avaient été repérés se dirigeant du territoire algérien vers le nord du Mali », a expliqué une source proche du dossier.

Une fois que ce groupe étroitement surveillé est entré sur le territoire malien, l’ordre a été donné de monter une opération des forces spéciales pour le neutraliser.

Le président français Emmanuel Macron a été tenu informé en direct du lancement de l’opération et de ses résultats.

Les autorités algériennes, pour leur part, ont été informées par Paris une fois le raid terminé et l’identification de Droukdel certifiée. Cependant, le leader djihadiste n’a pas été mentionné lors de la récente conversation téléphonique entre le président français et son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune.

Sanctuaire

Alors qu’il se cachait quelque part dans l’est de l’Algérie, enfermé avec sa garde rapprochée dans le maquis dense près de la frontière tunisienne, ou abrité en Libye, Droukdel a été abattu après avoir traversé le vaste désert algérien pour se réfugier au Mali, qui est devenu un sanctuaire pour l’activisme islamiste.

Pourquoi cet homme jusque-là insaisissable, perdu dans le désert depuis au moins cinq ans, a-t-il pris le risque de quitter son fief algérien et de se rendre au Mali en compagnie de plusieurs dirigeants de son organisation?

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Lui et ses hommes avaient-ils l’intention de se réfugier dans les étendues désertiques du Sahel pour fuir un pays où les activités des groupes terroristes ont été anéanties? Ou s’agissait-il plutôt d’une décision stratégique de redéployer et de réorganiser AQMI, à une époque où plus de 5 000 soldats français sont déployés dans la région dans le cadre de l’opération Barkhane?

Rivalités entre groupes djihadistes

Au Mali, plusieurs sources citent l’arrivée de Droukdel sur leur sol comme les raisons des affrontements entre les groupes djihadistes liés à Al-Qaïda et ceux qui ont prêté allégeance à l’État islamique du Grand Sahara (EIGS).

Depuis le début de l’année, ces groupes s’affrontent dans le centre du Mali et à la frontière avec le Burkina Faso, chacun essayant de renforcer son influence dans la région.

L’utilisation des renseignements recueillis après le raid français pourrait en tout cas apporter des réponses à l’objectif poursuivi par Abdelmalek Droukdel en entrant au Mali. Il pourrait également fournir un inventaire à jour de l’état de l’organisation djihadiste, qui semble avoir complètement perdu pied en Algérie et au Sahel.

Chef autoproclamé d’Al-Qaïda au Maghreb islamique depuis janvier 2007, Abdelmalek Droukdel, 50 ans, a été l’un des derniers vétérans du djihadisme algérien des années 1990. Son élimination marque la fin d’une triste lignée de chefs terroristes qui ont pris les armes dans le pays au début des années 90. Elle fait suite à la neutralisation ou à la disparition d’autres émirs qui avaient travaillé sous la bannière de diverses organisations islamiques armées.

L’un de ses principaux lieutenants, l’Algérien Abou Zeid, a été tué en février 2013 lors de l’opération Serval, dans l’Adrar des Ifoghas, le massif montagneux de l’extrême nord-est du Mali.

Un autre personnage emblématique d’AQMI, Mokhtar Belmokhtar, qui était derrière la prise d’otages sanglante sur le site gazier algérien d’In Amenas en janvier 2013, est porté disparu depuis l’automne 2016 et aurait été éliminé par une frappe de l’armée française en Libye .

Quant à Djamel Okacha, dit Abou Yahya El Hammam, un autre cadre algérien d’AQMI proche de Droukdel, il a été tué en février 2019 dans le nord du Mali par l’armée française.

La longue chasse
L’élimination de ces barons d’AQMI, dont le dénominateur commun est leur appartenance passée au Groupe islamique armé algérien (GIA), a permis au malien Iyad Ag Ghaly, fondateur d’Ansar Eddine, de prendre progressivement de l’ampleur. Droukdel avait parié sur Ag Ghaly pour construire un soutien au Mali.

Touareg de la tribu Ifogha, Ag Ghaly a été promu par Al-Qaïda et a fondé le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) en mars 2017. Il est aujourd’hui l’un des principaux dirigeants djihadistes du Sahel.

Ancien fabricant de bombes du GIA, Droukdel s’était fait un nom à l’été 2004 en devenant émir national du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC).

La politique de réconciliation nationale du président Abdelaziz Bouteflika, qui a permis d’éliminer les terroristes restants, et le succès de l’armée algérienne dans la lutte contre le terrorisme, l’ont contraint à changer de stratégie en optant pour la bannière d’Al-Qaïda en 2007.

A l’époque, Droukdel prônait les mêmes méthodes que cette organisation, recourant notamment à des attentats suicides avec des kamikazes entraînés dans le maquis de Kabylie.

En Algérie, de telles attaques ont visé le cortège présidentiel de 2007, les bâtiments publics et les casernes de la police et de l’armée.

Comment Droukdel a-t-il pu échapper à la chasse aux services secrets algériens pendant au moins 15 ans? Sa longévité s’explique tout d’abord par la nature du terrain où lui et ses hommes étaient déployés: les maquis, grottes et ravins des massifs du Djurdjura en Kabylie offraient des refuges quasi imprenables.

Mais l’enlèvement et la décapitation du touriste français Hervé Gourdel en septembre 2013, sur les hauteurs de la Kabylie, ont radicalement changé la donne. L’armée algérienne a depuis lors déployé de grands moyens pour retrouver et éliminer le groupe responsable de cette attaque avant de «nettoyer» le maquis. Le déploiement permanent des militaires dans la région a ensuite contraint Abdelkader Droukdel à fuir. On soupçonne qu’il aurait pu trouver refuge dans l’est du pays.

Sa survie s’explique également par son extrême prudence. Droukdel ne faisait confiance qu’à une poignée d’adeptes: un cercle d’une vingtaine de personnes qui lui servaient de boucliers et de gardes du corps. Certains d’entre eux ont probablement péri avec lui.

Pour éviter d’être repéré par les moyens d’écoute et de surveillance mis en place par l’armée algérienne, Abdelmalek Droukdel avait pratiquement interdit l’utilisation du téléphone et d’Internet. Les instructions ont été transmises de bouche à oreille, par le porteur. Le 3 juin, cependant, à la frontière entre le Sahara et le Sahel, la chance du leader djihadiste s’est épuisée.

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