[Portrait] Serigne Mbaye Thiam : l’incorrigible !
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Encore un « Game of throne » à la socialiste. Et cette fois-ci, le prétendant n’est autre que Serigne Mbaye Thiam. Un numéro deux sans base politique, mais un grand orateur têtu, inflexible, à la limite. Son rôle sur le cas Khalifa Sall, ainsi que son passage au port et au ministère de l’Education nationale sont assez édifiants.
L’homme est au cœur de la tempête politico-médiatique, depuis sa sortie vendredi dernier. Serigne Mbaye a été on ne peut plus clair sur ses ambitions au poste de secrétaire général du Parti socialiste. « Si mes camarades portent leur choix sur moi pour diriger la destinée du PS, je ne vais pas le refuser. Beaucoup de responsables et militants me l’ont d’ailleurs proposé », a-t-il lancé dans une émission à la 7Tv.
Le numéro deux des verts précise même que beaucoup de responsables et militants lui ont déjà proposé de briguer le poste. Et les propositions semblent avoir fait monter d’un cran le désir d’éjecter Aminata Mbengue Ndiaye du siège jadis occupé par l’inamovible Ousmane Tanor Dieng.
Le responsable socialiste se permet même de mettre la pression sur l’intérimaire pour aller au congrès au plus vite. « La gestion provisoire du Secrétariat général doit avoir un délai bien limité. L’intérim ne doit pas être dans le long terme », presse le chargé des élections qui veut un renouvellement dans les meilleurs délais.
Mais la réplique n’a pas tardé, du côté de la « Lionne du Ndiambour ». Aminata Mbengue Ndiaye a vite fait de rappeler à son camarade qu’elle n’entend pas céder le fauteuil de sitôt. Sans doute déjà bien installée.
« L’élection d’un nouveau secrétaire général, après le décès de Tanor Dieng, n’est pas mon agenda actuel. J’assure l’intérim et on en parlera le moment venu », rétorque l’ancienne patronne des femmes socialistes. Non sans ajouter qu’on ne peut pas être responsable du parti et « créer des polémiques autour de questions sans importance ».
Et pourtant, il faudra bien se résoudre à accepter ce débat. Pour qui connait Serigne Mbaye Thiam, l’affaire ne fait que commencer. Ses principaux traits de caractère restent la froideur et l’intransigeance. L’homme est connu à la fois pour son franc-parler et son inflexibilité. Dès qu’il fonce vers une direction, il n’est plus question de douter. « C’est un homme têtu dans ses convictions », témoigne son ami d’enfance Baba Dramé. « Déterminé », rectifie le concerné, dans un portrait que lui avait consacré le journal « EnQuête ».
Par la grâce de Tanor
Qu’importe, les témoignages sont les mêmes et presque unanimes. « S’il est sûr de quelque chose, il ne lâche pas. Il ne connait pas la négociation et il n’y a pas beaucoup de personnes qui peuvent agir sur lui », renchérit une source anonyme.
Serigne Mbaye Thiam lui-même ne dit pas le contraire. Lorsqu’il est convaincu de la justesse d’une cause, dit-il, il s’engage. Par contre, s’il a un avis contraire, il le dit haut et fort. Aminata Mbengue Ndiaye est donc avertie !
Pourtant, la question se pose de savoir si Serigne Mbaye Thiam peut bien être le pilote du Parti socialiste. En effet, l’homme n’a presque pas de base politique solide. D’ailleurs, le principal reproche qui lui est toujours fait est qu’il doit sa position dans le parti et le gouvernement à la seule volonté du défunt patron des verts, Ousmane Tanor Dieng. Une accusation balayée d’un revers de main par le concerné.
« J’ai été député à l’Assemblée nationale en 1998. En 1996, j’ai été vice-président du Conseil régional de Kaolack. Et je ne connaissais pas Tanor. Donc, j’ai réalisé un certain nombre de choses sans la politique », se défend-il dans une interview avec « Le Quotidien ».
Serigne Mbaye Thiam précise même qu’il a rencontré Ousmane Tanor Dieng, pour la première fois, après la défaite des socialistes en 2000, hormis une rencontre dans un cadre administratif en 1990, lors des préparations de la Can-90 à Alger.
Froid et distant
Mais les faits sont têtes. Ni à Rufisque où il a grandi ni à Kaolack d’où il est originaire, Serigne Mbaye Thiam, arrivé dans le Parti socialiste en 1994, ne dispose d’un grenier électoral sur lequel il peut s’appuyer pour défier l’ancien maire de Louga. Un fait qui pourrait s’expliquer par le fait qu’il est un homme assez fermé. Même dans les rangs du parti, cette attitude n’est pas bien appréciée.
Le concerné se défend d’être fermé, reconnaissant tout de même une certaine froideur. Il refuse, en fait, de se plier à ce qu’il considère comme cette manière bien sénégalaise de se donner des tapes amicales en public, tout en se promettant des appels téléphoniques ou des visites, alors qu’on n’est pas si proches. Avec lui, chacun ne peut pas être un ami ou un frère. « Je me méfie des gens qui sont l’ami de tout le monde », assume-t-il.
Son ami d’enfance, Baba Dramé, confirme : « S’il ne vous connait pas, il ne vous connait pas. Avec les amis, par contre, il n’a pas de limite ; il est taquin et drôle. »
Toutefois, Serigne Mbaye Thiam ne manque pas d’arguments face à sa nouvelle rivale. Son charisme, ses capacités d’orateur et sans doute sa constance dans le gouvernement depuis 2012 peuvent être des atouts certains pour le nouveau prétendant.
Quoi qu’il en soit, un nouveau front s’ouvre dans le Parti socialiste. Et Serigne Mbaye Thiam n’est pas un néophyte en la matière. On se souvient du rôle qu’il a joué dans la bataille contre Khalifa Sall. Ce n’est pas pour rien qu’en mars 2016, des jeunes lui ont jeté du sable et des sachets d’eau à la permanence du parti. Il a été envoyé sur tous les fronts médiatiques pour porter la dragée haute au camp de l’ancien maire de Dakar.
La note sévère des syndicats enseignants
En vérité, l’homme au teint clair et à la mise toujours bien soignée aime les bras de fer. Ministre de l’Education nationale, ses rapports avec les enseignants ont toujours été tendus. Les syndicats déclaraient même que Serigne Mbaye Thiam a été le principal obstacle à un climat apaisé dans l’espace scolaire.
« C’est un homme rigoureux. Il a une grande capacité d’adaptation qui lui a permis de comprendre très vite le ministère. Nous lui reconnaissons aussi la volonté de bien faire. Mais il manque de souplesse, il ne tient pas compte de la position des autres. Il n’est pas ouvert aux autres idées », assène Abdou Faty, Secrétaire général du Sels/A.
Son camarade Saourou Sène se montrait plus sévère à son encontre. « Il doit savoir qu’il dirige un ministère d’intellectuels. On dirait qu’il se croit dans les forces armées », regrettait le Sg du Saemss qui lui reconnait tout de même la franchise dans sa démarche et ses propos.
Même le directeur exécutif de la Cosydep, d’habitude plus conciliant, n’a pas manqué de regretter son attitude. « Le ministère de l’Éducation est certes technique, mais aussi social. Il nous faut un autre type de management », égratignait Cheikh Mbow.
« A 60 ans, je dois être vacciné »
Mais le concerné n’en a cure. Cet ancien parachutiste pense même que s’il a eu le courage, tout jeune, de sauter dans les airs au prytanée, il ne doit plus avoir peur de l’adversité. D’ailleurs, il aime rappeler qu’il sait se plier sans rompre, tel le roseau de La Fontaine. Il en veut pour preuve son passage au Port autonome de Dakar en 1987, en tant que directeur financier, fraichement débarqué de la France après ses études, à l’âge 30 ans.
Dès sa prise de fonction, il débute les réformes. Il remet en cause pas mal d’acquis au point de se mettre une partie du personnel à dos. Aujourd’hui encore, il se rappelle, sourire aux lèvres, que le slogan contre l’apartheid a été détourné par les syndicalistes du port pour s’attaquer à sa gestion. « Le maintien de Serigne Mbaye Thiam au port est un crime contre l’humanité », disaient les travailleurs.
Ce géant de 1m90 n’en est pas peu fier de cette prouesse. Et après tout cela, il se croit suffisamment forgé au fer rouge pour ne pas abdiquer. « Si, à 30 ans déjà, j’ai vécu une telle expérience au port, à 60 ans, je dois être vacciné », déclarait-il d’un ton ironique.
Saloum-Saloum adopté à Rufisque
Né à Keur Madiabel le 28 décembre 1957, Serigne Mbaye Thiam a été envoyé à Rufisque chez sa grand-mère maternelle pour les besoins du sevrage. Cette opération temporaire va finalement durer une éternité. Son père avait choisi de faire de lui ce fils que son oncle maternel Mamadou Thiam n’a jamais eu.
C’est à partir de 8 ans qu’il a fait son retour au village natal, durant les vacances scolaires. C’est à la même occasion qu’il découvre que celle qu’il prenait pour sa mère était en réalité sa tante. Ainsi, même s’il a goûté aux « délices » des travaux champêtres, ce « boy Dakar » était plus disposé à aider sa maman à porter le repas aux champs, quand celle-ci était de tour, qu’à courber l’échine et retourner la terre sous des rayons impitoyables, à près de 45°.
À quartier Dangou de la vieille ville, par contre, il va se révéler un génie. Très vite, son intelligence va faire l’unanimité. Elève à l’école Thiokho, il a été très brillant, sérieux, discret, timide à la limite, un livre toujours à la main, même dans la cour de récréation. Aujourd’hui encore, son ancien instituteur El Hadj Malick Ndoye ne cesse de s’émerveiller de la qualité de ses rédactions. « Lors de la cérémonie de l’école de base, quand j’en ai lu une, l’assistance était ébahie et on me demandait si c’est lui qui l’avait réellement écrite », se souvient-il.
Si l’on en croit son maître, le petit excellait dans toutes les matières, excepté l’éducation physique. Pourtant, le gamin aimait éperdument le football, mais il n’a jamais été un bon sportif. Il était de ces portiers qui, à l’image de David James (surnommé « Calamity James »), n’assuraient presque aucune garantie derrière.
« Quand on le voyait dans sa tenue de gardien, il était tellement élégant qu’on pense pouvoir compter sur lui. Mais toutes les frappes atterrissaient au fond des filets, même celles tirées de loin », se rappelle avec humour Baba Dramé.
Ce sont peut-être ses piètres qualités de sportif qui l’ont poussé à vouloir prendre sa revanche sur l’histoire et la discipline, en créant le « 12e Gaïndé » en 1992, alors qu’il était membre de la Fédération sénégalaise de football.
Scolarité tumultueuse au prytanée
Au-delà d’être brillant, le potache a aussi été méthodique et débrouillard. Un jour, dans les rues serpentées de Rufisque, il croise un ancien camarade d’école dans un bel uniforme militaire. Celui-là n’est personne d’autre que Mamadou Guèye Faye qui deviendra plus tard haut-commandant de la gendarmerie.
Il s’étonne de voir ce « petit » dans une telle tenue et le presse de questions. Information prise, le garçon dégourdi va accomplir lui-même toutes les formalités. La première tentative sera la bonne. Bonjour Charles N’Tchoréré !
Cependant, le prytanée est tout sauf un long fleuve tranquille pour cet écolier décrit pourtant comme un élève discipliné. Une qualité qui résiste difficilement à l’épreuve, bien qu’il ait été toujours major. En classe de 3e, il sera mis aux arrêts pour une affaire pour le moins rocambolesque. En fait, malgré son sérieux dans le travail, il ne s’empêchait pas de goûter à quelques mondanités de la vie citadine.
Lui et ses camarades avaient donc décidé d’organiser une soirée dansante, le samedi. Or, les pensionnaires de l’internat ne pouvaient quitter leur logement que le dimanche, du matin au coucher du soleil. Pour une telle initiative, il fallait donc découcher. Les taies d’oreillers placées sous les draps, les jeunes soldats sont partis faire la fête avec des jeunes filles du lycée Ameth Fall, croyant avoir trompé la vigilance du surveillant qui fait la ronde, chaque jour, à 21 h.
Le lendemain, ils seront mis aux arrêts et tabassés par l’adjoint au commandant, le capitaine Traoré. Lorsque, dans l’après-midi, par le trou du mur, ils l’ont vu venir, ils ont compris qu’il allait à nouveau leur tanner la peau.
Faisant semblant de n’avoir pas remarqué sa présence, Birima Fall, qui travaille aujourd’hui à la Bceao, s’est mis, avec sa belle voix, à chanter les louanges de ce capitaine orgueilleux qui aimait raconter à qui voulait l’écouter qu’il a traversé le canal de Suez et fait la guerre d’Algérie et d’Indochine. Flatté comme jamais, il a renoncé à sa visite punitive pour aller dire au rassemblement : « Vous ne me connaissez pas, mais vos camarades en prison, eux, savent qui suis-je. »
Il faut dire qu’entre Serigne Mbaye Thiam et les soirées dansantes, il y a une longue histoire. Son ami d’enfance, Baba Dramé, se rappelle qu’il était toujours le trésorier, dès qu’il était question d’en organiser une. Non seulement les comptes étaient toujours bons, mais il rendait toujours les mêmes coupures de billets qu’on lui remettait. Mais autant il savait garder les sous, autant il savait choisir ses cavalières, et ce n’est pas pour prendre les plus moches.
En réalité, en matière d’argent, Serigne Mbaye Thiam bénéficie d’une bonne réputation. Evidemment, telle que la politique est conçue au Sénégal, il serait hasardeux de décréter l’innocence d’un homme politique à l’égard de l’argent du contribuable.
Cependant, il est reconnu à l’homme de ne pas avoir la propension de s’enrichir avec les deniers publics. « Si vous voyez bien, il n’y a jamais eu de scandale lié à son nom. Vous n’entendrez jamais de marché de gré à gré dont il est complice », assure une connaissance. Ce dernier s’empresse de révéler qu’il a renoncé au logement de fonction, préférant garder sa maison personnelle à Sacré-Cœur 3.
Et l’histoire se répéta !
Au prytanée, la deuxième mésaventure a eu lieu en classe de première. Pour avoir refusé de dénoncer un camarade de classe ayant commis une bêtise, lui le major et responsable de la classe va séjourner pendant une semaine au camp El Hadj Omar, loin de l’établissement. Le dernier cas est sans doute le plus difficile à raconter.
Non seulement le ministre a passé sous silence cet épisode dans son récit (il a fallu lui poser la question), mais il a perdu l’humour qu’il avait en relatant son histoire au prytanée.
C’était toujours en classe de première : Serigne Mbaye Thiam figurait dans le trio qui a dirigé une grève, cette année-là. Pour une école où on enseigne à obéir les yeux fermés, une telle attitude est impardonnable. Ainsi, à la fin de l’année, malgré ses bonnes notes, il va devoir faire ses valises, contre son gré. Sur son bulletin, la mention suivante : « Très bon élève, mais exclu de l’école pour participation à un mouvement d’insubordination collective. »
La suite de l’histoire sera écrite au lycée Van vo et dans quelques écoles prestigieuses en France, comme l’École supérieure de commerce et d’administration des entreprises de Rouen et la classe préparatoire Hec au lycée Corneille.
Aujourd’hui encore, comme au prytanée, il semble se lancer dans un nouveau « mouvement d’insubordination collective », cette fois-ci contre la secrétaire générale intérimaire du Parti socialiste Aminata Mbengue Ndiaye.
Il reste à savoir si la direction du parti sera aussi ferme que celle de son ancienne école. Ou bien si l’homme réussira à détrôner la reine pour devenir roi.