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[Tribune] Troisième mandat, et après ! – Par Mamadou Ndiaye

Macky Sall - Alassane Ouattara - Alpha Condé
Macky Sall - Alassane Ouattara - Alpha Condé

Jeunes, sans perspectives, ils répondent à l’appel du large quitte à mourir au loin. Vieux, sans perspectives, ils s’accrochent au pouvoir quoi qu’il advienne. Quand les jeunes voient leur avenir s’assombrir, les vieillards, eux, gomment d’un trait de plume leur passé pour n’entrevoir que le futur, le leur, sous les dorures (et les lambris) des palais présidentiels jaunis. La question qui fâche : que comptent faire ceux qui s’agglutinent coûte que coûte à un 3ème mandat ?

Que peuvent-ils faire qu’ils n’aient pu faire auparavant ? La réponse qui irrite : les fruits n’ont pas suivi la promesse des fleurs. Alors, le sentiment du « sur place » s’empare de l’opinion. Les tragédies en haute mer et les corps qui s’échouent sur les plages parviennent en faible écho aux oreilles des gouvernants enivrés par le pouvoir. Le désœuvrement est la chose la mieux partagée. Les jeunes, toujours eux, exaspérés, sont sur les rotules. Le moral s’effrite. Le mental, en berne, s’effiloche. Le tissu social se déchire. Les dirigeants tâtonnent. Ils ne maîtrisent rien. « Ils font semblant de diriger », comme le disent rageusement les Guinéens.

Mamadou Ndiaye emedia

Mamadou Ndiaye, Journaliste Emedia

Tiens, le président sortant, Alpha Condé, reste à l’issue d’une élection controversée mais très peu disputée. Des manifestants meurent tués à balles réelles. D’autres sont poursuivis jusque dans les maisons, domaines privatifs par excellence.

Quand des forces de défense et de sécurité renversent des marmites, éventrent des frigidaires et assomment des gamins cachés et violentent des femmes, cela frise le chaos, l’indécence, l’excès et l’acharnement. Tout çà au nom de la démocratie ? C’est à croire que le système démocratique secrète des pathologies, des dérives, des renonciations, des reniements et mêmes des reconversions !

Ils étaient quatre à l’origine : Abdoulaye Wade au Sénégal, Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, Alpha Condé en Guinée et Ibrahima Boubacar Keïta au Mali. Ils ont certes lutté âprement contre les régimes dominants dans leurs pays respectifs, parfois même au prix d’immenses sacrifices personnels. Ils ont déchaîné des passions et suscité partout des curiosités, notamment dans les grandes chancelleries occidentales qui s’émerveillaient de la singularité de leurs combats. Ils donnaient d’eux l’image d’opposants historiques légitimée par les conquêtes démocratiques, les libertés concédées et la diversité des opinions.

Tous les quatre, à des moments différents, ont accédé au pouvoir avec ou sans gloire. Peu importe. Très certainement, ils sont arrivés au pouvoir épuisés et à des âges avancés. S’ils ont eu de brillants parcours d’opposants, leur destin présidentiel a sombré dans l’ubuesque, le délire, le fantasme et l’irrévérence. Ce qui a fini par les perdre, un à un, parce que nombre d’entre eux ont perdu la raison dès leur accession à la magistrature suprême.

En trouvant leur chemin de Damas, ils ont brûlé ce qui leur était cher, l’ancrage démocratique pour se reconvertir en despotes au gré des conjonctures qui prévalaient. S’ils n’étaient pas parvenus au pouvoir, chacun d’eux aurait pu être pris pour le meilleur homme politique de son pays. Mais le pouvoir chemine avec l’excès et l’abus. Très peu s’en détachent pour rester eux-mêmes sans céder justement à la tentation.

Cette lisière différencie les politiques des politiciens. Les premiers se projettent. Les seconds calculent. Ils n’ont pas dès lors le même rapport au temps. L’empressement habite les uns et le sens de l’étape gouverne la démarche des autres. Pour preuves : « On gagne et on gagne » avait clamé l’un avec un large sourire qui en disait long sur le moral qu’il incarnait. « Mon peuple m’aime et me suit », avait tonné l’autre dans une déconcertante certitude. Le réveil fut brutal et chaotique. Si Keïta au Mali a affiché toute son incompétence, son régime en revanche a aligné un état de corruption indescriptible, fragilisant les grands corps d’un Etat qui a renoncé à son statut régalien à force de perdre du terrain (au propre comme au figuré) au profit de forces occultes devenues incontournables.

Une renversante perspective trouve ainsi en Alpha Condé son héraut, celui-là même qui solennise par sa nature profonde le recul démocratique. Son pays se retrouve dans un horizon de temps flou. Le consensus politique a volé en éclat avec un régime indolent et une opposition radicale. Entre les deux presque le désert.

La pénurie de confiance en Guinée ouvre une période d’incertitudes que le « droit mou » de la Cedeao qu’invoque avec pertinence un magistrat expérimenté ne saurait apaiser à lui seul. Des avis circonstanciés suggèrent à la Cedeao d’initier « un protocole additionnel » pour régler définitivement la question du troisième mandat qui pollue le climat politique en Afrique, et principalement en Afrique de l’Ouest.

Les Guinéens se sentent appartenir à un grand pays. Cependant ils doutent d’être une grande nation. Raison invoquée : l’accentuation des divisions sur fond tribal encouragées par des dirigeants politiques de petite envergure, de surcroît dépourvus de lucidité et travaillés par des desseins sordides et morbides. Dans ce pays, seul le pouvoir s’exerce. En face, rien. D’où les abus de pouvoir qui peuvent s’observer à l’œil nu en l’absence de contrepouvoirs bien évidemment.

Le désœuvrement d’une jeunesse abasourdie est l’autre nom de la menace qui pèse sur ce pays encore traumatisé par les stigmates de l’instabilité en Sierra Leone et au Libera sur ses flancs sud. La hantise djihadiste constitue un danger supplémentaire avec de possibles enrôlements moyennant des espèces sonnantes auxquelles les désœuvrés peuvent être sensibles comme dans le Nord Mali.

De cette bande des quatre, il n’en reste que Alpha Condé, ancien dirigeant de la FEANF (étudiants africains en France) et pépinière des futurs dirigeants du continent. Ironie de l’histoire, le seul « compagnon de misère » du Président Condé demeure son collègue du Niger, Mahamadou Issoufou qui pouvait lui dire « dans le blanc de l’œil » ses vérités. Or ce dernier quitte volontairement le pouvoir en décembre. Il l’a dit urbi et orbi. Il a même désigné son dauphin. Sans bruit.

Cet exemple n’arrange pas Condé, incapable, faute de tempérance, de formuler l’avenir. Pas davantage Alassane Dramane Ouattara qui était pourtant sur la même longueur d’onde que le Nigérien. Le décès en juillet de son dauphin désigné, Amadou Gon Coulibaly, a bouleversé le schéma en Côte d’Ivoire, obligeant le président sortant à rempiler « par devoir et à son corps défendant » précise-t-il. Ce qui, sentimentalement le rapproche du Guinéen qui n’est plus esseulé et s’éloigne ostensiblement de son camarade Issoufou. Ce jeu de chaises musicales a un ennemi mortel : l’âge qui est un naufrage. Averti, le Président Macky Sall, qui a le sens de la formule et de l’observation fine, scrute, sans se presser, ces enchevêtrements inédits. 2024, si loin, si proche…

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