Economie

Révélation d’un rapport de OpenOil : les revenus du pétrole et du gaz ne peuvent pas alléger la dette publique du Sénégal

Macky Sall présidant la Concertation sur le pétrole au Sénégal
Macky Sall présidant la Concertation sur le pétrole au Sénégal

Comme quelques 15 à 20 autres pays dans le monde, le Sénégal était déjà engagé sur la voie de sa première production à grande échelle de combustibles fossiles après la signature de l’accord de Paris sur la réduction des émissions de CO2 et à une période où les ventes de véhicules électriques doublent tous les 12 mois – et ce, avant la Covid-19. Les revenus du pétrole et la possibilité d’une transformation économique ont occupé une place importante dans le discours gouvernemental du pays au cours des 5-6 dernières années, mais la question que ce rapport cherche à aborder est la suivante : que se passera-t-il lorsque les attentes au niveau national pour une industrie émergente se heurteront à une brutale récession mondiale à court terme, et à la tendance du marché et des politiques à sortir des combustibles fossiles à long terme ? C’est à cette question que « Open Oil », a tenté d’apporter une réponse dans un rapport sur l’impact du Covid-19 et de la transition énergétique sur le secteur pétrolier offshore du Sénégal. Ce que l’étude constate, c’est qu’il y a de fortes chances que les ressources pétrolières et gazières du Sénégal aient déjà échoué. Le rapport assure que les revenus du pétrole et du gaz ne peuvent pas alléger la dette publique du Sénégal

« Les actifs échoués du Sénégal : l’impact du Covid-19 et de la transition énergétique sur le secteur pétrolier offshore », c’est ainsi que le fournisseur d’analyses financières sur les ressources naturelles pour les politiques publiques, « Open Oil » a intitulé son rapport sur l’impact du Covid-19 et de la transition énergétique sur le secteur pétrolier offshore du Sénégal. Ce rapport cherche à appliquer l’analyse économique classique des projets à l’impact de la transition énergétique et du Covid-19 sur le Sénégal, en tant que producteur de pétrole « en phase initiale ».

Ce que l’étude constate, c’est qu’il y a de fortes chances que les ressources pétrolières et gazières du Sénégal, au-delà de celles programmées dans les premières phases soigneusement délimitées des projets en cours, aient déjà échoué. Mais s’il en est ainsi, c’est note le rapport, des projets qui semblaient viables en 2019 ne le sont plus que de façon marginale en 2020. En effet, si les entreprises ont l’habitude d’investir dans un contexte de volatilité des prix, peu d’entre elles s’attendent à ce que les prix du pétrole ou du gaz reviennent bientôt à leur niveau de 2018-19, et entre-temps, les signaux du marché concernant la baisse structurelle des prix due à la transition énergétique se font plus forts.

Selon le FMI si la demande de pétrole atteignait un pic au début des années 2020, elle devrait décliner ensuite lentement. Mais, note le rapport, cela supposait que le point de départ était le prix au comptant de 2019, soit 65 dollars. Alors qu’en 2020 le prix est sous les 45 dollars, notamment à cause de la Covid 19. Mieux, le document rapporte que la baisse structurelle des prix se poursuit vers 2030. Ainsi, selon le rapport, l’écart entre la prévision du FMI qui n’avait pas pris en compte l’impact de la Covid 19 et l’autre qui la prend en compte en même temps de la transition énergétique représente près d’un trillion de dollars par an de ventes – et des milliards de dollars sur la durée de vie de tout projet individuel d’envergure. A cela s’ajoutent les longs délais d’exécution des projets pétroliers et gaziers, en particulier offshore, central au Sénégal. L’exploration a été entravée par la Covid-19. Mais une découverte faite en 2020 ne devrait pas atteindre son pic de production avant les années 2030 et, selon les hypothèses du « business as usual » (un concept qui veut dire : comme d’habitude, sans changement de méthode) qui prévalait jusqu’à récemment, serait toujours en production en 2050.

Selon le rapport, le stade de développement, où des milliards de dollars doivent être engagés dans un projet qui dure des décennies, est le « grand filtre » de la nouvelle production. C’est pourquoi, selon Rystad, un des principaux fournisseurs d’informations techniques à l’industrie pétrolière, les approbations de nouveaux projets de combustibles fossiles se sont pratiquement effondrées au cours du premier semestre 2020. Cela rend le développement de projets découverts mais pas encore développés comme Yakaar-Teranga plus improbable au fil du temps.

« Bien que deux projets soient actuellement en cours de développement, le champ pétrolier de Sangomar dans le sud et le champ gazier de Grand Tortue Ahmeyim (GTA) dans le nord, le financement et les engagements ont été limités aux premières phases qui ne produiront qu’une partie de leurs réserves connues : moins de 40% à Sangomar et peut-être à peine 10% dans le GTA », constate le document, ajoutant que le fait que le filtre de la phase de développement ait été passé dans les deux projets, au moins formellement en termes de décision finale d’investissement (DFI), explique pourquoi ces premières phases devraient se dérouler comme annoncé malgré la crise de la Covid-19 – des milliards de dollars ont déjà été dépensés et sont des coûts irrécupérables, ce qui rend leur perspective économique beaucoup plus viable que tout nouveau projet.

« L’expansion de Sangomar pour atteindre toutes les réserves actuelles nécessiterait 4 milliards de dollars supplémentaires, tandis que l’augmentation significative de la capacité de GTA coûterait probablement au moins 2,5 milliards de dollars. Les entreprises estimeront les taux de rendement de ces capitaux et les revenus supplémentaires qu’ils pourraient apporter, indépendamment des opérations. Il pourrait y avoir des gains de rentabilité par rapport à un projet entièrement nouveau. Mais les expansions se situent toujours derrière le filtre de la phase de développement », assure encore le rapport.

Pour finir, le rapport a tiré un certain nombre de conclusions. Selon lui, le secteur offshore n’apportera aucune contribution significative aux finances publiques du Sénégal. Les recettes atteindront à peine 2 % du budget annuel, et ce uniquement à partir des années 2030.

« Les revenus du pétrole et du gaz ne peuvent pas alléger la dette publique du Sénégal, qui s’enlève à environ 15 milliards de dollars. En utilisant des méthodes standard d’actualisation des revenus futurs pour déterminer la valeur actuelle, le secteur pourrait valoir 1 milliard de dollars – au ​total​. Cela représente moins d’un an de service de la dette actuelle », note le rapport, qui ajoute que la fenêtre temporelle pour développer toute nouvelle découverte est probablement déjà̀ close. « Cela vaut pour le pétrole mais également pour le gaz, en dépit du rôle de transition reconnu de ce dernier, puisque les marchés mondiaux du gaz naturel liquéfié (GNL) devraient être structurellement sur approvisionnés au cours de la prochaine décennie ».

Dans le cas de GTA, le document assurent que les investisseurs pourraient s’engager dans des formes d’arbitrage pour améliorer leur situation financière, soit par des accords autour du traitement du GNL qui restent à conclure, soit par des accords de vente. L’un ou l’autre réduirait encore les revenus futurs du Sénégal par rapport au scénario de base.

Aussi, conclut le rapport, les entreprises ne soumissionneront probablement pas d’offres selon les conditions fixées lors du premier cycle d’octroi de licences au Sénégal, actuellement prévu pour septembre 2020, car ces conditions, dans leurs formes actuelles, tentent de redresser la part relativement faible des bénéfices du gouvernement dans les contrats précédents en imposant des conditions fiscales plus élevées, au moment même où les investisseurs se sentent coincés par la Covid-19 et la transition énergétique.

« L’exercice du droit contractuel du Sénégal pour sa compagnie pétrolière d’État Petrosen d’assumer son droit de participation au capital des ​projets Sangomar et GTA, même à leur échelle réduite actuelle, ​expose le Sénégal à plus d’un milliard de dollars de dettes supplémentaires. Il existe un risque important que ces prêts ne soient jamais remboursés, ce qui en ferait des investissements déficitaires. », prévient le rapport.

Et de finir par noter que l’économie du projet est très sensible à toute nouvelle perturbation, comme par exemple tout nouveau retard opérationnel dû à la Covid-19, ou à la possibilité que le Sénégal mette en place, au cours des 20 prochaines années, des politiques visant à limiter la production de combustibles fossiles. « Ces éléments n’ont pas été inclus dans le modèle, mais réduiraient encore les revenus », termine « Open Oil ».

« Open Oil » est une société basée à Berlin dont la mission est de créer un cadre de données ouvertes pour la gestion des ressources naturelles à un niveau supranational – car c’est la seule façon dont les ressources naturelles seront durables à long terme. La façon dont nous construisons cette vision à long terme est de fournir des services qui augmentent la transparence et l’analyse coûts-avantages des industries telles qu’elles sont actuellement gérées.

Fatima Ba (klinfos.com)

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