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[Tribune] Macky, Sonko et l’hubris – Par Hady Ba

[Tribune] Macky, Sonko et l’hubris - Par Hady Ba
Caricature sur la situation du pays par ODIA (Tribune)

Les grecs avaient cette idée le signe le plus implacable qu’un humain court à sa perte, c’est qu’il tombe dans l’hubris. Cette dernière est la forme extrême d’arrogance, la démesure qui fait que l’on s’égale aux dieux et s’attribue les pouvoirs qui ne sont pas les nôtres, singulièrement ceux d’une divinité. Ce faisant, l’humain destiné à se perdre déclenche la furie de Némésis, déesse du châtiment qui vient rééquilibrer l’univers en réduisant violemment l’arrogant à de justes proportions.

Le 31 décembre 2020, le Président Macky Sall a laissé éclater son hubris à la face du peuple sénégalais. Satisfait de ses réalisations et plus encore du contrôle absolu qu’il avait sur le pays, ayant éliminé la plupart de ses opposants, géré correctement la pandémie et domestiqué les syndicats, il se laissa aller à confier aux journalistes que la justice, c’était lui. Ces histoires d’indépendance de la justice, c’est bien joli, mais c’est bien lui qui signe les nominations des magistrats, nous dit-il et il s’attendait à ce que les magistrats lui obéissent dans les dossiers délicats.

Si cette manifestation ouverte de la présidence impériale de Macky Sall avait choqué tout le Sénégal, la vérité, c’est que l’on ne voyait pas vraiment comment y remédier. La magistrature sénégalaise ne semblait toujours pas disposée à prendre son indépendance. Les syndicats et société civile n’arrivaient absolument pas à faire entendre raison à Macky Sall. Sa famille et ses affidés continuaient à faire preuve de la même extrême arrogance, du même mépris pour les lois et la population que leur maitre.

Début février, l’opinion apprenait que la même justice qui avait, avant les élections présidentielles, éliminé celui qui était perçu comme le principal opposant au Président, ouvrait une enquête sur l’actuel principal opposant au président, M. Ousmane Sonko. Ce dernier, non seulement fréquentait un lieu pour le moins peu recommandable, mais en plus était accusé de viols multiples sur une des masseuses officiant dans cet établissement. Si les gens étaient généralement choqués que notre principal opposant, qui jusqu’ici était perçu comme un musulman rigoriste et austère, fréquente ce type d’établissements ; peu prenaient au sérieux les accusations de viol. La réaction de Sonko fut directe et offensive : il avait certes fréquenté cet endroit mais était victime d’un complot ourdi au plus haut sommet de l’État par Macky Sall lui-même et il vendrait chèrement sa peau.

Après un psychodrame de trois semaines que je vous épargnerai, l’immunité de Sonko fut levée par un parlement aux ordres et le Préfet de Dakar lui-même, accompagné de la force publique, fit obstruction au déplacement de Sonko vers le palais de justice en essayant de lui imposer un itinéraire puis l’arrêta pour trouble à l’ordre public.

C’est alors que Némésis entra en scène et déchaina l’enfer sur le Sénégal tout entier. Le pays connut les manifestations les plus violentes et les plus généralisées depuis au moins deux décennies. En quelques jours, des groupes de jeunes et de moins jeunes prirent d’assaut le pays, pillèrent les magasins Auchan, les stations service Total mais également d’autres commerces tenus par des sénégalais. La jeunesse éduquée prit d’assaut les réseaux sociaux, informa le monde sous le hashtag #FreeSenegal et mobilisa les stars du web.

En quelques jours, nous avons eu presque autant de morts que tout le processus quasi insurrectionnel qui a mené en 2012 au remplacement de Abdoulaye Wade par Macky Sall. Si mes comptes sont exacts, nous en sommes actuellement à 10 morts là où tout le processus antérieur en a fait 12.

Les choses se sont dénouées entre le 5 et le 8 mars. Le 5, on a eu droit à un discours martial du ministre de l’intérieur, l’ancien procureur en charge de l’élimination des opposants au Président Macky Sall. Non content de traiter les manifestants de terroristes et de voir à l’œuvre des « forces occultes identifiées », il réussit la prouesse de faire un réquisitoire sans concession et rempli de menaces mais n’adressant absolument pas les questions légitimes que les citoyens étaient en droit de se poser :

Il était affirmé que son épouse avait coaché la plaignante, accréditant ainsi la thèse du complot d’État. Qu’en était-il ?
La plaignante avait été transportée par un proche du pouvoir en probable violation du couvre-feu après le présumé viol. Quelle était la justification de cette implication ?
Le jour où il s’exprimait, un jeune non-manifestant avait été tué par balle. Une enquête était-elle ouverte ?
Tout le monde avait vu à la télé des nervis (probablement des lutteurs au chômage) qui battaient des manifestants sans être inquiétés par les forces de l’ordre. Cet usage de supplétifs était-il acceptable dans une république ?
Toutes ces questions furent royalement ignorées par un ministre qui se croyait toujours procureur. Le peuple manifesta donc de plus belle, les morts s’accumulèrent, une gendarmerie fut brulée au fin fond du pays, les forces de l’ordre furent clairement débordées et l’on vit pour la première fois de l’histoire du pays des supplétifs armés de fusils accompagner les forces de l’ordre usant de grenades lacrymogènes.

(Source twitter. Je ne mets pas le @ pour ne pas mettre en danger la personne)
Le lendemain un politicien ancien opposant publiquement acheté par Macky Sall fit une adresse au peuple dans laquelle il proposa ce que je ne puis qualifier que de pacte de corruption à Ousmane Sonko. Les manifestations continuèrent de plus belle. Dimanche au cœur de la nuit, l’on apprit que le procureur levait une partie des charges retenues contre Ousmane Sonko et libérait ses compagnons.

Le lundi, les manifestations continuèrent, Ousmane Sonko fut libéré et fit un discours (que je trouve excellent) et le Président de la République fit également un discours où il essaya de dire qu’il comprenait la frustration de la jeunesse qui avait menée à ces manifestations, allait rediriger le budget vers le règlement de leurs problèmes économiques et veiller à ce que la justice s’exerce équitablement.

Une chose est sure, les manifestations que nous avons vues dans ce pays ne sont pas seulement dues à une affection pour Ousmane Sonko et une adhésion à son programme de gouvernement. Elles traduisent une profonde misère de la population. À titre d’illustration, voici, selon certains les sandales que portait l’un des jeunes tués dans les manifestations.

Comme en 2012, les sénégalais ont montré que s’ils sont prêts à tolérer un certain niveau de prévarication et d’autoritarisme, il y a des limites à ne pas dépasser avec eux et qu’ils n’accepteront pas l’installation d’une dictature. L’une des questions en toile de fond de cette révolte en effet, au delà du sort de Sonko, est le projet transparent du chef de l’État de briguer illégalement un troisième mandat. Les manifestations de ces derniers jours envoient le signal que, contrairement à ce que certains craignaient, le peuple sénégalais s’opposera avec la dernière énergie à un tel projet. Macky Sall en tiendra-t-il compte ? J’avoue que je ne le crois pas mais espérons que je me trompe.

Depuis le début de cette crise, ma position de principe est que quelque méfiant que l’on soit de la justice, l’on ne peut pas simplement rejeter d’un revers de la main des accusations aussi graves que le viol. Quand la poussière sera retombée, il restera qu’une dame, certes coachée et instrumentalisée par des proches du pouvoir, accuse notre principal opposant de viol. Il demeure également que cet opposant a lui-même reconnu qu’ils se sont tous deux trouvés dans la même pièce. De telles allégations doivent être investiguées. J’ai moi même voté pour cet opposant lors des dernières élections présidentielles. Je pense cependant que si nous devons refonder cette République, cela passe par un traitement égal de tous les citoyens. Le citoyen Sonko a été accusé de viol par une citoyenne. De deux choses l’une. Soit il est coupable et alors sa place est en prison. Soit il est innocent et dans ce cas, l’enquête doit démanteler le complot qui a mené à tous ces morts. Aucune autre solution n’est acceptable. Malheureusement, hier déjà des députés proposaient une sorte d’accord mafieux dans lequel l’Assemblée nationale empêcherait la justice de poursuivre l’enquête sur ces allégations. Ce serait là une décision catastrophique parce que cela perpétuerait cette tradition patriarcale trop commune selon laquelle les femmes sont quantité négligeable dans le cours de l’histoire.

Il est indéniable que la justice sénégalaise, qui est légalement indépendante, refuse de prendre son indépendance. Quelle que soit la décision qu’elle prendra dans cette affaire, il sera dit qu’elle est complaisante. C’est là que le discours du Président de la République est particulièrement décevant. Il a certes affirmé qu’une enquête indépendante aurait lieu mais il n’a pas dit comment il comptait s’y prendre pour que ce soit le cas. Or, c’est lui-même qui nous avait appris le 31 décembre que la justice sénégalaise obéissait à ses ordres.

Il me semble que la société civile sénégalaise doit prendre ses responsabilités pour que la sortie de crise se fasse sans sacrifier les droits humains. Pour cela, il faut qu’elle se saisisse de trois questions graves : celle des manifestants tués, celle des supplétifs armés qu’on a vus réprimer les manifestants, et celle du viol. Il faut une enquête indépendante sur ces questions là et que tous ceux qui sont impliqués soient punis afin que plus jamais cela ne se reproduise. Nous l’avons vu, chaque cycle électoral au Sénégal, semble charrier son lot de morts. En 2012, nous en avons eu 12. En 2021, alors que nous ne sommes même pas en année électorale, nous en sommes à 10. Il faut que cela cesse. Et pour que cela cesse, il faut que ceux qui dirigent ce pays sachent que les organisations de la société civile les poursuivront jusque dans les juridictions internationales si nécessaire.

De même, pour éviter que ne prolifèrent les nervis armés, il faut que le ministre de l’intérieur actuel soit mis devant ses responsabilités. Comment se fait-il que ses forces de police n’aient pas protégé les manifestants de ces supplétifs ? Last but not least, nous élisons un président, pas un monarque pour en remplacer un autre. D’une personne aspirant au pouvoir, nous ne devons présumer qu’elle ne peut mal faire. Bien au contraire, nous devons l’obliger à adopter les standards légaux et moraux les plus stricts. Les allégations de viol contre Sonko doivent donc être d’autant plus prises au sérieux qu’il pourrait à l’avenir détenir un énorme pouvoir sur les citoyens de ce pays.

Par Hady Ba

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