Moustapha Lô : 54 ans après, témoignages inédits sur celui qui a essayé d’assassiner Senghor
Au Sénégal, la peine de mort abolie le 10 décembre 2004 sous le régime de Me Abdoulaye Wade, a fait deux victimes : Abdou Ndafakhé Faye et Moustapha Lo. Le premier a été reconnu coupable du meurtre du député Demba Diop et exécuté le 11 avril 1967 alors que le deuxième a connu le même sort, deux mois plus tard.
Membre de la très connue famille maraboutique des Kane de Kaolack, Moustapha Lô s’est révélé à une partie de ses compatriotes à travers l’acte qu’il aura posé le 22 mars 1967 à la grande mosquée de Dakar.
Alors président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, assistait à la prière de Tabaski depuis une tribune dressée pour l’occasion. À la fin de la prière, un homme, pistolet à la main, surgit et tente un tir qui ne partira jamais. Il s’agit de Moustapha Lô qui fut premier secrétaire à l’ambassade du Sénégal au Caire (en Egypte) alors que son cousin germain, Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al Maktoum tenait le poste d’ambassadeur au début des années 60.
Il est aussitôt arrêté et conduit au commissariat central de Dakar avant d’être interné à la prison civile de Dakar (actuelle Mac de Rebeuss). Reconnu coupable de tentative d’assassinat, il est condamné à la peine capitale le 15 juin 1967. Il sera exécuté le 29 juin de la même année en dépit des interventions auprès de Senghor de El Hadji Ousmane Kane, d’El Hadji Abdoul Aziz Sy Dabakh, de Thierno Seydou Nourou Tall et du Cardinal Hyacinthe Thiandoum. Il faut préciser que Moustapha Lô n’a pas cessé de clamer son innocence. Mais dès lors qu’il avait pointé une arme contre le tout puissant Senghor, son sort était scellé. La famille de Moustapha Lô se rappelle ce jour où tout a basculé.
Un membre de la famille qui a souhaité garder l’anonymat, fustige la manière dont le procès a été conduit. Selon notre interlocuteur, Moustapha Lô n’a pas eu droit à un procès équitable. « Il a été jugé malhonnêtement », déplore-t-il, le cœur serré. Il n’a pas compris l’empressement de la justice dans une affaire aussi sérieuse et qui pourrait se conclure par l’exécution d’un homme. Cinquante quatre ans après, la plaie ne s’est pas refermée.
Pour ses proches, il n’était pas violent. « Il n’immolait même pas son mouton de Tabaski », argue ce proche de la famille. « Il voulait juste envoyer un message à Senghor qui se croyait invulnérable », ajoute-t-il en alléguant que « l’arme n’était même pas chargée ». Au tribunal, l’accusé aurait eu le même propos. « Je n’avais pas l’intention de tirer sur Senghor. Je connais parfaitement le maniement de l’arme. Je voulais lui prouver que malgré ses gorilles, il n’était pas à l’abri de la vindicte populaire », aurait dit Moustapha Lô.
Cité par la presse, l’ancien directeur adjoint du Cabinet de Senghor soutient que Moustapha Lô n’a pas une seule fois donné l’impression d’avoir failli à sa mission, sa famille se souvient d’un homme qui a accepté son sort. « Il a toujours été digne dans l’épreuve. Durant les trois mois qu’il a fait en prison, il s’est comporté en citoyen modèle. La preuve, il donnait des cours coraniques et dirigeait les prières », témoigne ce membre de la famille interviewé par Dakaractu.
Le jour de son exécution, ajoute notre interlocuteur, il fit preuve d’un courage et d’une sérénité surprenants. Il a demandé à faire deux rakkas et à réciter la sourate Yassine (36e du Saint-Coran) avant de passer sous les balles du peloton d’exécution. Il est enterré au cimetière de Soumbédioune à la place des anciens Abattoirs ou « Bettouar ».
Ses six enfants (cinq filles dont un décès et un garçon) qui savaient qu’ils vivraient à jamais avec l’étiquette de fils de « l’homme qui a voulu attenter à la vie Senghor », ont su qu’ils devaient se fabriquer une carapace de fer dans une société où la stigmatisation a de solides racines. « Ses enfants ont décidé de ne pas prêter le flanc pour ne pas être pointés du doigt éternellement», a-t-on appris du cercle proche de la famille du défunt. Une fratrie qui a gardé le silence toutes ces années et qui croit fermement que l’heure de rétablir la « vérité des faits a sonné ».
Certes, elle accepte le « sacrifice » consenti par son patriarche, pour autant, elle ne laisserait plus personne ternir son image. « Même les images qu’on publie de lui, alors qu’il était en détention concourt à l’humilier davantage alors qu’il fait partie de l’une des familles les plus illustres du Sénégal », fustige notre témoin, selon lequel, Moustapha Lô a pris sa revanche sur ses « bourreaux qui n’ont pas connu une existence apaisée » .
Avec Dakaractu