Sénégal: l’urgence d’interroger les politiques environnementales face aux catastrophes naturelles
Fin 2020 et début 2021, le Sénégal a connu une série d’incidents environnementaux dont certains ont frôlé la catastrophe. Du nitrate d’ammonium stocké au port de Dakar, à la mort d’environ 750 pélicans blancs au parc de Djoudj, en passant par la maladie dite “mystérieuse” des pêcheurs et l’explosion du puits gazier à Ngadiaga, il y a eu de faits qui amènent à se poser les questions suivantes: n’est-il pas urgent pour l’Etat sénégalais d’interroger les politiques environnementales face aux catastrophes naturelles? Quel dispositif sécuritaire et de prévention sont réellement mis en application au Sénégal pour parer à ces éventuels dangers qui pourraient découler de ces forces de la nature?
Nitrate d’ammonium au port de Dakar: quel dispositif sécuritaire?
27 août 2020. La quantité de nitrate d’ammonium (le nitrate d’ammonium est irritant et toxique pour l’être humain et expose à un risque d’incendie et d’explosion en cas de confinement avec exposition à des températures élevées) qui a transité par le Port Autonome de Dakar vers le Mali a plutôt augmenté ces dernières années. En effet, le Secrétaire général du ministère des Transports et de la Mobilité urbaine du Mali, M. Marc Dabou, dans des propos relayés par le journal sénégalais « Le Témoin » affirme que la quantité de nitrate est passée de 18 000 tonnes en 2018 a 21 000 tonnes en 2019 et …3050 tonnes courant 2020.
Nitrate d’ammonium, cela ne vous dit-il rien ?
Utilisé pour fabriquer de l’engrais ou des explosifs, ce produit très dangereux est à l’origine des deux explosions successives au port de Beyrouth (Liban) en août 2020. Le bilan de cette détonation fait état de 204 morts, plus de 6 500 blessés, et neuf disparus, avec de nombreux dégâts matériels estimés à plusieurs milliards de dollars.
Cette catastrophe a suscité de l’émoi dans le monde et au Sénégal. Ainsi, le gouvernement sénégalais a paré au plus pressé, en mettant en demeure le propriétaire de la cargaison des 3050 tonnes de nitrate d’ammonium, de le transporter dare-dare vers sa destination finale.
En conseil des ministres le 19 août 2020, le président sénégalais Macky Sall a demandé aux ministres de l’Intérieur et de l’Environnement de mettre en œuvre un « plan national de recensement, d’audit et de sécurisation des dépôts de produits chimiques dangereux », peut-on lire sur le site « Le Monde Afrique ». Ces mesures prises par le gouvernement ne rassurent pourtant pas. Qu’en est-il de leur application? Ne faut-il pas d’ores et déjà, prévoir et mettre en place, au niveau du port, un dispositif de prise en charge de ce type de cargaisons, garantissant un maximum de sécurité pour tous ?
Politique environnementale, quid de la “maladie mystérieuse” des pêcheurs sénégalais?
12 novembre 2020. Le quartier de Thiaroye-sur-mer dans la banlieue de Dakar, se réveille sous le choc : une maladie mystérieuse affecte ses fils revenus de mer, avec des lésions dermatologiques sur le visage, les membres et même parfois sur les parties intimes ; sans compter que les yeux des personnes affectées sont larmoyants.
Comme une traînée de poudre, la maladie mystérieuse s’étend aux pêcheurs partis en mer de Joal, Kayar, Rufisque, Yène, Fass Boye. Et la rumeur d’enfler, incriminant tour à tour, un navire espagnol qui aurait rejeté une substance toxique en mer, les filets de pêche…
300 cas ont été détectés et côté autorités, plus de deux mois après, il n’y a pas de certitude. La direction de l’Environnement et des établissements classés s’est adjoint les services du Centre régional de recherche en écotoxicologie et sécurité environnementale, du centre antipoison ainsi que du centre de recherches sur les produits halieutiques à Nantes, pour faire les analyses et croiser les résultats.
En conférence de presse le 7 janvier 2021, le ministre de la Santé et de l’Action sociale, Abdoulaye Diouf Sarr affirmait: « Jusqu’ici, l’origine de la maladie demeure inconnue, mais la piste algale est une piste qui peut être sérieuse si l’on se réfère aux résultats des premières analyses effectuées sur les algues prélevées ».
Thèse toutefois contredite par Bassirou Ndiaye, environnementaliste dans les colonnes du quotidien « La Tribune » : « Il n’y a pas d’algues en mer. Les algues échouent. Les pêcheurs artisanaux pêchent en surface. Ce sont les bateaux européens qui pêchent en profondeur. L’infection n’est pas liée aux algues. Elle est toxique. Indéniablement, c’est une contamination toxique ».
Toujours est-il que des cas de « rechute » ou de « re-contamination » selon les autorités médicales ont été recensés, nous amenant à nous interroger. « N’y avait-il pas lieu d’isoler les pêcheurs même guéris, les empêchant de retourner en mer, en attendant les résultats ? Trois mois, c’est bien long pour trouver un coupable et si la maladie avait eu des formes plus sévères ?
19 décembre 2020. Un incendie s’est déclaré au niveau d’un puits de gaz naturel à Ngadiaga, dans la région de Thiès, sur un site exploité conjointement par la société nationale Petrosen du Sénégal et l’entreprise américaine Fortesa depuis les années 2000. Au pic de son exploitation, environ 150 000 m3 de gaz sortaient quotidiennement du gisement pour répondre aux besoins énergétiques des turbines de la Société Nationale d’Electricité du Sénégal (SENELEC) et de la Société commerciale du ciment (SOCOCIM).
Depuis, la production a chuté. Actuellement selon Petrosen entre 30 000 et 35 000 m3 de gaz y sont produits et vendus cette fois uniquement à la Société commerciale du Ciment (Sococim). Mais les entreprises ont découvert un “autre niveau où il y avait du gaz. C’est lors de la transaction pour prendre le gaz qu’il y a eu cet incident”, a expliqué la ministre du Pétrole et des Énergies, Mme Sophie Gladima. Se voulant rassurante, la ministre déclare sur le plateau de la RTS, la chaîne publique sénégalaise: « Il n’y a pas de risques d’explosion. C’est juste la flamme qui sort. C’est comme un chalumeau ».
Mme Gladima ne croyait pas si bien dire puisque selon Mame Samba Gadiaga porte-parole du Collectif pour le développement de Ngadiaga, « (…) nous avons eu très peur. L’explosion était très forte. Beaucoup de villageois ont dû fuir pour passer la nuit dans les villages environnants. Ils craignaient que le feu s’étende aux autres puits de gaz. La flamme du feu était si forte qu’elle a brûlé les manguiers et les champs qui étaient près du site. Quelques maisons qui sont proches du site ont aussi été évacuées. Les flammes dégagent une fumée qui pollue et recouvre le village. On peut même le voir à cinq ou dix kilomètres. L’État nous avait laissé croire que l’exploitation des réserves de gaz n’était pas dangereuse pour nous. Mais aujourd’hui, les faits contredisent cela ».
Dans les colonnes du quotidien « Source A », le Docteur en énergétique et chercheur dans une multinationale du pétrole, Amadou Cissé, affirme que « vu le contexte actuel, si rien n’est fait, le puits va continuer de brûler jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de gaz. Il y a une forte émission de CO2 dans l’environnement, à cause de la fumée noire très forte que l’on aperçoit ». Soutenant que « la fumée renferme des imbrûlés et des particules fines qui se dissipent dans l’air. Le fait d’inhaler ces particules est, en soi, très nocif pour la santé ».
Combien d’années faudra t-il pour que les grandes compagnies minières et les autorités du pays se penchent sur le sort des populations et sur la nécessité de mettre en place des mécanismes pour prévenir et gérer les catastrophes environnementales liées à l’exploitation du gaz?
Le 23 Janvier 2021. Situé à une soixantaine de kilomètres au nord de Saint-Louis, le parc national des oiseaux du Djoudj (PNOD) est la troisième réserve ornithologique du monde. Djoudj est un site exceptionnel qui s’étend sur 16 000 hectares dans le delta du Sénégal. Cette cuvette est l’une des rares contrées vertes du Sahel.
Ce petit coin de paradis pour oiseaux migrateurs a fait la « Une » de l’actualité au Sénégal. « Ce 23 janvier 2021, à la suite d’une patrouille effectuée par les agents du Parc national des oiseaux de Djoudj, il a été constaté une mortalité de 750 pélicans blancs dont 740 jeunes et 10 adultes », annonce un communiqué reçu du Service communication du ministère de l’Environnement et du Développement durable, repris par Sudonline.
Accès du parc au public interdit, renforcement de la surveillance, suspension des promenades en pirogue, telles sont, entre autres, les premières mesures conservatoires prises.
Selon ledit communiqué, « durant la période de migration et de forte concentration des oiseaux d’eau au Parc national des oiseaux de Djoudj, il arrive que des cas de mortalités soient signalés chez les populations de pélicans, notamment parmi les juvéniles ».
Toujours est-il qu’après investigation, le ministre de l’Environnement et du Développement durable, Abdou Karim Sall confirme : « ll s’agit de l’Influenza aviaire de type A, qui est un sous-type de la grippe H5N1, communément appelée grippe aviaire (…)».
Entre un environnement sous régional propice à une épidémie de grippe aviaire et le phénomène tout à fait prévisible de migration des oiseaux d’eau, n’y avait-il pas une possibilité d’anticiper sur ce drame avec une batterie de mesures de prévention sachant que la grippe aviaire avait été signalée au Sénégal depuis le 8 janvier 2021?
Pelican near Mar Lodj fishing village, Fatick region, Senegal. © Clément Tardif / Greenpeace
Quatre faits de société, quatre thématiques qui ont toutes une seule et unique convergence d’effets : la négligence ou l’absence de culture environnementale dans la conduite des politiques et des projets.
Comme si dans le domaine de l’environnement au Sénégal, gouverner, c’est peut-être tout sauf prévoir.
Cheikh Bamba Ndao