Guinée : retour sur les 24 heures qui ont vu tomber le régime d’Alpha Conde
La Guinée plonge vers un avenir incertain, après le coup d’Etat d’hier. Les militaires, avec à leur tête le commandant Mamady Doumbouya, ont procédé ce dimanche matin à l’arrestation du Président Alpha Condé, devenant du coup les nouveaux maîtres de Conakry. Alors qu’ils se dirigeaient à la télévision nationale pour faire leur déclaration, les militaires sont applaudis par des citoyens qui affichent leur satisfaction de vivre ce changement de régime. De leur côté, l’Organisation des Nations-Unies et l’Union Africaine ont condamné une prise de pouvoir par la force, alors que certaines représentations diplomatiques appellent leur citoyens sur place à rester chez eux.
Une foule en liesse est sortie pour acclamer les militaires sur la route Le Prince pour leur «courage». «Vive l’armée ! Vive le coup d’Etat !», criaient-ils, comme on peut le constater sur des vidéos publiées sur internet. Des slogans qu’ils ont scandés dans les rues de Conakry à l’endroit des militaires.
«Nous avons décidé après avoir pris le Président, qui est actuellement avec nous (…), de dissoudre la Constitution en vigueur, de dissoudre les institutions ; nous avons décidé aussi de dissoudre le gouvernement et la fermeture des frontières terrestres et aériennes», dit le putschiste en chef en uniforme et en armes, dans une déclaration qui a aussi abondamment circulé sur les réseaux sociaux.
Une concertation nationale pour une transition inclusive et apaisée
Les militaires se sont plus tard rendus à la Radiodiffusion télévision guinéenne (Rtg) pour soumettre leur communiqué de prise du pouvoir. Le drapeau guinéen autour du cou, le nouveau maître du pays, le commandant Mamady Doumbouya a expliqué à la Rtg ses motivations et annoncé une transition militaire «rapide et paisible». Dans son discours à la télévision nationale, le colonel Mamady Doumbouya a dénoncé les tares du pouvoir caractérisé par une gabegie financière, la politisation à outrance de l’administration publique, la pauvreté et la corruption endémique.
Pour mettre un terme à ces tares, la junte a promis de travailler désormais avec «le peuple souverain de la Guinée dans sa totalité. Nous avons décidé à partir de l’instant de dissoudre la Constitution», a ajouté le colonel, précisant que la junte s’engage à faire participer «les quatre régions naturelles, et la diaspora» dans la rédaction d’une nouvelle constitution.
«Il y a eu beaucoup de morts, beaucoup de blessés, et beaucoup de larmes. Nous allons tous nous asseoir pour rédiger une constitution qui est adaptée à nos réalités, capable de régler nos problèmes parce que si vous voyez l’état de nos routes, vous voyez l’état de nos hôpitaux, vous vous rendrez compte qu’après 62 ans d’indépendance, il est temps qu’on se donne la main», a déclaré l’ex-soldat de la Légion de l’armée française.
«Nous allons engager une concertation nationale pour une transition inclusive et apaisée. Plus personne ne doit mourir pour rien», assure le patron de la junte, rassurant que l’ensemble des organisations et partenaires internationaux, sur le respect des engagements pris vis-à-vis d’eux et de la communauté internationale.
La contestation réprimée à plusieurs reprises
Il faut rappeler que le Président Alpha Condé renversé dimanche par le coup d’État, vient d’entamer un troisième mandat, après une réforme de la constitution fortement controversée qui avait provoqué avant et après l’élection, des mois de tensions qui ont causé des dizaines de morts dans un pays coutumier des confrontations politiques sanglantes.
L’élection a été précédée et suivie par l’arrestation de dizaines d’opposants.
Ancien opposant historique, emprisonné et même condamné à mort, Alpha Condé était devenu en 2010 le premier président démocratiquement élu en Guinée, après des décennies de régimes autoritaires. Le 19 juillet 2011, Alpha Condé, élu l’année précédente, était sorti indemne d’une attaque menée par des militaires contre sa résidence. Il avait accusé plusieurs personnalités, et mis en cause le Sénégal et la Gambie, qui avaient démenti.
Il a rejoint aux yeux de ses adversaires et de maints défenseurs de la démocratie les rangs des dirigeants africains se maintenant au pouvoir au-delà du terme prévu, de plus en plus souvent en usant d’arguments légaux.
Alpha Condé avait fait adopter en mars 2020, malgré une contestation déjà vive, une nouvelle Constitution pour, disait-il, «moderniser [les] institutions» et, par exemple, accorder une plus grande place aux femmes et aux jeunes. L’opposition dénonçait un «coup d’Etat» constitutionnel. La contestation a été à plusieurs reprises durement réprimée.
M. Condé se targue d’avoir fait avancer les droits de l’homme et d’avoir redressé un pays qu’il dit avoir trouvé en ruines. Il se défendait en octobre 2020 sur Radio France Internationale et France 24 de vouloir instaurer une « présidence à vie». La nouvelle Constitution lui permet théoriquement de se représenter dans six ans, une éventualité sur laquelle il s’est gardé de se prononcer.
Qui est le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya
Lieutenant-colonel et commandant du Groupement des forces spéciales (Gps) de la Guinée, Mamady Doumbouya est celui qui affirme avoir pris le pouvoir en Guinée. Ce militaire passé au Sénégal pour suivre le cours de formation des commandants d’unité à l’Ecole d’application de l’infanterie (Eai) est en fait un ancien de la Légion de l’armée française. Il est rappelé en Guinée en 2018 pour prendre la tête du corps d’élite créé la même année : le Groupement des forces spéciales (Gps).
Le colonel Doumbouya qui aurait un link avec le Malien Assimi Goïta actuel président de la transition du Mali, lui aussi putschiste, a cité l’ancien président de la République du Ghana, Jerry Rawlings qui disait «si le peuple est écrasé par ses élites, il revient à l’armée de rendre au peuple sa liberté».
Sa volonté affichée et manifestée, ces derniers temps, d’autonomiser le Gps par rapport au ministère de la Défense avait fini d’installer un climat de méfiance des autorités guinéennes. D’ailleurs, au mois de mai dernier, il avait été fait état de l’arrestation du colonel Doumbouya. Ce qu’il avait démenti déclarant à la presse avoir toujours la confiance du président de la République.
Selon les observateurs, il a gravi tous les échelons de l’armée guinéenne. Compte tenu de la menace terroriste au Sahel, le colonel Mamady Doumbouya a été désigné pour diriger les Forces spéciales de la Guinée, qui ont leur siège à l’entrée de Kaloum, où se trouve le Palais présidentiel. Elles assuraient la sécurité du Président Alpha Condé et couvraient ses déplacements de façon extraordinairement sécurisée.
L’Onu et l’Union Africaine condamnent toute prise de pouvoir par la force
Le secrétaire général de l’Onu Antonio Guterres «condamne fermement toute prise de pouvoir du gouvernement par la force du fusil et appelle à la libération immédiate du Président Alpha Condé» en Guinée, a-t-il fait savoir dans un tweet diffusé ce dimanche en fin de journée. Il assure suivre «personnellement de très près la situation».
Le secrétaire général de l’Onu réagissait après plusieurs heures de confusion en Guinée où un coup d’Etat est en cours depuis la mi-journée.
De leur côté et par un communiqué conjoint, le président en exercice de l’Union Africaine (UA), le chef de l’Etat congolais Félix Tshisekedi et celui de la Commission de la même organisation, Moussa Faki Mahamat ont réagi au coup d’Etat qui a eu lieu ce 5 septembre 2021 en Guinée.
Félix Tshisekedi et Moussa Faki Mahamat condamnent «toute prise de pouvoir par la force» et demandent la libération immédiate du Président Alpha Condé. Les présidents en exercice de l’UA et de la Commission de l’UA invitent le Conseil de paix et de sécurité de l’organisation continentale à se réunir d’urgence pour examiner «la nouvelle situation en Guinée et pour prendre les mesures appropriées aux circonstances».
La Cedeao menace
Dans un communiqué signé par le chef de l’Etat du Ghana, Nana Addo Akufo-Addo, président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’organisation sous-régionale note avec une grande préoccupation les récents développements politiques survenus à Conakry en République de Guinée.
La Cedeao condamne avec la plus grande fermeté cette tentative de coup d’Etat de ce dimanche 5 septembre 2021.Toujours d’après le communiqué, la Cedeao exige le respect de l’intégrité physique du président de la République, le Professeur Alpha Condé et sa libération immédiate et sans condition ainsi que celle de toutes les personnalités arrêtées.
Elle exige également le retour à l’ordre constitutionnel sous peine de sanctions.
La Cedeao réaffirme sa désapprobation de tout changement politique anticonstitutionnel. Elle demande aux forces de défense et de sécurité de demeurer dans une posture républicaine et exprime sa solidarité envers le peuple et le gouvernement guinéens