Enquête

Pandora Papers – Mamadou Pouye, Bibo Bourgi, Karim Abou Khalil : l’empire offshore verrouillé des amis de Karim Wade

Mamadou Pouye, Bibo Bourgi, Karim Abou Khalil : l’empire offshore verrouillé des amis de Karim Wade
Mamadou Pouye, Bibo Bourgi, Karim Abou Khalil, l’empire offshore verrouillé des amis de Karim Wade

Notre enquête – basée sur la masse gigantesque de documents révélés par les Pandora Papers – révèle que Ibrahim Abou Khalil alias Bibo Bourgi, son frère Karim Abou Khalil Bourgi et Mamadou Pouye sont les propriétaires de plusieurs sociétés établies dans des paradis fiscaux. Avec l’assistance du cabinet d’avocats ALCOGAL, ils sont à la tête de trois fondations offshore (Alteos Foundation, Alteos One Foundation et Pifor Foundation). Celles-ci ont pu servir à sécuriser les biens et actifs pour lesquels la justice sénégalaise les a jugés coupables d’être des prête-noms pour leur ami d’enfance, Karim Wade.

PROCES A DAKAR, PARIS ET MONACO

Les documents inédits que nous avons étudiés durant plusieurs mois renseignent sur l’activisme de cette bande des trois, amis d’enfance de Karim Wade, que la justice sénégalaise a désignés comme des prête-noms de l’ancien tout-puissant ministre d’Etat. En 2015, ils ont été déclarés coupables de l’avoir aidé à dissimuler une fortune de 117 milliards de FCFA (environ 210 millions de dollars US ou 178 millions d’euros) dansdes comptes bancaires, institutions financières, sociétés immobilières, biens meubles, etc.

Selon le jugement définitif de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), Pouye et les frères Bourgi ont « (…) de 2000 à 2012, aidé ou assisté le nommé Karim Wade, dans la préparation, la facilitation ou la consommation des faits d’enrichissement illicite qui lui sont reprochés ».

Karim Wade et Bibo Bourgi ont été condamnés à six et cinq ans de prison ferme et à une amende de 138 milliards de FCFA (environ 210 millions d’euros) chacun, en plus de la confiscation de tous leurs biens au Sénégal et à l’étranger, « de quelque nature qu’ils soient, meubles ou immeubles, divis ou indivis, corporels ou incorporels, notamment les actions des sociétés dont ils sont bénéficiaires économiques », lit-on dans le jugement définitif de la CREI. Cette juridiction d’exception avait octroyé en sus à l’Etat sénégalais des dommages et intérêts de 10 milliards de francs CFA (environ 15 millions d’euros).

Mais à trois reprises, les requêtes du Sénégal visant à saisir les biens de Karim Wade ont été rejetées : en février et en mars 2020 par le tribunal de première instance de Monaco, puis en mars 2018 par la Cour d’appel de Paris.

Une grâce présidentielle a permis aux deux hommes de quitter le Sénégal. Le fils Wade, exilé nuitamment au Qatar depuis juin 2016, n’a plus remis les pieds au pays tandis que Bibo Bourgi s’est installé en France.

Jugé par contumace après sa fuite au Liban, Karim Abou Khalil a écopé d’une amende de 138 milliards de francs CFA, d’une peine de prison de 10 ans et d’un mandat d’arrêt international. Pour Mamadou Pouye, la sentence a été moins lourde : cinq ans de prison ferme et une amende de 69 milliards de FCFA (environ 105 millions d’euros). Lui aussi a été libéré.

UN BUSINESS JAMAIS INTERROMPU

Entre le 12 et le 19 janvier 2012, soit quelques semaines avant l’élection présidentielle sénégalaise pour laquelle Abdoulaye Wade n’était pas favori, six sociétés anonymes sont versées dans le patrimoine des frères Bourgi. Karim Abou Khalil est le bénéficiaire effectif final des compagnies Aman Holding S.A, Bay Front Holdings S.A et Bay Rock Holdings S.A, chacune étant constituée d’un capital de 10 mille dollars US. Blue Horizon Holdings S.A, Blue Infinity Holdings S.A et Cap Ouest S.A appartiennent à Bibo Bourgi.

Christian Bühlmann, patron du cabinet Trust Consult Luxembourg S.A., a exercé les fonctions de directeur de chacune des six compagnies citées ci-dessus.

Au moment ou l’Etat sénégalais cherchait à mettre la main sur des actifs appartenant à Bibo Bourgi et compagnie, le business des amis de l’ex tout-puissant ministre d’Etat sénégalais se développait

La compagnie Menzies Afrique S.A., créée et domiciliée au Luxembourg, spécialisée dans l’exécution et la sous-traitance d’activités aéroportuaires (services à l’escale, gestion de fret, manutention au sol et autres), semble avoir été une source de financement pour certaines entités de la galaxie Bibo Bourgi et associés. C’est elle qui leur a permis de mettre en place de structures particulières en zone offshore : les fondations, toutes contrôlées par Bibo Bourgi, Karim Abou Khalil et Mamadou Pouye.

Sollicités individuellement par mail à deux reprises, entre le 10 et le 30 septembre, pour répondre à nos questions, Ibrahim Abou Khalil, Mamadou Pouye et Karim Abou Khalil n’ont pas réagi.

DES FONDATIONS POUR METTRE A L’ABRI DES BIENS ET DES ACTIFS ?

En septembre 2011, des actions de Menzies Afrique S.A. sont été utilisées par les actionnaires pour constituer trois entités : Alteos Foundation (Bibo Bourgi), Alteos One Foundation (Karim Abou Khalil) et Pifor Foundation (Mamadou Pouye).

Les trois fondations, de droit panaméen et d’intérêt privé, ont été créées par le même cabinet panaméen, Alcogal Corporate Services (Aleman, Cordero, Galindo & Lee) qui est également leur agent résident, une sorte de bureau de représentation assurant les services de secrétariat et de toutes autres démarches nécessaires au bon fonctionnement de leurs activités.

Pandora Papers - Mamadou Pouye, Bibo Bourgi, Karim Abou Khalil : l’empire offshore verrouillé des amis de Karim Wade

Le moment choisi par les associés pour mettre en place leurs fondations ne semble pas relever du hasard. Il survient à quelques mois de la chute du président Abdoulaye Wade et de son fils ministre d’Etat tout puissant. Les Bourgi et Pouye ont-ils anticipé ce tournant pour sauver leurs biens et leurs actifs à travers une structure juridique difficilement attaquable comme une Fondation offshore ?

Une fondation offshore « est une solution idéale » pour « protéger son patrimoine et conserver ses actifs et ses biens. » A Panama, le propriétaire d’une fondation ne paie pas de droits de succession et peut rester anonyme. Pour Bibo Bourgi, Ibrahim Abou Khalil et Mamadou Pouye, le paradis fiscal panaméen est comme une aubaine.

« Le principe de territorialité de l’impôt de Panama est appliqué aux biens et actifs de la fondation. C’est-à-dire qu’elle ne paie pas d’impôts ni sur les biens, argents et actifs situés à l’étranger, de provenance de l’étranger, ni sur les actions ou titres dont les revenus sont de source étrangères, même s’ils se trouvent sur le territoire panaméen. »

Bibo Bourgi est le «premier bénéficiaire» d’Alteos Foundation. Un privilège partagé avec Karim Abou Khalil, « deuxième bénéficiaire », et un groupe de « troisièmes bénéficiaires » comprenant Dania Abi Saleh, l’épouse de Bibo Bourgi.

La dimension familiale est au cœur de Pifor Foundation. Outre Mamadou Pouye, qui en est le bénéficiaire effectif, on y retrouve sa femme sud-africaine, ses enfants et un de ses frères.

Les conseils de fondation (sorte de conseil d’administration) de chacune des trois entités sont composés des mêmes membres : Paul van Lienden et deux administrateurs panaméens.

Van Lienden est un spécialiste néerlandais des investissements offshore installé à Monaco. Il dirige le cabinet ICS Management. Banquier et administrateur de la société écran « Lea Trading Ltd » des Îles Vierges Britanniques, il est considéré sous plusieurs angles : « intermédiaire des opérations opaques », « l’homme des opérations les plus secrètes d’Ibrahim Abou Khalil », « celui qui connaît tous les actionnaires des sociétés offshore qui ne souhaitent pas être connus », d’après un bref profil dressé de lui par Le Monde Afrique.

« PROTECTOR »

Une fonction particulière se retrouve dans la gestion des trois fondations, celle du « Protector ». Les frères Bourgi le sont pour Alteos Foundation et Alteos One Foundation. Avec Pifor Foundation, ce rôle est dévolu à deux personnes : Alioune Pouye, un frère de Mamadou Pouye, et une certaine Kate Moodley.

Le Protector est une personne de confiance pour celui qui a créé la fondation, et non juste positionnée là au hasard. Il est choisi par le constituant de la Fondation pour diriger les trustees (des hommes de paille qui s’assurent de la gestion au jour le jour) et leur indiquer quoi faire en cas de désaccord. Il peut même, en fonction des accords et de la législation du pays, aller jusqu’à congédier les trustees et en nommer de nouveaux. Le Protector est une position de contrôle mais non de propriété.

En janvier 2017, les autorités panaméennes alertent le cabinet d’avocats ALCOGAL contre « les opérations suspectes » auxquelles se livrent Alteos Foundation, Alteos One Foundation et Pifor Foundation (toutes actionnaires de MMEA). Elles leur reprochent de n’avoir pas évalué à leur juste mesure les rapports d’opérations suspectes dont les trois fondations ont fait l’objet. A travers plusieurs documents officiels, Panama fait référence au jugement de la CREI contre les Bourgi et Pouye pour soupçonner que les trois fondations puissent être des « véhicules » potentiels de transfert frauduleux de fonds et de blanchiment de capitaux.

Rejetant ces allégations, le cabinet ALCOGAL indique avoir bien attiré l’attention de l’Unité d’analyse financière (FAU) du ministère de l’Economie de Panama dans un rapport qui concernait la société Menzies Middle East & Africa Holdings S.A. Les informations relatives à ces trois fondations ont été incluses (dans ledit rapport), étant donné qu’elles étaient les actionnaires de la société MMEA », précise le cabinet.

BVI, PANAMA, HONG KONG

La compagnie Menzies Afrique S.A, société de droit luxembourgeoise, a sécrété de nombreuses autres sociétés offshores dont Menzies Middle East and Afrique Centrale (Îles Vierges Britanniques), Menzies Middle East and Africa Holdings (Panama), Menzies Middle East and Africa Group (Hong Kong).

Menzies Afrique Centrale Ltd (Îles Vierges Britanniques)

Les activités de la bande des trois remontent au moins à 2003. Menzies Afrique Centrale LTD est l’une des compagnies constituée et enregistrée dans les Îles Vierges Britanniques (BVI) au 1er janvier 2007. Son numéro d’enregistrement est le 562226. Elle est spécialisée dans la fourniture d’assistance aéroportuaire aux aéronefs.Pandora Papers - Mamadou Pouye, Bibo Bourgi, Karim Abou Khalil : l’empire offshore verrouillé des amis de Karim WadeSelon les documents que nous avons consultés, Menzies Afrique Centrale LTD a d’abord été une propriété exclusive de Bibo Bourgi avec 100% des actions jusqu’au 10 novembre 2011. C’est à partir de cette date que le capital a été fractionné en trois bénéficiaires effectifs ; 10% pour Mamadou Pouye, 40% pour Karim Abou Khalil et 50% pour Ibrahim Abou Khalil.

Pour gérer leur société, les trois associés ont choisi comme directeur général réel ou formel un Suisse, Christian Bühlmann. Expert-comptable agréé, il a créé en 2004 le cabinet Trust Consult Luxembourg S.A. tout en étant administrateur de plusieurs fonds d’investissement, indique le site info-dirigeants.fr

C’est Bühlmann qui a écrit en septembre 2018 « à qui de droit » des lettres de recommandation individualisées aux trois associés afin de faciliter leur prospection commerciale. Une démarche conforme à la mission de Trust Consult Luxembourg : « protéger et faire fructifier les actifs de ses clients. »

Malgré deux courriers à lui envoyés, Christian Bühlmann n’a pas donné réponse.

Menzies Middle East & Africa (MMEA)

C’est avec des actions de Menzies Afrique qu’est née Menzies Middle East and Africa (MMEA) en octobre 2003. C’est une compagnie anonyme luxembourgeoise au capital de 3 millions d’euros (environ 1,968 milliards de francs CFA) dont les frères Bourgi sont les principaux actionnaires. Au registre du commerce et des sociétés du Luxembourg, elle est immatriculée sous le numéro B 96.151.

Selon les juges sénégalais de la CREI, MMEA fait partie des sociétés qui font du transfert frauduleux de fonds en servant de prête-nom à Karim Wade. L’ex ministre d’Etat, lit-on dans le jugement du tribunal, « a constitué des sociétés dans les secteurs les plus stratégiques, les plus névralgiques et les plus rentables de l’économie du Sénégal pour, à travers des sociétés offshores bénéficiaires économiques ou détentrices des actions des sociétés précitées, accroître son patrimoine et celui de ses complices. »

L’Etat du Sénégal a pu obtenir l’administration provisoire de biens et actifs immatriculés au nom de Bibo Bourgi ou liés à lui. La société de droit sénégalais Aviation Handling Service (AHS), spécialisée dans les services aéroportuaires pour les compagnies aériennes à l’ex aéroport international Léopold Sédar Senghor de Dakar, en faisait partie.

Aviation Handling Services International Ltd Pandora Papers - Mamadou Pouye, Bibo Bourgi, Karim Abou Khalil : l’empire offshore verrouillé des amis de Karim Wade

Mise en place en novembre 2003, AHSI est formellement contrôlée par Mamadou Pouye (10%), Karim Abou Khalil (40%) et Bibo Bourgi (50%). Elle a été constituée grâce au transfert dans son capital de 50 000 actions à 1 dollar US chacune (25 millions de francs CFA, environ 38 mille euros) que les associés détenaient dans une autre société qui leur appartenait : Menzies Afrique S.A. Son siège est à Tortola, dans les Îles Vierges Britanniques. Administré par le cabinet Trident Trust Company, son cœur de métier est l’assistance aéroportuaire au sol

Aviation Handling Services (Jordan) Ltd

Selon un document du cabinet d’expertise comptable et de conseil Ernst & Young, cette filiale jordanienne de AHSI détenait un solde créditeur de 2 279 292,88 dinars jordaniens, soit environ 3,217 millions de dollars US (1 milliard 777 millions de francs CFA environ) à la date du 31 décembre 2013.

LA REPONSE DU CABINET ALEMÁN, CORDERO, GALINDO & LEE
Contacté par le Consortium international des journalistes d’investigations, le cabinet Alcogal a répondu en ces termes : « Les services aux entreprises proposés par ALCOGAL ne sont qu’un aspect de notre large gamme de services juridiques. En ce qui concerne ces activités spécifiques, Alcogal adhère à toutes les exigences légales en matière de fourniture de services de création de sociétés et de services aux entreprises, dans le respect total de toutes les exigences applicables dans chaque juridiction dans laquelle nous opérons ».

Une enquête réalisée par Momar DIENG dans le cadre des Pandora Papers sous la coordination de l’ICIJ et de la CENOZO.

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