Présidence tournante de l’Union africaine : ce qui attend Macky Sall à la tête de l’institution continentale
En février 2022, le Sénégal sera à l’honneur au sommet de l’Union africaine. Le président de la République sera porté à la tête de l’instance suprême de l’organisation continentale pour une période d’un an. Macky Sall succèdera à son homologue congolais, Félix Tshisekedi. Le chef de l’État sénégalais a été choisi en février 2021 par ses pairs de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour assurer la présidence de l’Union africaine réservée à l’organisation sous régionale pour la période 2022-2023.
La conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine est l’organe suprême de prise de décision et de définition de la politique de l’UA. Elle est composée de chefs d’État et de gouvernement de tous les États membres qui sont au nombre de 55. Il revient à cet organe d’élire le président et le vice-président de la Commission de l’Union africaine, nomme les commissaires de la commission, accepte l’adhésion de nouveaux membres.
En outre, la conférence des chefs d’État et de gouvernement a le pouvoir de créer tout comité, groupe de travail ou commission qu’elle juge nécessaire. Il est évident que la tâche s’annonce difficile pour le président Sall d’autant qu’il devra aussi s’occuper de la gestion du Sénégal. Nombre de ses collaborateurs qui ont pris la parole après l’annonce du retour du poste de Premier ministre, supprimé en 2019, le relient en partie à cet « agenda international surbooké ». C’est le cas de le dire. D’énormes chantiers attendent le président sénégalais.
Née sur les cendres de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) en 2002 à Durban, l’Union africaine (UA) « s’ inscrit dans la vision d’une Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens et représentant une force dynamique sur la scène internationale ».
Selon l’acte constitutif de l’organisation, ses objectifs consistent à réaliser une plus grande unité et solidarité entre les pays et entre les peuples d’Afrique. Elle doit aussi défendre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de ses États membres. L’une des raisons d’être de l’Union africaine est également d’accélérer l’intégration politique et socioéconomique du continent. Dans cette dynamique, un cadre a été mis au point en 2013 pour « s’assurer de la réalisation de la vision panafricaine d’une Afrique intégrée, prospère et pacifique ».
Une Afrique pacifique et pacifiée ?
L’un des succès de l’Union africaine comme l’affirme l’European Center for development Policy Management (ECDPM) le développement de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA). Le Think Thank ajoute que « l’APSA a pu être mobilisée de manière efficace pour réagir à des transferts non-constitutionnels de pouvoir politique, pour prévenir des conflits et déployer ou se joindre à des opérations de la paix », soulignant que « depuis 2000, plus de 50 opérations de maintien de la paix ont été mises en œuvre dans 18 pays africains ».
Mais la dernière téléconférence du Bureau de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement tenue le 24 juin, sous la houlette du président en exercice de l’UA, Félix Tshisekedi, a « fait remarquer que la paix et la sécurité ont été fragilisées davantage en Afrique au cours du premier semestre de l’année 2021 ».
L’insécurité au Sahel et en Afrique centrale
Par ce constat, le Bureau de la Conférence veut attirer l’attention de ses membres sur les récents évènements au Tchad, avec la mort du président Déby au front mais aussi sur le coup d’État au Mali, le deuxième en moins d’une année. Ces crises socio-politiques viennent s’ajouter à une ribambelle d’insurrections en Afrique, précisément au Sahel et en Afrique centrale.
Dans les pays du Sahel central, des groupes djihadistes liés à Al Qaïda et à l’État Islamique poursuivent leurs attaques contre les armées et les populations civiles. En Afrique australe, c’est la branche locale de l’État Islamique qui sème la terreur.
Les membres du bureau ont noté que « la région du Sahel a besoin d’une attention particulière compte tenu des activités terroristes… » Cependant, que fait réellement l’UA pour aider les pays de cette région à faire face à ce « fléau » ?
Selon Mouhamadou Lamine Bara Lô, chercheur en science politique, « la posture de l’UA face aux menaces sécuritaires est de plus en plus questionnée par les opinions publiques africaines. »
« Face aux différents conflits et crises, l’institution semble s’inscrire dans une posture peu proactive et se contente de seconds rôles alors que l’une des ruptures majeures du passage de l’OUA à l’UA devait porter sur la prise en charge des questions de sécurité et défense », regrette M. Lô pour qui, « la question du terrorisme au Sahel et les groupes insurrectionnels et terroristes des grands lacs nécessitent une plus grande implication de l’organisation continentale. »
Au moment où la France réorganise sa présence au Sahel, l’UA devrait s’affirmer davantage en faveur d’une solution africaine.
« Il en est de même des tensions politiques à risques comme le cas Maroc-Algérie, avec l’UMA (Union du Maghreb arabe) qui est pratiquement inactive, ou les transitions au Soudan, au Tchad, en Guinée et au Mali », poursuit le chercheur. Le guerre du Tigré en passe d’embraser toute l’Ethiopie est aussi source d’inquiétude.
Sur le cas tchadien, l’Union africaine a été accusée par l’opinion continentale de « bénir un changement anti-constitutionnel ». À la mort de son père au front contre les rebelles du Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT), Mahamat Idriss Déby a été porté à la tête d’un conseil militaire de transition et désigné chef de l’État en violation flagrante des dispositions de la Constitution selon lesquelles, le président de l’Assemblée nationale assure l’intérim en cas de vacance du pouvoir.
La passivité de l’institution panafricaine et de la communauté internationale, en général sur le cas tchadien semble avoir encouragé des officiers ouest-africains à passer outre les urnes pour s’accaparer du pouvoir au Mali et en Guinée. Dans ces deux pays, « un principe de subsidiarité donne la priorité » à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest mais une décision forte vis-à-vis du Tchad aurait servi de message à tous les apprentis putschistes.
C’est en effet une institution fragilisée par ses prises de position à géométrie variable dont le président sénégalais, prend la présidence à partir de février 2022.
Faire face à la discrimination vaccinale
Il est important de rappeler que c’est dans un contexte de crise sanitaire mondiale que le chef de l’Etat sénégalais est appelé à diriger l’institution panafricaine.
Moins touchée en terme de contaminations et de décès que les autres parties du globe, l’Afrique subit cependant une « discrimination » dans la vaccination contre la Covid-19. Lors de sa réunion de juin 2021, le bureau de la Conférence a « souligné la nécessité pour l’Union africaine d’intensifier ses efforts pour l’acquisition de vaccins contre la Covid-19 afin d’atteindre l’objectif continental de vaccins au moins 60% de la population d’ici 2022 ».
Durant sa présidence, Macky Sall qui affiche sa volonté de doter son pays d’un laboratoire de production de vaccins anti covid-19 dès 2022 ne devrait pas manquer d’arguments pour plaider la cause africaine dans un monde de plus en plus égoïste. C’est une nécessité pour non seulement préserver les populations africaines d’une nouvelle vague dévastatrice qui pointe à l’horizon avec l’apparition d’un nouveau variant en Afrique du Sud, mais ce serait un moyen de booster à nouveau l’économie africaine durement éprouvée par cette pandémie. Justement, pour Mouhamadou Lamine Bara Lô, « la relance économique post-Covid reste un défi dans un contexte de mise en place de la ZLECAF (Zone de libre-échange continentale africaine) ».
« La relance post-covid doit se faire avec des réformes structurelles nationales mais, également, au niveau continental. Le renforcement des capacités industrielles et les échanges intracontinentaux sont des enjeux structurants pour l’UA », fait-il observer.
La controversée adhésion israélienne à l’UA
Le président du Sénégal est très attendu sur le dossier de l’adhésion d’Israël à l’UA comme observateur. Le comité exécutif n’avait pas pu vider cette question qui fait l’objet d’un litige au sein de l’institution après que le président de la Commission Moussa Faki Mahamat a pris la décision unilatérale d’admettre l’État hébreu comme observateur.
Les ministres des Affaires étrangères avaient au mois d’octobre dernier décidé de refiler l’affaire aux présidents après une journée d’échanges sans consensus. En tournée dans plusieurs pays africains, des membres du Fatah palestinien qui ont terminé ce périple au Sénégal, ont appelé le Sénégal à assumer son rôle de défenseur des droits inaliénables du peuple palestinien.
Partisan de l’annulation de la dette africaine, le président du Sénégal aura fort à faire dans ce registre au même titre que celui de la défense des énergies fossiles.
Au sommet du Climat, Macky Sall a déploré la volonté des grandes puissances de ne plus financer les énergies fossiles. Cette position, sa ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur l’a réitérée devant le secrétaire d’État américain Antony Blinken, en visite au Sénégal les 19 et 20 novembre. Au 6eForum panafricain sur les migrations, Aïssata Tall Sall a déclaré être « sûre que le président remettra la question migratoire au cœur du projet continental ».
Légitime, mais…
La réussite de ces missions dépend de la manière dont le Sénégal est vu de l’extérieur. De l’avis de Mouhamadou Lamine Bara Lô, « malgré les tensions politiques intérieures ponctuelles, le Sénégal apparaît encore aux yeux de beaucoup d’acteurs internationaux comme un modèle de démocratie et de stabilité ». Le chef de la diplomatie américaine a qualifié le Sénégal de démocratie forte lors de sa dernière visite. Du 23 au 25 novembre, deux ministres britanniques ont séjourné au Sénégal pour « promouvoir la sécurité et les intérêts économiques communs entre les deux pays ».
« Le Royaume-Uni s’est engagé à construire un réseau de liberté dans le monde entier. Nous travaillons en étroite collaboration avec des partenaires partageant les mêmes idées pour renforcer nos liens en matière de sécurité…», a soutenu Vicky Ford, ministre de sa Majesté pour l’Afrique. « C’est une source de légitimité pour l’action future du Président Macky Sall à la tête de l’UA », admet le chercheur.
Pour autant, ces acquis démocratiques doivent être consolidés et les élections locales de janvier 2022 sont une autre épreuve pour le « modèle sénégalais de stabilité » dans un « océan d’instabilité ». C’est dire que le Sénégal tient à travers cette présidence de l’UA une occasion de briller sur la scène internationale. « Il y a une forme de triumvirat à la tête de la conférence qui déteint sur les autres organes de l’UA (Conseil exécutif, comité des représentants permanents…) Cela constitue une occasion de saillance de la diplomatie Sénégalaise sur les grandes questions africaines. Le renom de médiateur africain du Sénégal, concurrencé par divers États depuis plus d’une décennie, peut être retrouvé lors de ce mandat », espère le chercheur en science politique.
Avec Dakaractu