[Tribune] Aux nouveaux maires de Thiès : évitez le « syndrome Emeu Sène » ! – Par EL Hadji Maodo Mbaye
L’école de lutte « yewi askan wi » vient de détrôner « l’école de lutte rewmi », sera-t-elle aussi longtemps au pouvoir que le roi des arènes Yékini ou durera-t-elle le temps du règne de Emeu Sène ? Pour ceux qui ne comprennent pas ces métaphores inspirées de la lutte sénégalaise, Yekini fut le roi des arènes qui avait le plus duré sur le trône ; c’est pourquoi nous assimilons son magistère à celui du président Idrissa Seck qui a été plébiscité à chaque élection pendant pratiquement 20 ans. Par contre Emeu Sène fut un roi des arènes qui perdit la couronne au combat qui suivit sa consécration. C’est ce que nous craignons pour les nouveaux maires s’ils ne seront pas à la hauteur d’incarner un leadership qui talonne celui de Idrissa Seck et assurer l’attente de la population.
Le 23 janvier 2022, une bonne partie des électeurs sénégalais ont exprimé leur droit civique et politique en élisant ceux qui doivent gérer les communes, villes et départements. La population thiessoise comme d’habitude n’était pas en reste. Mieux, elle s’est faite très remarquée en déboulonnant Idrissa Seck et ses lieutenants après deux décennies de monopolisation de la gestion de la cité. Qu’est-ce qui a pu rendre possible cette rupture ? Quelles leçons devrons-nous tirer de cela ? Ceci n’est-il pas un avertissement pour les nouveaux maires ?
Tous les observateurs, analystes et politologues avaient le regard et l’attention fixés sur Thiès, car ces élections avaient des enjeux moraux et politiques. L’enjeu moral était lié à la stigmatisation dont sont victimes les Thiessois d’ici et d’ailleurs à cause de l’intégration du président Idrissa Seck dans le gouvernement de Macky Sall dans une alliance nommée officieusement avec un ton moqueur « mburok-soow ». Cela avait provoqué surprise, déception et honte chez les thiessois qui ont toujours combattu Macky Sall pour le compte du secrétaire général de rewmi. Ce dernier ne ratait aucune occasion pour jeter l’opprobre sur Macky Sall et son gouvernement. Aucun mot ou caractéristique n’était de trop pour lui : « gouvernement nul », « voleur d’élections », « créateur d’institutions budgétivores comme le sénat et le conseil économique social et environnemental », « un comploteur en chef », « un pion des forces extérieures », « un homme qui ne respecte pas sa parole », « un incompétent qui incarne le déshonneur », etc.
C’est justement ce même Idrissa Seck qui est allé rejoindre le gouvernement de Macky Sall. Cette volte-face a valu aux Thiessois le sobriquet de « nitou Thies » qui signifierait dans le langage courant: traître, renégat, apostat alors que de telles caractéristiques sont antagonistes à l’ADN de cette population. L’étude du passé des hommes de cette localité l’illustre magistralement.
Pour la petite histoire, Thiès est surnommé « la ville rebelle », « la ville de refus » grâce au courage, à l’engagement et à la détermination des hommes de la cité du rail à combattre farouchement l’injustice, la subordination et la manipulation et cela depuis belle lurette. C’est à Thiès que Diery Dior Ndela s’opposa au commandant Prempain ; ce qui lui a valu de choisir la mort à l’humiliation. C’est dans cette région que déclencha la grève des cheminots du 27 Septembre 1938 qui influença la lutte qui aboutit à l’indépendance du Sénégal et d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest. C’est la jeunesse de cette ville qui se battit quotidiennement, affrontant les forces de l’ordre à coups de pierre, pour s’opposer aux résultats de l’élection présidentielle de 1988. Ce sont les Thiessois qui déclenchèrent le combat qui conduisit à la première alternance politique au Sénégal. On se rappelle l’injonction du président Abdou Diouf : « châtier (cette) jeunesse malsaine ».
C’est justement les héritiers de cette tradition guerrière et rebelle qui se sont sentis choqués et déshonorés en voyant le président Idrissa Seck s’allier avec Macky Sall qu’ils ont toujours combattu derrière lui. Ainsi ces élections étaient une occasion pour nous de montrer à Idrissa Seck et aux sénégalais que nous préférons perdre pouvoirs et avantages dans la dignité que de faire des compromissions indignes pour arriver au pouvoir ou de bénéficier des largesses. Les thiessois ont alors refusé de mettre du sucre dans le « mburok-sow ». En cela, nous avons montré à la face du monde la vraie signification de « nitou Thiès » que l’on doit traduire en bon wolof par : « ngor », « jom », « fouleu », « bagn ».
Cette faute lourde et grave qui lui a valu la sanction sévère et radicale ne semble pas encore servir de leçons aux politiciens. Car, parmi ceux même qui critiquaient cet acte et en faisaient moyen de campagne, il y en a qui ont posé un autre aussi condamnable, sinon pire. Si Idrissa Seck a eu le courage d’afficher son appartenance à « Benno bokk Yakaar », d’autres le font en catimini sur le dos des thiessois. En effet, il y a des candidats qui, sachant que Macky Sall est impopulaire et rejeté à Thiès, se sont complotés avec lui pour d’abord, demander le suffrage des Thiessois qu’ils vont verser plus tard sur son compte. Ils se permettaient même dans certaines situations de critiquer le régime pour donner l’impression qu’ils ne sont pas du camp présidentiel ou qu’ils sont contre lui. Cela est une trahison non moins grave que ce que l’on reproche à Idrissa Seck. Qu’ils soient avertis de leurs actes. Les thiessois n’admettrons plus de trahison ni de deal encore moins de complot à leur dos.
Cela étant dit, nous pensons que les nouveaux maires vont apprendre de l’erreur des perdants et se donneront le maximum d’énergie pour mériter la confiance des Thiessois. Qu’ils sachent qu’ils n’auront véritablement une victoire que si la population sera satisfaite de leur bilan. Un homme averti en vaut deux.
En attendant nous les attendons sur des points stratégiques comme la révision des comptes, la gestion foncière, l’éclairage public, le désencombrement de la ville, la modernisation des marchés et la propreté des quartiers à travers une gouvernance transparente et participative.
EL Hadji Maodo Mbaye
Professeur de Philosophie au Lycée de Meri
mbayephilocom@gmail.com
Boucar Diouf