[Tribune] Cheikh Anta appelant à éviter les critiques religieux – Par ASANTE Harouna
«Mais comprenons-nous bien. Je tiens à dire que je ne fais aucune allusion à la véracité de la religion musulmane ou chrétienne. Je pense que tout africain sérieux qui veut être efficace à son pays à l’heure actuelle évitera de se livrer à des critiques religieuses. La religion est une affaire personnelle. Ici il est question uniquement des problèmes concrets qui doivent être résolus pour que chaque croyant puisse pratiquer librement sa religion dans les conditions matérielles meilleures. Il serait donc malhonnête de lire ce livre avec l’intention secrète d’y trouver un seul mot permettant de le jeter en criant au blasphème.»
( Cf. Nations Nègres et Culture, p.23)
Analyse du texte
D’après notre analyse, il ressort deux principales observations de ce texte :
La première observation est que dès l’introduction de son premier ouvrage , Cheikh Anta Diop a tenu à clarifier les choses concernant sa vision de la religion. On peut donc considérer ce texte comme l’épine dorsale de sa pensée religieuse.
La deuxième observation porte sur l’expression : «comprenons-nous bien» qu’il emploie. Cela signifie que ce qu’il veut dire ici est très important et doit être compris sans aucune nuance.
Pour qui connaît Cheikh Anta Diop qui est très souvent nuancé, il a tenu à clarifier sa position ici en contextualisant même. Son travail ne consiste pas à démontrer la véracité ou non d’une religion. Certains pourraient rétorquer que lorsqu’il parle de véracité, c’est parce qu’il ne croirait pas à la véracité des religions. Nous pourrons répondre que la plupart des croyants ont une seule religion laquelle ils croient fermement. Mais nous savons que Cheikh Anta Diop était un fervent musulman. Concernant cette question de véracité, il faut savoir que le chercheur a écrit : «Le monde divin échappe à la logique terrestre.» Même si tel était le cas, aucun homme raisonnable n’aurait voulu à Cheikh Anta Diop pour cela.
Pour lui, cette question est personnelle. Il convient donc de respecter la foi de tout un chacun. Certains pour justifier leurs attaques contre les religions disent qu’il a écrit «à l’heure actuelle». Non seulement, il n’est jamais revenu sur cette position qu’il a voulu ferme. Ensuite, quand on dit à l’heure actuelle dans le domaine historique, il s’agit très souvent des siècles. La preuve est que depuis la découverte de l’écriture vers 3 000 ans avant Jésus jusqu’à aujourd’hui, le monde n’a connu que quatre périodes.
Il est sur le terrain strictement scientifique. Ce qu’il dit ici est très clair. Certains pourraient rétorquer qu’il ne voudrait pas choquer les religieux. Si Cheikh Anta Diop était convaincu que la religion était un frein à l’émancipation de l’Afrique, il n’aurait pas hésité à la critiquer. Cheikh Anta Diop n’était pas de nature à cacher ses sentiments ou ses pensées par lâcheté. Il dit que la religion est une affaire personnelle parce qu’il en est convaincu. S’il n’en n’était pas convaincu, il n’aurait pas fait ses écrits.
Son objectif n’est pas d’orienter les gens vers la poursuite ou le rejet d’une pratique religieuse. C’est pour cette raison que bien qu’ayant appris le Coran, lorsqu’on l’interrogeait sur des questions religieuses en public, il refusait d’y répondre. Son cousin m’a fait savoir que quand quelqu’un l’a une fois interrogé sur une question relevant de la théologie, il a orienté cette personne vers les guides religieux. Le travail de Cheikh Anta Diop n’était pas en direction exclusive des partisans d’une religion particulière. Son travail était d’abord destiné à tous les africains de toutes obédiences religieuses confondues. Il ne cherche nullement à critiquer leur foi ou leurs croyances qu’il veut par de là tout respecter.
La question de la foi religieuse provient du libre choix de tout fidèle. On ne saurait blâmer quelqu’un d’être musulman, chrétien, vodouisant ou bouddhiste. Elle relève du choix personnel du croyant et mérite d’être respectée. Il prévient en disant qu’aucun africain sérieux devrait éviter de critiquer la religion ou la foi d’autrui. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles il n’adhérait pas au marxisme. Les marxistes de son époque aimaient bien marteler : «La religion est l’opium du peuple.» On peut sans risque de se tromper affirmer par analogie que s’il vivait encore aujourd’hui, il aurait désapprouvé les propos visant à traiter les croyants d’aliénés, d’esclaves des arabes, de noirabes etc. Cheikh Anta Diop visait avant tout le respect des hommes dans leurs opinions, foi et croyances.
A la fin du texte, il doit que quiconque lirait ce livre avec l’intention de le présenter comme quelqu’un qui blasphème ou qui aurait poussé les gens au blasphème est juste malhonnête. Comme nous l’avons dit, son ouvrage est avant tout scientifique et ne vise nullement à se prêter à une exégèse religieuse. Il en est de même de ceux qui prennent des passages de ses textes isolés de leur contexte afin de leur donner une posture antireligieuse.
L’objectif de son livre porte uniquement sur des problèmes concrets qui doivent être résolus pour que chaque croyant puisse pratiquer librement sa religion dans les conditions matérielles meilleures.
Ce texte montre bel et bien que la religion n’est pas centrale dans l’œuvre de Cheikh Anta Diop. Ce que vise Cheikh Anta Diop surtout, c’est de réveiller le bâtisseur de nations qui dort en chaque jeune Africain. Ce qu’il recherche dans ses travaux, c’est de réveiller l’esprit créateur endormi dans chaque jeune africain du fait du système éducationnel colonialiste. Pour Cheikh Anta Diop, les problèmes concrets à résoudre sont les problèmes de santé, de sécurité, d’éducation, d’autosuffisance alimentaire. Il appartient à la jeune génération de s’armer de sciences, de savoir pour trouver une solution adéquate à ces problèmes.
Auteur
ASANTE Harouna
Chercheur indépendant
asanteh@live.fr
Mis en ligne par Boucar Diouf