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[Tribune] Invasion russe en Ukraine : par-delà le bien et le mal – Par El Hadji Maodo Mbaye

[Tribune] Invasion russe en Ukraine : par-delà le bien et le mal - Par El Hadji Maodo Mbaye
El hadji Maodo Mbaye, professeur de Philosophie au Lycée de Meri

Dans un article paru dans le Quotidien d’information BES Bi, notre Doyen El hadji Songué Diouf, Professeur de Philosophie a qualifié l’invasion russe en Ukraine de retour du refoulé. Il prend le soin de rappeler d’abord la définition de ce mécanisme au sens freudien comme suit : « les processus par lesquels reviennent à la surface des contenus psychiques socialement non valorisés, moralement répréhensibles ou, dirait Songué, politiquement incorrects ». Il a ensuite évoqué l’éclatement du bloc soviétique qui serait la cause du choc traumatique et enfin poser en bon philosophe la question : « qu’est-ce qui serait revenu à la surface de « la conscience russe » après en avoir été chassé ?

C’est vrai que l’effondrement du régime communiste soviétique a eu comme conséquence majeure l’éclatement de l’URSS occasionnant l’indépendance de beaucoup de pays en 1991. Après les pays Baltes comme l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie en septembre vient le tour de la Biélorussie, de la Russie et de l’Ukraine en décembre de la même année.
Évidemment, à chaque fois qu’il y a rupture de fédération de pays liés par l’histoire, la géographie, la politique et la culture, il est normal que cette scission provoque un choc et une fragilité. Cela devient dangerosissime si maintenant certains de ces pays veulent s’allier avec l’ennemi, alliance qui pourrait devenir fatale pour le pays leader : la Russie ; il devient alors compréhensible que cette dernière fasse tout pour que cela n’arrive pas. Ceci rappelle cet épisode de l’histoire où les États-Unis avaient refusé, en 1962, l’alliance entre l’URSS et le Cuba de Fidèle Castro pour des raisons sécuritaires.

Pour les mêmes raisons, la Russie n’accepterait jamais que l’Ukraine s’allie avec l’OTAN. Cette organisation dont le géant reste les États-Unis qui sont les principaux adversaires de la Russie. Ces États-Unis qui n’ont jamais raté une occasion dans l’histoire pour s’opposer à la Russie. Une telle alliance donnerait aux adversaires de la Russie, la possibilité d’installer des bases militaires en Ukraine qui est, rappelons-le, un pays frontalier de la Russie. Vous comprenez alors les dangers que la Russie encourt.

Voilà que, pour éviter de mettre son pays dans une position de faiblesse, de vulnérabilité et de danger, l’héritier de Staline et de Gorbatchev est prêt à utiliser tous les moyens pour empêcher cela. N’est-ce pas que la fin justifie les moyens ? À vrai dire, le Président de la Russie est en train de bien faire ce pour quoi il a été élu, c’est-à-dire assurer la sécurité de son territoire et défendre les intérêts de son pays.
Et cela n’est ni psychotique, ni névrotique, mais réaliste. Le Président Poutine n’est pas dans la psychologie ni dans la psychanalyse, mais dans la realpolitik. L’invasion russe en Ukraine est éminemment géostratégique.

Sur le plan géopolitique ces attaques militaires constituent un gage de sécurité pour la Russie. Celle-ci a attaqué pour se défendre. C’est pourquoi j’ai du mal à saisir le sens et la pertinence du rapprochement de la guerre en Ukraine à un retour du refoulé.
Si on refoule ce que l’on veut oublier ou ce que l’on ne peut pas assumer, tel n’est pas le cas pour la Russie qui garde fraichement en mémoire tout ce que les États-Unis et leurs alliés ont fait pour freiner l’expansion communiste.

Si le retour du refoulé se manifeste à travers des états d’inconscience comme les rêves, les actes manqués, les lapsus ou des comportements psychopathologiques, il n’en est rien des actes posés par la Russie. Car, c’est dans un état conscient et lucide que le Président Poutine a posé ces actes forts, courageux, préventifs et surtout défensifs.

J’en conclus alors qu’il n’y a ni de refoulé encore moins de retour de refoulé.
Certes, cette idée d’un Poutine qui serait fou, psychopathe, brutal, impulsif, névrotique est avancée par les médias occidentaux et leurs réseaux sociaux, loin s’en faut. Il faut juste reconnaitre que le Monsieur est d’un autre style. Il ne fait pas dans la langue de bois ni dans les fioritures diplomatiques (mensonge, tromperie, duperie) comme savent très bien le faire les Occidentaux. Il refuse de céder à la pression, au chantage et à la manipulation.
La manipulation des Européens et des États-Unis a atteint ses limites. Leur main invisible dans les guerres pour déstabiliser les pays en processus de développement économique a franchi la ligne jaune. Leur implication dans les guerres et l’instabilité des pays africains riches en ressources naturelles choquent plus d’un. Pour ne pas parodier le politologue Babacar Justin Ndiaye, je dirais : l’Occident en Afrique, flatte le Président, ménage l’opposant, et aide le maquisard. La stratégie de l’Occident est de déstabiliser les pays en décollage économique pour mieux régner. Ils ont participé à la destruction de la Libye, contribué à la guerre en Syrie, envahi l’Irak et voilà qu’ils refusent de se mêler directement de la guerre en Ukraine parce qu’ils savent qu’on ne joue pas avec Poutine. Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards. Cela ne marche pas avec le Président russe.

C’est un homme qui s’est donné les moyens de se faire respecter. En effet, la Russie est devenue l’une des puissances armées les plus fortes au monde non seulement sur le plan de l’effectif militaire, mais surtout sur le plan de l’armement de destruction massive comme le nucléaire, les armes de poing et la technologie en matière de défense ; compte non tenu de la dépendance de l’Europe de son gaz et de son pétrole. Son leadership en matière d’exploitation de blé dans le monde lui permet d’étendre son influence géopolitique. Ce pouvoir de se faire respecter, Poutine n’hésite pas à l’utiliser quand les intérêts et la sécurité de son pays sont menacés.

Il est grand temps que la volonté de sauvegarder l’hégémonie occidentale ne soit plus une raison pour vouloir à tout prix sacrifier les puissances naissantes ou les pays en voie de développement. Et cela le plus souvent dans la violence des droits internationaux, des accords et des traités. Finalement, je me rends compte que les lois sont faites pour canaliser les pays faibles. Car, les grandes puissances n’hésitent pas à imposer leur volonté, force ou pouvoir au détriment des lois, normes et conventions internationales.

Analysée sous un angle manichéen, l’invasion peut être jugée mauvaise, cruelle, injuste, mais en dehors de tout jugement de valeur, cette guerre révèle la force et le leadership de la Russie. On assiste à une redistribution des cartes, une nouvelle configuration mondiale marquée par l’équilibre des forces et de la terreur entre les grandes puissances OTAN, Russie, Chine, Corée du Nord, Pakistan, Inde, Iran. Le Président Macron en a fait l’aveu dans son discours du 27 août 2019 à la conférence des ambassadeurs : Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde. Nous nous étions habitués à un ordre international qui depuis le 18ème siècle reposait sur une hégémonie occidentale, vraisemblablement française au 18ème siècle, par l’inspiration des Lumières ; sans doute britannique au 19ème grâce à la révolution industrielle et raisonnablement américaine au 20ème grâce aux 2 grands conflits et à la domination économique et politique de cette puissance. Les choses changent. Et elles sont profondément bousculées par les erreurs des Occidentaux dans certaines crises, par les choix aussi américains depuis plusieurs années et qui n’ont pas commencé avec cette administration mais qui conduisent à revisiter certaines implications dans des conflits au Proche et Moyen-Orient et ailleurs, et à repenser une stratégie profonde, diplomatique et militaire, et parfois des éléments de solidarité dont nous pensions qu’ils étaient des intangibles pour l’éternité même si nous avions constitué ensemble dans des moments géopolitiques qui pourtant aujourd’hui ont changé.

Et puis c’est aussi l’émergence de nouvelles puissances dont nous avons sans doute longtemps sous-estimé l’impact. La Chine au premier rang mais également la stratégie russe menée, il faut bien le dire, depuis quelques années avec plus de succès. J’y reviendrai. L’Inde qui émerge, ces nouvelles économies qui deviennent aussi des puissances pas seulement économiques mais politiques et qui se pensent comme certains ont pu l’écrire, comme de véritables États civilisations et qui viennent non seulement bousculer notre ordre international, qui viennent peser dans l’ordre économique mais qui viennent aussi repenser l’ordre politique et l’imaginaire politique qui va avec, avec beaucoup de force et beaucoup plus d’inspiration que nous n’en avons. Regardons l’Inde, la Russie et la Chine. Elles ont une inspiration politique beaucoup plus forte que les Européens aujourd’hui.

Cela dit, les Occidentaux doivent savoir qu’on ne peut pas arrêter la mer avec ses bras. Ils ne peuvent pas freiner la marche progressive de l’esprit du monde. Celui-ci avait séjourné avant hier en Angleterre, hier aux Etats-Unis, aujourd’hui probablement en Chine, demain vient, peut-être, la Russie, l’Inde ou l’Afrique…

Pour un monde de paix et de sécurité, il urge que les Occidentaux jouent la carte du respect et de la sincérité dans les relations internationales. Malheureusement dans cette affaire, je vois une Afrique et plus particulièrement un Sénégal qui risque de vivre les conséquences de cette guerre plus que les antagonistes eux-mêmes dans une certaine mesure, car trop dépendant de l’Occident.

Nous espérons vous revenir sous peu pour une réflexion plus large sur les paradoxes de notre prétendu plan de développement du Sénégal et sur les défis à relever pour sortir notre pays de la dépendance de l’Occident.

El Hadji Maodo Mbaye
Professeur de philosophie au Lycée de Meri
Courriel : mbayephilocom@gmail.com

Mis en ligne par Coumba Ndoffène

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