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[Tribune] La thèse de Francis Fukuyama face à la reconfiguration géopolitique mondiale – Par Asante Harouna

[Tribune] La thèse de Francis Fukuyama face à la reconfiguration géopolitique mondiale - Par Asante Harouna
Francis Fukuyama

Francis Fukuyama , Professeur d’économie politique international basé aux Etats-Unis publiait un article ( The end of History ?) publiait un article en été 1989. En 1992, il développera ses thèses dans un livre controversé intitulé ‘’ La fin de l’histoire et le dernier homme ’’. Dans ce livre, il soutenait que le combat entre le camp libéral et communiste touchait à sa fin. Pour lui, le camp libéral occidental dominerait encore le monde pendant mille ans . En quelque sorte une domination qui ne s’arrêterait plus selon lui. La guerre froide tendait ainsi vers sa fin. Le pacte de Varsovie , bras armé du bloc soviétique depuis 1955 était dissout le 1 er Juillet 1991 . Mais l’OTAN, son rival créé six ans avant lui continuait d’opérer.

Selon Jocelyn Coulon, l’historienne américaine Mary Elise Sarotte a beaucoup travaillé sur la question de l’élargissement de l’OTAN. Après avoir fouillé les archives, lu les notes manuscrites et les discours des principaux protagonistes, ainsi que les procès-verbaux de leurs rencontres durant de nombreuses années, elle publie le résultat de son travail acharné et rigoureux sous forme d’un livre intitulé : ‘’Not One Inch. America, Russia, and the Making of Post-Cold War Stalemate’’ .
En Allemagne, la seule obsession du chancelier Helmut Kohl est la réunification des deux Allemagnes. C’est ainsi que la question de l’élargissement de l’OTAN va se poser . Au début de 1990, l’Union soviétique n’est pas encore effondrée et compte un demi-million de militaires en Allemagne de l’Est . Les Occidentaux doivent offrir quelque chose à Moscou s’ils veulent obtenir le départ des troupes soviétiques et le maintien d’une Allemagne réunifiée au sein de l’OTAN.

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher, affirme en janvier. « Je veux que l’OTAN, dit-il, affirme sans équivoque que peu importe ce qu’il adviendra au sein du pacte de Varsovie, il n’y aura pas d’expansion du territoire de l’OTAN vers l’Est, c’est-à-dire plus près des frontières de l’Union soviétique. »
«Pas un pouce » vers l’Est, a dit Baker. Et pourtant, l’OTAN s’est élargie en 1999 puis en 2004. Pourquoi cet élargissement malgré les promesses tenues par Baker ? Pour Marie Elise Sarotte, il y a plusieurs raisons dont nous retiendrons une : les Occidentaux ont profité de la faiblesse de la Russie sous Gorbatchev et Eltsine. À peine la réunification allemande réalisée, la volonté américaine d’élargir l’OTAN est revenue au-devant de la scène au lendemain de l’éclatement de l’Union soviétique en décembre 1991.
Le 25 Décembre 1991, Mickael Gorbatchev , huitième et dernier président de l’URSS démissionnait et déclarait la fin de ce poste. Mais la condition de l’accord de l’Union soviétique visant à permettre à l’Allemagne de l’Est d’être prise par l’Allemagne de l’Ouest et à la fin de la guerre froide était que l’ OTAN ne se développerait pas “d’un pouce vers l’est” comme l’ont affirmé plusieurs sources concordantes.

Vladimir Poutine, officier du KGB était alors en poste en Dresde lors de l’effondrement de l’URSS . Lorsque les manifestants ont voulu saccager leur bureau à Dresde, c’est lui qui serait sorti pour les dissuader. Pour Dominique De Villepin, ancien chef de la diplomatie française , cette période fut la plus grande catastrophe de l’histoire du vingtième siècle . Poutine ne dira pas le contraire.
L’OTAN qui avait au préalable 12 membres à son début s’est pourtant étendu à plus de 30 membres. Jacques Chirac pendant son magistère prévenait pourtant à ne pas humilier la Russie.

En 2005, Poutine avertissait déjà l’occident sur les risques d’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine. Il ne semble pas avoir été entendu.
Pour Jocelyn Coulon, conseiller politique du ministère des affaires étrangères du Canda en 2016 et 2017, Vladimir Poutine, est convaincu que la progression constante des frontières de l’OTAN vers la Russie menace la sécurité, sinon la survie, de son pays. Il y a 30 ans, ces frontières étaient situées à 1200 kilomètres de Saint-Pétersbourg. Aujourd’hui elles sont à 100 kilomètres. Si l’Ukraine tombe dans le camp occidental, l’OTAN pointera ses armes vers le cœur de la Russie.

En se demandant si Poutine avait raison, l’analyste politique répond par l’affirmative. Il est important ici d’avoir à l’esprit la chronologie des évènements et les propos prononcés par les uns et les autres pour bien comprendre les origines de la crise actuelle. L’historienne américaine Mary Elise Sarotte nous aide à y voir clair.
Selon Coline Maestraci, chercheure à l’université libre de Bruxelles, entre 2014 et 2020 la guerre du Donbass a fait 13.000 morts et 1.5 million de déplacés devant l’indifférence des médias.
Depuis un certain temps, la Russie ne cessait de rappeler à ses partenaires européens ses trois conditions sur l’Ukraine : reconnaissance du rattachement de la Crimée à la Russie, le respect des accords de Minsk, l’autonomie du Donbass et la neutralité de l’Ukraine par une non adhésion à l’OTAN. Poutine à travers ces revendications rappelle en quelque sorte le principe de la jurisprudence Cuba.

Le lundi 21 Février 2022, agacé par la situation des pro russe en Ukraine, Poutine annonce qu’il reconnaitra le lendemain l’indépendance de Donetsk et Lougansk depuis 2014 de Donetsk et Lougansk. En effet, ces deux régions réclamaient leur indépendance depuis 2014 sans obtenir de réponse favorable ni Poutine encore moins de l’Ukraine.
Il avait pourtant auparavant accueilli Macron le lundi 07 Février 2022 à Moscou. Tout porte à croire que cette tentative de médiation n’a pas marché. Il faut se souvenir d’ailleurs que le même n’hésitait pas à traiter Poutine de tous les noms. Comment pouvait-il aspirer avoir une médiation efficace ?
Nous constatons qu’il y a une forme de propagande de part et d’autre. Si Poutine affirme envahir l’Ukraine pour le dénazifier, les médias occidentaux le qualifient de dictateur, de paranoïaque et de psychopathe. Poutine quant à lui qualifie l’occident ‘empire du mensonge.

La France qui parle d’invasion de l’Ukraine refuse de quitter le Mali à la demande de ses autorités. Elle prétend vouloir à son rythme. N’est-ce pas paradoxal ? En tout cas, Dominique De Villepin, ancien chef de la diplomatie française parle de l’hypocrisie de l’occident. Dans le conflit russo-ukrainien, la médiation de Macron n’a pas marché et a été inefficace parce qu’il n’avait pas su se comporter. Il s’y était mal pris en réalité. La médiation de l’Israël plus discrète semble être plus efficace.

D’un point de vue africain, nous nous demandons si cette France qui a déstabilisé la Lybie est bien passée pour parler d’agression russe en Ukraine. En plus, lorsque les autorités maliennes demandent le départ des troupes françaises de leur pays, Macron refuse. Ce maintien des troupes françaises n’est donc qu’une invasion.
C’est l’une des raisons qui expliquent probablement la prudence des africains par rapport à ce conflit. Lors du vote à l’ONU le 03 Mars, 17 pays se sont quasiment abstenus de voter. Même le Sénégal que certains qualifient ses dirigeants de suppôts de la françafrique s’est abstenu.

Florence Parly, ministre française des armées interpellée à ce sujet affirme que la France n’engagera pas une action militaire. Lorsque le journaliste lui demande la raison, elle répond que c’est parce que la Russie est une puissance nucléaire. « Aucun pays ne souhaite déclarer la guerre à la Russie. » Disait-elle à un journaliste.

Biden qui parlait de Poutine en des termes très menaçants s’est apparemment refroidi après l’action militaire russe en Ukraine. Le président ukrainien a été apparemment déçu de ceux qui prétendaient lui venir en aide. Pourtant, l’armée américaine avait intervenu lorsque Saddam Hussein avait envahi le Koweït.

Bruno Le Maire, le ministre de l’économie français affirme 1 er Mars 2022 sur France Info : « Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie. Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe ». Dimitri Medvedev, vice-président du conseil de sécurité de la Russie le recadre en ces termes : « Un ministre français a dit aujourd’hui qu’ils nous avaient déclaré la guerre économique. Faites attention à votre discours, messieurs ! Et n’oubliez pas que les guerres économiques dans l’histoire de l’humanité se sont transformées en guerres réelles ».
L’occident décide de geler les réserves financières de la Banque Centrale Russe et d’exclure la Russie du ‘’ Society for Worlwide Interbank Financial Telecommunication’’ ou SWIFT . Si la première mesure a momentanément affecté le rouble, la deuxième mesure semble avoir l’effet inverse. Comme alternative, la Russie intègre le ‘’China International Payment System ‘’ ou CIPS chinois .

En plus, seules sept banques russes auraient été réellement exclues du système bancaire. L’Europe a besoin des autres pour son approvisionnement en gaz.
Les russes ont renforcé la résilience de leurs économies face aux sanctions tandis que les occidentaux n’ont pas renforcé la crédibilité de leurs sanctions. La crédibilité des sanctions occidentales ne fait que faiblir jour après jour. Nous rappelons que la Russie n’est pas à sa première sanction. Mais son économie ne s’est jamais effondrée face à ce genre de sanctions.
En effet, l’occident est beaucoup dépendant du gaz russe. 51 % de la consommation en gaz de l’Allemagne provient de la Russie. Selon Sofia Bouderbala, le premier choc a été celui de la flambée des grains et huiles , le second est celui des engrais . Pour elle, la guerre en Ukraine a jeté une lumière crue sur la dépendance de l’agriculture européenne au gaz russe, premier ingrédient des fertilisants de synthèse. Le prix du gaz et la solution azotée a ainsi flambé. De 600 Euros la tonne en Octobre 2021, il a atteint 800 Euros en Mars 2022.

Le gouvernement russe a d’ores et déjà déconseillé à ses producteurs d’exporter leurs engrais.

L’Allemagne certainement déçue de l’incapacité de l’OTAN à les protéger décide de se réengager dans l’armement . Elle avait été totalement désarmée à l’issue de la seconde guerre mondiale.
Du coté des USA , ils se sont tournés vers le Venezuela de Nicolas Maduro dont ils avaient pourtant refusé de reconnaitre. Ils ont proposé au Venezuela d’acheter son pétrole à un prix avantageux. Ce que refusa Nicolas Maduro.

Notons que Macron même affirmait devant les ambassadeurs en 2019 : « L’ère de l’hégémonie occidentale touche à sa fin. » Mais a t il réellement retenu les leçons de ses propos ?
Notons que Macron qui diabolise les russes dans tous les sens et a ouvertement affiché son soutien à l’Ukraine tente de se jouer les médiateurs. Tout porte à croire qu’il veut être à la fois juge et partie.

Hubert Védrine lui aussi allait dans le même sens après l’invasion russe en Ukraine. Il affirme lors d’une interview : « Les occidentaux n’ont plus le monopole de la puissance. »
Le mercredi 16 Mars 2022 , Volodymyr Zelensky affirme en visio-conférence : « Il faut reconnaître » que l’Ukraine ne pourra pas intégrer l’Otan . C’était au cours d’une réunion avec les dirigeants des pays de la Joint Expeditionary Force, une coalition menée par la Grande-Bretagne.

En ce qui concerne l’action de la Russie en Ukraine, elle pourrait avoir un cout sur l’économie russe à long terme malgré sa capacité de résilience aux sanctions. En effet, contrairement au Dollar, le Rouble n’est pas la monnaie des transactions internationales à l’heure actuelle. Les USA à travers le Dollar font supporter le coût de leur dette aux autres pays. Malgré cela, nous avons constaté l’impopularité dont George Bush a été l’objet après l’invasion de l’Irak. Poutine risque t il l’impopularité en Russie ? Nous ne saurions répondre. En effet, Poutine dirige un pays qui en a marre de la condescendance occidentale. Cela pourrait lui être une circonstance atténuante. En plus, les russes ont déjà vécu pire par le passé sous Boris Eltsine. Contrairement à ce que peuvent imaginer les occidentaux , le peuple russe a développé une capacité de résilience.

Sur le plan purement géopolitique, la Russie n’en sort pas bredouille. Elle a réussi à remettre sur pied ses revendications sur l’autonomie du Donbass et la neutralité de l’Ukraine. Même si le Général Vincent Desportes analyste militaire semble réticent quant à l’issue de cette bataille, il admet que Poutine se donne une meilleure position pour négocier. Ce dernier à défaut d’avoir obtenu gain de cause par le dialogue est en voie d’arriver à ses fins par la voie armée. Sur le plan économique et financier , nous allons vers la fin de l’hégémonie du Dollar. En mars 2022 , l’Inde a acheté environ 360 000 barils de pétrole à la Russie . C’est-à-dire environ quatre fois plus que sur la même période en 2021. Du coté chinois, son fournisseur saoudien est sur le point d’accepter le yuan pour la vente de son pétrole lors du même conflit.

On peut donc dire que nous tendons vers une reconfiguration de la géopolitique mondiale. Soit on tend vers un monde bipolaire comme par le passé. Cette bipolarisation pourrait se refléter à travers la domination par le duel USA-Russie. Mais le problème à ce niveau est que la Russie quoique puissance militaire est une puissance économique moyenne. Même si cette première hypothèse est possible, elle est très peu probable à nos yeux. Soit on tend vers un monde multipolaire. Dans cas, ce n’est plus une seule puissance qui dirige le monde. Chaque puissance régionale exerce une influence dans sa zone et même sur l’échiquier mondial. Soit on va carrément vers un basculement du côté de l’Est. Dans ce cas , les USA perdent le contrôle au détriment de la Chine et/ou de la Russie.

En effet, si officiellement la Chine dit détenir 2.400 tonnes d’or de réserves, certains spécialistes affirment qu’elle en détient une dizaine de milliers de tonnes en réalité. Dominique De Villepin n’hésite d’ailleurs pas à dire que la Chine sera la première puissance du monde. Quant à la Russie, elle vient d’établir sa puissance militaire face à la quasi impuissance des pays occidentaux.
On pourrait affirmer que la Russie à travers cette opération est en train de démontrer au reste du monde que les USA n’ont plus le monopole de la puissance militaire. Pourtant, c’était fort de leur puissance militaire que les USA sont parvenus à consacrer le Dollar comme monnaie de référence internationale contrairement aux recommandations de Keynes qui préconisait une monnaie plus neutre. C’était lors des accords de Breton Woods juste après la seconde guerre mondiale. En 1971, Nixon inquiet du fait que beaucoup de pays cherchent à se défaire de ce système détache le Dollar de l’or et crée le système de pétrodollar. Le triste constat est que nous sommes dans un monde où c’est la puissance militaire qui dicte la loi même sur le plan économique. Nous pouvons dire que ce qui a fait la force de l’occident, c’est la violence depuis la période de l’esclavage jusqu’à aujourd’hui.

On peut donc affirmer que les prévisions de Fukuyama prévues sur mille ans ne semblent avoir duré qu’en l’espace d’un demi-siècle . Cette crise ukrainienne vient de nous montrer que l’occident n’a plus le monopole de la puissance. Il tend de plus en plus à être bousculé par les puissances moyennes depuis la chute de l’URSS. Même si la Chine et l’URSS sont devenues capitalistes, nous allons vers une période confrontation entre ces puissances capitalistes.

Auteur
Asante Harouna
Chercheur indépendant

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